Européennes : entre LR et Reconquête, les dessous d’une lutte à mort

Européennes : entre LR et Reconquête, les dessous d’une lutte à mort

“T’es vraiment pitoyable.” Le placide Eric Ciotti laisse exploser sa colère. Ce 29 septembre 2023, le président des Républicains adresse ce SMS courroucé à Guillaume Peltier, coupable d’une énième provocation. Le n° 2 de Reconquête, ex-député LR, accuse dans une vidéo la municipalité LR de Valence d’entretenir des “liens avec les Frères musulmans”. Rien que ça. Voilà la cité de la Drôme érigée en symbole de “l’islamo-droitisme”, néologisme inventé par Eric Zemmour lors de la dernière campagne présidentielle pour cibler Valérie Pécresse. Quelques jours plus tôt, l’essayiste débattait avec Vincent Jeanbrun, maire (LR) de L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), lors d’une soirée organisée par le média d’extrême droite Livre noir, à Paris. En marge de la joute, la conseillère du polémiste, Sarah Knafo, glisse à l’édile : “Tant que vous aurez peur de l’union des droites, vous serez condamnés à perdre.”

Ici, un vague appel du pied teinté d’amertume. Là, des attaques en rafale. Depuis sa création, Reconquête nourrit une relation ambiguë avec LR. A trois semaines des élections européennes, chaque camp veut asseoir sa domination sur l’autre. La formation d’Eric Ciotti, créditée de 7 à 8 % des intentions de vote, ne devance son concurrent que de 1 ou 2 points dans les sondages. “Il faut mettre Zemmour au-dessous de 5 %”, a confié Laurent Wauquiez à un cadre LR. Lors de leurs réunions stratégiques, le candidat putatif à l’Elysée et Eric Ciotti épluchent les sondages d’intentions de vote, s’intéressant aux seconds choix des électeurs de Reconquête. François-Xavier Bellamy suit enfin d’un œil attentif la campagne de Marion Maréchal, se délectant des tensions internes dans son équipe de campagne.

“La droite qui trahit”

La droite nourrit l’espoir qu’un crash de l’ex-frontiste mette un point final à l’aventure zemmouriste et libère son espace politique en vue de 2027. On reproche à François-Xavier Bellamy son conservatisme ? Lui se pose en bouclier contre une “hémorragie” de l’électorat de droite vers l’ancienne députée. LR flaire l’odeur du sang, son rival aussi. Reconquête souhaite rééditer la performance de la dernière présidentielle, en devançant à nouveau l’héritier de l’UMP. Et s’arroger le monopole de la “droite”, que seul LR lui conteste sur l’échiquier politique. “Cela serait un beau symbole, même si l’enjeu est plus fort chez eux au vu de leur déclin. Nous sommes un parti qui vient de naître, note un dirigeant du mouvement. Mais être devant eux ne signifie pas qu’il faut les attaquer.”

Les cogner ou non ? Deux stratégies se font face chez les zemmouristes. Le clan Maréchal juge que son vivier électoral se trouve parmi les électeurs des Républicains plutôt que du côté du Rassemblement national. Le parti d’Eric Zemmour a claironné en septembre son ambition de “remplacer la droite”. Marion Maréchal, depuis, s’échine à dénoncer le supposé “islamo-droitisme” des élus LR et l’incompatibilité d’un vote de droite avec l’appartenance des élus LR au groupe PPE au Parlement européen. “La droite qui trahit”, “VonDerLR”… Une communication agressive est déployée sur les réseaux sociaux contre la candidature de François-Xavier Bellamy. “Le RN a progressé de 5 à 6 points dans les sondages depuis septembre, tandis que nous avons tenu, voire progressé, et que LR a décliné. Leurs électeurs sont ceux dont la certitude de vote est la plus faible”, analyse un conseiller de Marion Maréchal. En privé, Guillaume Peltier juge que 400 000 électeurs d’Ile-de-France hésitent entre les deux listes.

“Les porosités sont plus fortes entre le RN et Reconquête”

Las, cet autoproclamé spécialiste de l’opinion convainc de moins en moins. Une part croissante des cadres du parti d’extrême droite opère un repli stratégique, tant les attaques n’ébranlent pas la liste LR. Les chiffres sont têtus. Seuls 5 % des électeurs potentiels de François-Xavier Bellamy font de Marion Maréchal leur second choix, loin derrière le RN et Renaissance. D’après une enquête Ipsos menée en avril auprès de plus de 10 000 personnes, 69 % des partisans de Reconquête placent en revanche Jordan Bardella en seconde option. “Les porosités sont plus fortes entre le RN et Reconquête qu’entre Reconquête et LR. Si on était dans une présidentielle avec logique de vote utile, Marion Maréchal se ferait siphonner”, note Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos.

L’ambition de vaincre LR est intacte, mais la terre de conquête est ailleurs. “Je ne suis pas idéologue, je sais lire un sondage et reconnaître que je me suis trompé, assure un cadre. S’enfermer dans un match avec LR n’a eu pour seul effet que de faire fuir notre électorat vers le RN. Ce n’est pas Bellamy qui prend nos voix, c’est le RN.” Priorité est désormais de cibler le Rassemblement national, dépeint en “parti des sondages” plus que du “courage”. Ce qui n’empêche pas quelques piques régulières contre la droite. On ne sait jamais…

“Cela nous tire vers le bas”

Reconquête ? Connaît pas. La droite, elle, feint d’ignorer ce rival qui lui mord les mollets. “Le vrai débat n’est pas entre nous et Reconquête, mais entre les socialistes européens et la droite européenne”, insistait mardi François-Xavier Bellamy lors de la présentation de son programme. Le Versaillais tente de réintroduire ce vieux clivage dans la campagne pour séduire les électeurs de la droite macroniste. Sans opérer en parallèle une offensive envers les partisans d’Eric Zemmour.

A droite, on juge surtout ce duel mortifère. De l’avis général, Valérie Pécresse s’est abîmée en ciblant Eric Zemmour lors de l’élection présidentielle. La candidate avait affaibli son rival, mais en avait gardé des stigmates. “Cela nous tire vers le bas”, juge un cadre de la campagne. Qu’importent les défaites successives : LR se vit encore comme un parti de gouvernement, davantage destiné à battre le fer avec le pouvoir qu’avec un mouvement sans élus. Stratégie et condescendance s’entremêlent dans ce silence opposé aux attaques du camp zemmouriste. “On nous promettait le match Reconquête-LR de Ligue 2. Cela ne s’est pas produit”, souriait en avril François-Xavier Bellamy, contre l’évidence. Un dirigeant LR analyse : “Par ego, il ne veut pas être dans le match des nains. Mais c’est aussi un choix doctrinal.”

Une gémellité idéologique s’observe entre l’eurodéputé et Marion Maréchal sur les sujets sociétaux ou régaliens. François-Xavier Bellamy affirmait en 2021 qu’il voterait Eric Zemmour en cas de duel face à Emmanuel Macron. Ses convictions le rapprochent plus de Marion Maréchal que d’Alain Juppé. “Geoffroy Didier, c’est ce qui fait perdre la droite depuis dix ans”, a-t-il confié à un interlocuteur au sujet de son colistier, au positionnement plus central. Rien chez l’eurodéputé ne tend à mener une guerre idéologique à sa rivale. La battre le 9 juin lui suffira.