Eurovision 2024 : en Israël, une respiration bienvenue en pleine guerre à Gaza

Eurovision 2024 : en Israël, une respiration bienvenue en pleine guerre à Gaza

Ces derniers jours, un mince espoir de trêve militaire entre Israël et le Hamas à Gaza tenait en haleine le monde entier, quand la mise en garde du Conseil de sécurité nationale israélien est tombée, le 2 mai. Par un communiqué qui pourrait prêter à sourire s’il ne recouvrait pas une triste réalité, les voyageurs israéliens ont été avertis que Malmö, ville suédoise organisatrice de l’Eurovision, passait du niveau 2 (« menace potentielle ») au niveau 3 (« menace modérée »). « Malmö, qui compte une forte concentration de migrants syriens, libanais, irakiens et iraniens est connue pour être un foyer de manifestations anti-israéliennes », pointe le texte. Les Israéliens ont alors été incités à « reconsidérer la nécessité de leur voyage » en cette période d’Eurovision.

Ayal Gersh, chef pâtissier à Tel-Aviv qui officie entre autres à l’ambassade de Suède en Israël, a dû renoncer à cette édition 2024 avec son partenaire, en raison de l’annulation récente de son vol, pourtant réservé depuis un an. « Je suis évidemment très déçu, confie-t-il. Même si, dans le climat actuel, je n’aurais pas vraiment pu agiter le drapeau israélien et être moi-même, dans les rues de Malmö. » Ayal regardera évidemment l’Eurovision dès jeudi soir, pour l’entrée en lice d’Israël. « Cette année, il est essentiel pour notre pays de montrer qui nous sommes, assure le chef pâtissier. En Israël, le cœur n’est pas à la fête, mais on doit compartimenter. »

Une chanson israélienne qui rappelle le 7 octobre

La prestation de la candidate israélienne Eden Golan, programmée pour la seconde demi-finale de jeudi 9 mai (avant la finale de samedi), est très attendue pour des motifs n’ayant plus grand-chose à voir avec la dimension artistique. C’est un euphémisme : à l’heure où une flambée protestataire autour de la guerre à Gaza déferle en Occident, et alors qu’une incursion militaire de Tsahal a commencé dans la soirée du 6 mai au point de passage de Rafah, l’édition 2024 de l’Eurovision, un concours cher aux Israéliens, va se dérouler sous haute tension.

Les autorités suédoises ont prévu de mobiliser d’importantes forces de police pour faire régner le calme dans le périmètre, comme aux abords de la manifestation. Eden Golan bénéficiera, comme à l’accoutumée, de la protection des services de sécurité israéliens. Mais l’artiste, ainsi que ses accompagnateurs de la délégation, a reçu ordre de ne quitter sa chambre d’hôtel qu’en cas de stricte nécessité. La soirée du dimanche 5 mai, veille du Jour de la Shoah, l’une des dates les plus tristes du calendrier israélien, ils ont préféré ne pas assister aux festivités d’ouverture de l’Eurovision pour se rendre à une cérémonie de commémoration de l’Holocauste, organisée par la communauté juive locale.

Comment sera accueillie la prestation de la jeune israélienne de vingt ans, dont la chanson Hurricane (« Ouragan ») se classe au 5e rang des paris des fans du concours, et qu’elle a interprétée enroulée de pièces de tissus beige évoquant des bandages, qui rappellent ce que l’Etat hébreu a traversé le 7 octobre 2023 ? Une chose est sûre : pour Israël, la participation à l’Eurovision revêt historiquement une importance particulière cette année, sept mois après les attaques terroristes du Hamas.

« Nous avons dû revoir notre copie à deux reprises pour que notre chanson, jugée trop politique, soit acceptée par les organisateurs du concours, explique Chen Ozeri, sociologue à l’Université hébraïque de Jérusalem, qui travaille avec le professeur Gad Yaïr, considéré comme un pionnier mondial des recherches académiques autour de l’Eurovision. Comme lors de la seconde Intifada [2000-2004], certaines voix se sont élevées dans le pays pour signifier que l’heure n’est pas aux célébrations. Mais d’autres, alignées sur le diffuseur national public KAN, ont insisté au contraire sur la nécessité pour notre pays, endeuillé par la tragédie du 7 octobre, d’être présent à ce rendez-vous et de revenir à une sorte de normalité. »

« Israël fait partie des success stories de l’Eurovision. Notre pays est important dans le narratif libéral de l’UER [Union européenne de radio-diffusion, qui organise le concours, NDLR] », poursuit Chen Ozeri. Et pas seulement depuis la victoire en 1998 de l’artiste israélienne transgenre, Dana International. « Dès 1973, l’UER a courtisé l’Etat hébreu pour qu’il fasse partie de la compétition et c’est le premier pays hors espace européen à l’avoir rejoint, précise le sociologue. A l’époque, les gouvernements israéliens avaient une orientation socialiste et se méfiaient beaucoup de la musique populaire. »

Depuis, la manifestation est devenue un outil d’acceptation internationale pour Israël. Et, en même temps, une plateforme susceptible de polariser ses détracteurs. En début d’année, l’UER a repoussé les demandes de ceux qui exigeaient que l’Etat juif soit exclu de la compétition en raison des opérations militaires à Gaza, rejetant toute comparaison avec la Russie. Désormais, les organisateurs espèrent surtout éviter tout débordement de la mobilisation propalestinienne sur la compétition.

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