Immigration et Etat-providence : une question taboue mais… Par Nicolas Bouzou

Immigration et Etat-providence : une question taboue mais… Par Nicolas Bouzou

Est-ce qu’un Etat-providence très développé et redistributif comme la France est compatible avec une immigration extra-européenne soutenue ? Cette question, qui était encore récemment taboue, est pourtant largement étudiée dans les universités d’économie. Le résultat de ces recherches, c’est que la réalité est moins politiquement correcte que ce qu’imagine l’intelligentsia de gauche.

Le premier résultat largement admis, c’est que la “diversité ethnique” a un effet négatif sur le soutien à la redistribution – voir par exemple “L’immigration rend-elle les Européens moins favorables à la redistribution ?” d’Alberto Alesina, Elie Murard et Hillel Rapoport (Paris School of Economics, 2019). En effet, les groupes les plus homogènes ont tendance à être plus solidaires que les autres. C’est l’un des éléments qui explique que les pays scandinaves considèrent l’Etat-providence comme faisant partie de leur identité, alors que cette notion est contestée aux Etats-Unis, comme en a témoigné par le passé la difficulté politique extrême pour Barack Obama de mettre en place une assurance santé plus large que le système actuel.

Obama explique dans ses mémoires qu’il s’est heurté à une difficulté granitique. L’analyse économique confirme que, dans un pays communautariste et divisé comme le sont les Etats-Unis, le sentiment de solidarité globale est faible. A l’inverse, un pays comme le Danemark limite drastiquement l’immigration afin, notamment, de maintenir un contrat social solidaire. L’idée sous-jacente, c’est que le sentiment de solidarité s’étiole avec l’éloignement culturel et religieux.

La redistribution transcende le clivage droite-gauche

En théorie, ce premier résultat pourrait être contrebalancé par un “effet compensation”. Autrement dit, l’arrivée d’une vague d’immigration dans un pays, si elle est massive et soudaine, peut entraîner une incertitude économique, par exemple la crainte de voir baisser son salaire dans certains secteurs – en pratique, ces baisses sont minimes – ou même de perdre son emploi au profit d’un immigré – ce qui n’arrive quasiment jamais –, incertitude qui peut déboucher sur une demande accrue de redistribution.

Dans la réalité, on a beaucoup de mal à identifier ce schéma théorique qui lie l’immigration à un besoin accru de solidarité. Cette rationalité du raisonnement ne se retrouve pas dans le monde réel. La recherche économique sur ces sujets révèle, en revanche, un deuxième fait stylisé, bien visible celui-ci, appelé le “policy bundle effect”. L’idée est qu’un même objectif, en l’occurrence défendre l’Etat-providence, peut animer un électeur de gauche comme de droite. L’électeur est tenté de voter à gauche pour conforter une politique sociale-démocrate redistributive. Il peut aussi vouloir voter à droite pour réduire l’immigration et protéger l’Etat-providence.

Depuis une dizaine d’années, ce conflit se résout le plus souvent par un choix clairement de droite, comme le montrent par exemple les sondages en France. Certaines personnalités politiques tentent d’attirer les électeurs à eux en proposant la politique de leur camp… et celle du camp opposé. Marine Le Pen est la plus performante dans ce domaine grâce à sa thématique de la “préférence nationale”. Elle annonce une réduction drastique de l’immigration tout en mettant en avant une politique économique peu libérale, plaçant un fort accent sur la redistribution avec, par exemple, le recul de l’âge légal de départ à la retraite et le rétablissement de l’ISF. A gauche, François Ruffin a adopté une stratégie symétrique : une accentuation de la redistribution accompagnée d’un regard critique sur l’immigration.

C’est aussi la synthèse opérée en Allemagne par Sahra Wagenknecht. Cette marxiste a quitté le parti de gauche Die Linke pour créer un parti de gauche anti-immigration et faire rempart à l’AfD, formation d’extrême droite qui promeut des idées très similaires. Il appartient aujourd’hui aux non-populistes de constater cette réalité et de l’intégrer dans un programme qui protège l’Etat-providence tout en évitant la mise sous cloche de la France. L’une des pistes pourrait être une politique très offensive pour attirer les diplômés étrangers qui adhèrent à nos valeurs et qui alimenteront, demain, les rangs de nos chercheurs, créateurs et dirigeants d’entreprises.