Les agriculteurs payés pour leurs « services environnementaux » ? Ces obstacles qui subsistent

Les agriculteurs payés pour leurs « services environnementaux » ? Ces obstacles qui subsistent

Rémunérer davantage les agriculteurs tout en favorisant un changement de modèle, plus respectueux de l’environnement. L’idée fait rêver. Avec près de 20 % des émissions des gaz à effet de serre de la France en 2021, selon les chiffres du Haut conseil pour le climat, l’agriculture est l’un des principaux leviers de décarbonation en France. « La filière ressemble à une pièce à deux faces, explique Xavier Poux, agronome au bureau d’études pour la gestion de l’environnement AScA. D’un côté, certaines pratiques peuvent engendrer des effets négatifs avec le changement d’usage des sols, comme des émissions de CO2 et d’azote. De l’autre, les paysans peuvent générer de nombreux effets positifs, grâce aux « services environnementaux » qu’ils rendent. Par exemple, en stockant du CO2 dans les sols, ou en préservant la biodiversité. Et sur cet aspect, la question de leur rémunération devient centrale. »

Incités par la société et la réglementation à faire évoluer leur modèle vers l’agroécologie, les agriculteurs disposent déjà de plusieurs sources de financement en échange de pratiques durables, grâce notamment à la Politique agricole commune (PAC) de l’Union Européenne. Depuis la nouvelle mouture de ce plan en 2023, un certain nombre d’aides reposent sur le respect de critères environnementaux, comme la préservation des zones humides ou le maintien de certaines prairies. Toutefois, ces dispositifs s’accompagnent d’un volume important de procédures, et leur efficacité pour transformer l’agriculture et protéger les milieux naturels reste limitée. « L’approche réglementaire consistant à interdire la transformation des prairies en terres labourées, sous peine d’une baisse des subventions de la PAC, n’a pas fonctionné », souligne Xavier Poux.

Des crédits carbone pour mieux stocker le CO2

Depuis, d’autres solutions se développent, à l’image du « paiement pour services environnementaux » (PSE). Cette source de rémunération repose sur le maintien d’écosystèmes jugés bénéfiques à la société, comme la préservation de la qualité de l’eau, la protection du paysage ou de la biodiversité. Ils permettent, par exemple, à un industriel qui utilise une source d’eau potable de rémunérer des exploitants pour le maintien de la bonne qualité de cette source. De la même manière, une collectivité peut soutenir financièrement des agriculteurs afin de conserver le paysage d’un territoire en raison de sa valeur esthétique ou culturelle.

Depuis 2019, les agriculteurs peuvent aussi émettre des crédits carbone, qui sont ensuite vendus sur le marché. Associé à un label bas carbone, un dispositif de certification mis en place par l’Etat, ce système doit donner un coup d’accélérateur aux bonnes pratiques – réduction de carburants pour les machines, baisse des émissions liées à l’usage d’engrais azotés, recours à des cultures permettant de mieux stocker le CO2 dans les sols… -, tout en offrant de nouvelles perspectives de rémunération. Deux secteurs sont pour le moment agréés : l’élevage et les grandes cultures. « Le premier bénéfice de cette comptabilité du carbone, c’est d’avoir des exploitations plus résilientes. Le fait de pouvoir économiser sur un certain nombre de charges permet, par exemple, d’avoir un meilleur rendement économique », explique Samuel Vandaele, le président de France Carbon Agri, une entreprise qui accompagne les agriculteurs dans ces parcours.

Une réglementation européenne plus stricte

Si la France fait figure de pionnière, les initiatives peinent encore à décoller en raison de multiples obstacles. France Carbone Agri dit accompagner actuellement 3 000 agriculteurs, un chiffre dérisoire comparé aux 400 000 exploitations recensées sur le territoire. « Nous sommes en attente de la méthode pour la viticulture, la filière porcine et avicole, et l’arboriculture… C’est en cours de validation par le ministère de la Transition écologique, mais cela prend du temps », souffle Samuel Vandaele. A cela s’ajoute un prix du carbone peu attrayant, qui ne suffit pas toujours à compenser le coût de mise en place des nouvelles pratiques. Présentés comme une solution pour « remettre l’agriculteur au centre du dispositif de transition agroécologique« , les crédits carbone pour l’agriculture semblent faire « pschitt », même au sein de l’Union. Un récent accord entre la Commission et le Parlement européen a été trouvé sur le sujet. Il vise à rendre les certificats de ces crédits plus fiables. Mais il risque par ailleurs de durcir les conditions d’émission de ces crédits par les agriculteurs.

« Nous ne sommes encore qu’au début du sujet », assure Sébastien Windsor, le président des Chambres d’agriculture, qui n’enterre pas pour autant le dispositif. « La question est de savoir comment les entreprises seront incitées à acheter nos crédits carbone », évoque-t-il. Et s’il reconnaît que ces revenus devraient jouer une part marginale dans les finances des agriculteurs, il y voit une complémentarité avec les paiements pour services environnementaux et le volet réglementaire des normes environnementales. « Les PSE pourront valoriser un certain nombre de pratiques, et offrir une solution plus large que celle purement normative ». Une manière pour les professionnels de reprendre la main sur leurs changements d’usages… Et de déconstruire la vision technocratique de la transition.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *