Les contours du controversé projet de fusion de l’audiovisuel public

Les contours du controversé projet de fusion de l’audiovisuel public

Cela doit être l’aboutissement d’un chantier annoncé maintes fois par le gouvernement depuis plusieurs années. L’Assemblée nationale examine à partir de ce jeudi 23 mai la proposition de loi pour la réforme de l’audiovisuel public. Dossier prioritaire de la ministre de la Culture, Rachida Dati, depuis son entrée au gouvernement en janvier, il prévoit notamment à terme une fusion des différents groupes (France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA) afin de garantir la “force” du secteur face à la concurrence des plateformes.

Mais ce projet est vivement critiqué par les salariés des entreprises concernées et par la gauche de l’échiquier politique, qui voient là une déstabilisation de l’audiovisuel public et craignent des coupes budgétaires.

Que contient la réforme ?

Ce texte, défendu par Rachida Dati comme une réponse pour “garantir non seulement une pérennité mais aussi la force” de l’audiovisuel public, doit amener à la “fusion” des différents groupes : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA. Selon la ministre de la Culture, l’audiovisuel public dispose de “forces indéniables” mais aujourd’hui “dispersées”, ce qui l’expose à un “risque d’affaiblissement” face à la concurrence des plateformes internationales comme Netflix.

Pour cela, une première étape doit avoir lieu en 2025 : la création d’une “société holding” à la tête d’un groupe réunissant les quatre groupes. Avant la fusion, donc, prévue pour le 1er janvier 2026. En tout, près de 16 000 salariés seraient concernés par la création de ce nouveau super-groupe, qui serait ensuite dirigé par une seule et même personne. “Le moment politique est venu”, a déclaré Rachida Dati, qui se prévaut du soutien d’Emmanuel Macron, “très attaché à l’audiovisuel public”.

Autre sujet important de la réforme : le financement de l’audiovisuel public. Depuis la suppression de la redevance, en 2022, le secteur est financé provisoirement par une fraction de TVA. Deux députés, Quentin Bataillon (Renaissance) et Jean-Jacques Gaultier (LR) ont en parallèle déjà préparé un texte de loi devant assurer un financement pérenne de l’audiovisuel public via un “prélèvement sur recettes” du budget de l’Etat, à l’image de ce qu’il se fait pour les collectivités locales. La nouvelle société, “France Médias”, devrait disposer d’une enveloppe de 4 milliards d’euros par an. Le gouvernement assure par ailleurs que le but n’est pas de réaliser des économies, et que la réforme devrait même avoir un coût les premières années.

Quel est le calendrier législatif ?

Pour accélérer le processus et s’appuyer sur une base législative existante, Rachida Dati a fait le choix de reprendre une proposition de loi du sénateur Laurent Lafon, du groupe Union centriste, actant la création d’une holding pour l’audiovisuel public. Ce texte avait déjà été voté et adopté en juin 2023 par le Sénat. Ainsi, examiné en commission à l’Assemblée nationale la semaine passée, cette proposition de loi sera débattue dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale ce jeudi et ce vendredi. Un vote solennel des députés sur l’ensemble du texte est ensuite programmé le lundi 28 mai.

Le texte sera ensuite réexaminé au Sénat, où il devrait être la source de nouveaux débats et de modifications. Il a en tout cas déjà été inscrit au calendrier de la chambre haute pour le 19 juin.

Quelles réactions au sein de l’audiovisuel public ?

Du côté des syndicats de l’audiovisuel public, c’est peu dire que l’annonce de cette fusion a été très mal accueillie. Un préavis de grève a été déposé ce jeudi et ce vendredi au sein des quatre groupes, au moment des débats à l’Assemblée nationale. Des perturbations sont à attendre sur les différentes antennes de télévision et de radio publiques.

Particulièrement mobilisés, les syndicats de Radio France redoutent notamment que ce projet ne mène à terme à une absorption de la radio par la télévision. “Cette réforme remet en cause l’indépendance éditoriale et budgétaire de Radio France, garante d’une véritable stratégie de l’audio – radio et numérique – plébiscitée par le public”, font-ils valoir dans un communiqué. De leur côté, les syndicats de France Télévisions dénoncent un projet qui vient “déstabiliser le secteur public”. “Au moment où l’audiovisuel public joue pleinement son rôle face à des médias privés contrôlés par une poignée de milliardaires, pourquoi l’engager dans une fusion qui s’annonce longue, complexe, anxiogène pour les salariés, et sans réel objectif éditorial ?”, ajoutent-ils.

Ce mercredi, plus de 1 100 salariés de Radio France, dont les présentateurs Léa Salamé, Nicolas Demorand et Nagui, ont publié une tribune dans le journal Le Monde dans laquelle ils rejettent cette fusion, la qualifiant de projet “démagogique, inefficace et dangereux”, craignant notamment un risque “démocratique”. “Nous craignons pour l’indépendance de vos médias de service public lorsque l’on nommera, pour cette superstructure, un ou une PDG unique, aux pleins pouvoirs”, pointent-ils.

Au niveau de la direction des différents groupes, les réactions sont également mitigées. La présidente de Radio France, Sibyle Veil, a assuré dans une interview à La Tribune en mars qu’une “fusion de l’audiovisuel public affaiblirait la radio”. La patronne de France Télévisions, Delphine Ernotte, s’était en revanche dite plutôt favorable à ce projet, le qualifiant de “choix de la responsabilité” au Figaro, notamment en matière de dépenses publiques.

Quelles réactions politiques ?

A gauche, cette proposition a sans surprise fait l’objet de très nombreuses critiques. Le groupe La France insoumise s’est dit en “opposition totale” à la création de la holding France Médias, expliquant que la mise en place de ce projet “serait l’aboutissement d’un processus de dénigrement et de fragilisation financière de l’audiovisuel public mené méthodiquement depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en 2017”. Le gouvernement avance “à l’aveugle”, avec une politique “au doigt mouillé”, a lancé le député socialiste Iñaki Echaniz, tandis que l’élue écologiste Sophie Taillé-Polian a affirmé : “Ce n’est pas le retour de l’ORTF qui va nous permettre de concurrencer Netflix.”

Le Rassemblement national devrait de son côté soutenir le projet de loi : si le groupe d’extrême droite a rappelé être en faveur d’une “privatisation de l’audiovisuel français télé et radio à l’exception de l’audiovisuel extérieur” par l’intermédiaire du député Philippe Balard auprès de RFI, il a souligné qu’il s’agissait d’un “un petit pas en avant” dans ce sens.

Mais le cœur de la bataille législative devrait, une fois de plus, se jouer dans les tractations de la majorité avec la droite. Le groupe Modem, par l’intermédiaire du député Erwan Balanant, a déclaré “ne pas voir l’intérêt de l’amendement de fusion” de tout l’audiovisuel public, estimant que “la notion de holding semblait aller dans le bon sens et permettre que chacun reste avec ses prérogatives et ses spécificités”. Un sujet bloque également les élus centristes : l’intégration de France Médias Monde, qui regroupe France 24 et RFI, au sein de la holding. “Il faut laisser à France Médias Monde cette liberté d’exister, de porter la voix de la France avec la spécificité qu’elle a aujourd’hui”, explique-t-il.

En commission, les députés ont finalement voté pour l’exclusion de France Médias Monde de la future holding, à la suite d’âpres discussions. Le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a également affirmé que le gouvernement était finalement pour son exclusion de l’entreprise unique. Un compromis qui pourrait convenir au MoDem… mais pas aux élus LR, qui craignent pour le futur financement du groupe, et ont fait de l’intégration de France 24 et RFI à la holding une condition indispensable à leur soutien. Or, comme souvent, très difficile d’imaginer le gouvernement réussir à faire voter le texte sans les voix des députés LR et surtout des sénateurs du parti de droite, majoritaires à la Chambre haute.