Management dans la fonction publique : pourquoi le DRH Macron a raison

Management dans la fonction publique : pourquoi le DRH Macron a raison

Emmanuel Macron, “top manager” de l’Etat ? Ce mardi 12 mars, face à 700 hauts cadres de l’administration, le président de la République n’a pas mâché ses mots pour remobiliser ses troupes. Voyant dans la crise des démocraties “une crise de l’efficacité de l’action publique”, il s’impatiente : “A chaque étage, on met des freins et à la fin, là où vous avez mis 100 en force, on arrive à 5 ou 10”, déplorant les maigres résultats perçus de la réforme de l’Etat.

Certains regretteront que cette remontrance ait eu lieu face aux caméras. “On ne tance pas publiquement un collectif de managers en prenant à témoin le pays”, s’indigne un consultant. Mais sur le fond, le message fait mouche. Le chef de l’Etat “comprend que le management est un levier extrêmement important de la productivité et de la création de valeur, y compris dans le secteur public, salue Laurent Cappelletti, professeur au Cnam. Des travaux de recherche français en font la démonstration, de même qu’à Harvard et à la London School of Economics”.

Peut-on parler de productivité dans la fonction publique sans susciter la défiance des uns ou l’incrédulité, voire la raillerie, des autres ? “Les services publics se sont construits sur une sorte d’anti-management guidé par la procédure, la classification, la rigidité. On met les agents dans des cases, les salaires n’augmentent pas par rapport à la qualité du travail, mais sur la base d’un concours passé qui n’a rien à voir avec la réalité, poursuit Laurent Cappelletti. Les managers du public doivent motiver, encourager, évaluer les personnels dans un système qui ne le permet pas, ou très imparfaitement. Sans compter que les syndicats se tirent une balle dans le pied, eux qui défendent régulièrement ce type de management bureaucratique et refusent, par exemple, les primes individuelles au mérite.”

Le temps, clé du succès

Pour Bruno Mettling, cependant, “l’Etat n’est pas une machine impossible à réformer”. Ce spécialiste des ressources humaines, qui a fait carrière aux plus hautes fonctions dans le privé (Banques populaires, Orange) comme dans le public avant de fonder le cabinet Topics, juge que “le drame de la transformation de l’administration réside dans le fait qu’elle est soumise au temps court du politique, dont l’horizon ne dépasse pas six mois. Tous les jours, ces administrations subissent des réformes qui remettent en cause les précédentes”. Il relève tout de même quelques réussites, à l’image de la bascule numérique de la Direction générale des Finances publiques menée par Bruno Parent, l’artisan du prélèvement à la source, ou la modernisation de Pôle emploi devenu France Travail, sous la conduite du directeur général d’alors, Jean Bassères. Le point commun de ces succès ? “Des patrons en place pendant cinq ou dix ans, qui ont eu le temps de mettre en œuvre leur transformation.”

La plaie des coûts cachés

Absentéisme, rotation accélérée des effectifs, démotivation… Les administrations qui continuent d’appliquer les vieilles recettes du management voient s’alourdir leurs “coûts cachés” – des charges invisibles dans les comptes publics au moment où elles surviennent, et non prises en compte dans les prévisions budgétaires. La division du travail de Taylor et la bureaucratie de Weber ont vécu. “Ces principes ont pu fonctionner il y a un siècle, mais les mentalités et le rapport au travail ont évolué”, pointe Laurent Cappelletti.

L’universitaire défend l’idée d’un management de proximité, “fondé sur un dialogue permanent pour atteindre un point d’équilibre entre ce que peut faire l’organisation et les souhaits des fonctionnaires”. Cela suppose de l’autonomie et des moyens, certes, mais pour un gain démultiplié. Les chercheurs estiment qu’1 euro investi dans la qualité du management en rapporte 4, en moyenne, en productivité. “C’est bien plus que l’impact de l’investissement matériel”, insiste le professeur au Cnam. Une piste séduisante, alors que l’Etat ploie sous plus de 3 000 milliards d’euros d’endettement et s’est fait houspiller, une nouvelle fois, par la Cour des comptes. L’efficacité managériale ouvrirait un gisement d’économies considérables.

Pour y parvenir, Laurent Cappelletti promeut le concept d'”autonomie concertée”, mélange de verticalité – la hiérarchie et ses ordres descendants – et d’horizontalité, avec des temps de travail plus collaboratifs. Une aspiration qui se heurte, hélas, à la rigidité du statut des fonctionnaires. La réforme à venir de la fonction publique fera-t-elle sauter quelques verrous ? A défaut, le renouvellement générationnel fera son œuvre. Longtemps, même les agents les plus blasés restaient accrochés à leur poste ad vitam aeternam – une source de coûts cachés insondable. Pour les jeunes actifs des années 2020, à l’ère post-Covid, pas question de faire de vieux os si l’on n’est pas convaincu en fin de période d’essai. Autant de chaises vides qui forceront l’administration à bouger.

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