Nouveau Front populaire : créer un statut de “déplacé climatique” est-il une bonne idée ?

Nouveau Front populaire : créer un statut de “déplacé climatique” est-il une bonne idée ?

C’est une petite ligne dans le “contrat de législature” du Nouveau Front populaire (NFP). Une proposition encore floue, glissée dans la partie du programme intitulée “Garantir un accueil digne”. Elle suggère de “créer un statut de déplacé climatique”, et remet sur le devant de la scène un concept depuis longtemps débattu. “L’idée revient régulièrement quand un gouvernement ou un parti veut donner l’impression de s’intéresser à la question, mais je ne pense pas que ce soit avec un statut que l’on va régler ce problème essentiel”, juge le spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement et des migrations François Gemenne.

Inondations massives, vagues de chaleurs inédites, tempêtes dévastatrices… Avec le réchauffement climatique d’origine humaine, certaines parties du globe sont de plus en plus touchées par des phénomènes météorologiques extrêmes.

En 2023, les déplacements liés à ces catastrophes concernaient plus de 20 millions de personnes dans le monde, selon l’Observatoire des situations de déplacement interne. Et le phénomène s’accélère : entre 2008 et 2022, ces mobilités ont augmenté de 41 %. Conséquence, les déplacements de populations deviennent un sujet majeur. Et un épouvantail pour une partie de la droite et de l’extrême droite, qui dénoncent depuis de nombreuses années le programme de la gauche sur la question migratoire.

Des déplacements internes en majorité

Dans ce contexte, la proposition du Nouveau Front populaire aurait mérité plus de clarté. Car pour le moment, elle génère plus d’interrogations que de réponses. Les représentants du NFP, des Verts aux responsables de La France insoumise, ont surtout parlé ces derniers mois du statut de “réfugié climatique”.

Or, les termes de “déplacé” et de “réfugié” recoupent des réalités juridiques et climatiques distinctes. Le cadre de la Convention de Genève de 1951, relative au statut des réfugiés, ne reconnaît pas les motifs environnementaux, mais donne seulement droit à une protection internationale en cas de guerre, de persécution religieuse ou politique. “Le terme choisi dans le programme du NFP peut renvoyer à des déplacements internes ou internationaux. Est-ce que le but recherché est de parvenir à un statut international, dans le cadre des négociations climatiques, ou de déterminer un cadre pour les déplacés à l’intérieur du territoire français ?”, s’interroge Christel Cournil, professeure de droit public à Sciences Po Toulouse.

Cette question est essentielle. L’immense part des déplacements de populations touchées par les conséquences du réchauffement global a lieu dans leur pays de résidence, ou dans les pays voisins. “Un statut de “déplacé climatique” ne concernerait qu’une petite frange de la demande d’accueil en France, car dans les zones touchées par ces catastrophes, les populations ne peuvent tout simplement pas se déplacer sur des distances aussi éloignées pour chercher refuge chez nous”, souligne François Gemenne, qui réfute l’idée d’une explosion de l’immigration si un tel statut devait être créé.

“On pense parfois que l’on va tout régler par le droit”

Outre le débat juridique, l’autre question qui se pose est celle de la qualification du changement climatique. Si une partie de la population mondiale est directement menacée par le changement climatique – comme les habitants des petits États insulaires tels que Tuvalu ou Karibati, exposés à la montée des eaux -, une majorité des déplacements actuels sont liés à des situations où les crises politiques, climatiques et économiques s’entremêlent. “Un agriculteur qui ne peut plus cultiver sa terre en raison d’une sécheresse liée au changement climatique peut aussi être qualifié de réfugié économique car il n’a plus de revenus. On sait aussi que le manque d’eau peut sous-tendre des conflits, ouvrant ainsi une reconnaissance des réfugiés en raison des guerres”, souligne Yves Pascouau, chercheur à l’Université de Nantes et élu sous l’étiquette Place publique à la mairie.

Pour d’autres, l’urgence n’est pas là. “Il y a une quantité de mesures que l’on pourrait prendre, plutôt que de créer un statut spécifique pour les réfugiés climatiques, et qui auraient un effet immédiat”, juge François Gemenne. Le chercheur, qui a participé à la rédaction de l’un des rapports du Giec, mentionne ainsi la Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes. Une initiative internationale, chargée de la protection des populations, dont la France a occupé la présidence tournante en 2019. “Personne n’en parle. Or, c’est un levier intéressant”, juge-t-il.

A l’échelle internationale, le sujet d’un statut spécifique ne semble pas non plus constituer une question centrale pour les pays du Sud. Les grandes discussions lors des sommets internationaux sur le climat, comme les COP, se sont concentrées sur la manière d’obtenir des financements pour l’adaptation des pays au changement climatique, ou sur les réponses aux conséquences post-catastrophe, avec le sujet des “pertes et dommages”. François Gemenne abonde : “La plupart des réflexions dans les pays du Sud portent sur la capacité à acheminer de l’aide, ou sur les leviers pour la financer. On a parfois ce biais, en France, de penser que l’on va tout régler par le droit”. Une manière de dire que le débat sur l’urgence climatique mérite mieux qu’un hypothétique statut.