Nucléaire : pourquoi le programme du Rassemblement national est irréaliste

Nucléaire : pourquoi le programme du Rassemblement national est irréaliste

Refaire de la France le “paradis énergétique” qu’elle était jadis, avec plus de nucléaire et moins de renouvelables… Le programme énergétique du Rassemblement national (RN) est un vaste pari sur l’avenir de la France, mais surtout un vœu pieux, au dire des experts interrogés sur la question. A la lecture du programme de Marine Le Pen pour l’élection présidentielle en 2022, et de celui de Jordan Bardella, le président du RN, pour les élections européennes, c’est un avenir énergétique fait de pénurie et de volatilité du prix de l’électricité qui se dessine. Le parti, qui entendait mettre en place un moratoire sur les énergies renouvelables, compte sur le nucléaire pour assurer la production électrique en France. Quitte à en faire trop. “Le positionnement politique du RN sur le nucléaire a été fluctuant mais ces derniers temps ils veulent montrer qu’ils en font plus que tout le monde”, relève Nicolas Goldberg, spécialiste énergie chez Colombus Consulting et du groupe de réflexion Terra Nova.

Alors qu’Emmanuel Macron souhaite s’engager sur la construction de 14 nouveaux réacteurs nucléaires (un programme pour six nouveaux EPR2 a été lancé par le président de la République, qui a confirmé vouloir ajouter huit EPR2 à ces premiers chantiers), Marine Le Pen propose d’en construire six de plus dans les années qui viennent. Dans son programme de 2022 elle évoque “cinq paires d’EPR pour une mise en service en 2031 et cinq paires d’EPR 2 pour 2036”. “Construire 20 EPR, c’est plus que ce que la filière nucléaire réclame et ne saura faire, et il est complètement irréaliste de penser que ces réacteurs pourraient être construits dans de tels délais”, juge Nicolas Goldberg. Le plan de relance du nucléaire tel que présenté par le chef de l’Etat est déjà un défi industriel majeur et les doutes s’accumulent déjà sur la faisabilité d’un tel projet. Le spécialiste égratigne aussi la solution retenue par le Rassemblement national de construire des réacteurs d’ancienne génération dans le but d’accélérer leur construction et de réduire les coûts : “Le plan d’EDF est de fonctionner avec des réacteurs de seconde génération, repartir sur les anciens design, qui n’ont pas été couronnés de succès, rendrait in fine le programme plus cher et moins performant”, juge-t-il.

Vers un mix plus carboné

En attendant l’arrivée des nouveaux réacteurs, le RN entend prolonger la durée de vie de ceux dont la France dispose déjà au-delà de 60 ans, et mise sur l’optimisation de leur fonctionnement pour produire plus d’énergie. “Leur prolongation est envisageable, et c’est notamment ce qui se fait aux Etats-Unis, mais cela ne peut dépendre de la seule volonté politique car ces prolongements sont soumis à l’approbation de l’Autorité de sûreté nucléaire. Il est aussi très incertain que l’on parvienne à optimiser encore leur fonctionnement pour améliorer leur puissance alors que l’on est déjà au maximum de leurs performances”, tempère Patrice Geoffron, professeur d’économie à l’université Paris Dauphine-PSL et spécialiste du nucléaire. Un autre obstacle se dresse sur la route d’un futur 100 % nucléaire, détaille l’expert : “Au-delà des questions de conception, il y a un défi humain, toute la filière doit déjà accélérer et recruter 100 000 personnes d’ici 2030, pour maintenir les installations en état et construire les suivants… Le programme du RN nécessiterait d’augmenter encore les recrutements ce qui paraît difficile”.

Enfin, il laisserait planer un doute sur la capacité de la France à répondre à la demande croissante en électricité. Selon les projections du Réseau de transport d’électricité (RTE), les besoins électriques de la France vont augmenter très fortement sous l’effet de l’électrification des usages, de la transition de l’industrie et des transports. Les travaux de RTE soulignent à ce titre qu’aucun scénario crédible de décarbonation en France ne pourra être réalisé sans développer massivement l’éolien et le solaire. La production électrique d’origine éolienne et photovoltaïque représente aujourd’hui environ 15 % de l’électricité produite en France. Se passer de ces ressources, aurait pour conséquence un manque d’énergie immédiat qui devra être compensé par l’installation de nouvelles centrales thermiques, au gaz ou au charbon. “On risquerait d’être plus dépendant des énergies fossiles, et donc d’être plus exposés aux soubresauts des prix de l’énergie”, constate Nicolas Goldberg. Ce que cherche justement à éviter le Rassemblement national.