“On arrête tout” : le RN fait trembler la filière de l’énergie éolienne

“On arrête tout” : le RN fait trembler la filière de l’énergie éolienne

Depuis le 9 juin et la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, le monde de l’éolien frissonne. Le score du Rassemblement national, et la perspective d’une majorité d’extrême droite au Parlement, laisse ce secteur industriel, pourtant habitué aux soubresauts politiques, dans l’expectative.

Que faut-il comprendre de la proposition de Marine Le Pen d’instaurer un moratoire sur les énergies renouvelables “intermittentes” ? Faut-il la croire quand elle parlait en 2022 de démonter les parcs éoliens ? Et qu’adviendrait-il des futurs appels d’offres sur les grands parcs offshore tant attendus ? Face à ces propositions, les responsables de la filière hésitent entre incrédulité et inquiétude. “On regarde ce qu’il se passe de très près, mais on n’a pas de boule de cristal, alors on ne veut pas pleurer avant d’avoir mal”, explique le directeur d’un énergéticien.

Affublées de tous les maux, considérés comme “moches”, “inutiles” et trop chères car trop “subventionnées”, les éoliennes font l’objet, ces dernières années, d’une campagne particulièrement offensive de la part de l’extrême droite. Et si le parti semble avoir mis de l’eau dans son vin sur l’acceptation de quelques sources de production comme la géothermie ou la biomasse, les turbines sur mât restent dans le viseur.

Interrogé par L’Express sur la réalité du programme du Rassemblement national, le député sortant Jean-Philippe Tanguy se montre direct. “Sur l’éolien, on arrête tout”, évoque-t-il d’emblée, avant d’introduire quelques nuances dans cette stratégie radicale. “On ne démantèle pas les éoliennes existantes, on prévoit de ne pas renouveler les concessions actuelles”, explique-t-il. “Quelques” unités pourraient toutefois être démontées sur “des sites historiques ou remarquables”, annonce l’expert économique du parti, en prenant l’exemple des falaises de Fécamp.

Un coup d’arrêt ?

Ce changement de politique serait un véritable tournant pour le secteur des énergies renouvelables. L’année dernière, l’énergie éolienne représentait un peu plus de 10 % de la production totale d’électricité en France. C’est aussi un domaine ou les ambitions gouvernementales sont fortes. La loi de programmation pluriannuelle de l’énergie, signée en 2019, prévoit un doublement des capacités actuelles de production d’ici à 2028. Un horizon qui doit permettre à la France de diversifier son mix énergétique et d’assurer la production d’électrons tandis que le nucléaire remonte en puissance. “Si l’on veut poursuivre sur une trajectoire de décarbonation et réduire notre dépendance énergétique, on connaît les solutions, ça passe par plus d’énergies renouvelables, et donc d’éoliennes”, souligne Jules Nyssen, le président du Syndicat des énergies renouvelables.

Énergéticiens, constructeurs, ou développeurs de projets s’inquiètent de voir cette dynamique, longtemps attendue, ralentir d’un coup. “Il y a de nombreuses questions qui se posent sur les appels d’offres en cours, et notamment sur le fameux parc éolien de 10 gigawatts qui avait été repoussé maintes fois mais qui était enfin prévu pour fin 2025”, souligne-t-on au sein d’un groupe énergétique.

Pour le moment, le Rassemblement national se montre flou. Les grands parcs éoliens situés en mer pourraient perdurer si leur arrêt coûte trop cher juridiquement, prévient le député RN, mais pour les quelque 10 000 unités situées sur terre, l’arrivée de l’extrême droite au gouvernement mettrait un coup d’arrêt certain. Un constat qui inquiète peu les grands acteurs, dont la stratégie est centrée sur la diversification et l’international, mais qui impacterait directement les plus petites structures ayant choisi de se concentrer sur le segment des éoliennes terrestre. “Ces petits acteurs tricolores seraient les premiers touchés parce que 90 % de leur activité est en France”, pointe-t-on au sein d’un poids lourd du secteur.

Craintes sur l’emploi

Avec ses vastes façades maritimes, la France représente le deuxième potentiel éolien en Europe, après celui de la Grande-Bretagne. Selon France Renouvelables, qui représente le secteur, un tiers des capacités industrielles des éoliennes offshore européennes se situe dans l’Hexagone. Le fabricant Siemens-Gamesa est installé au Havre pour construire des pales et des nacelles, quand l’américain General Electric Renewable s’est implanté à Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique) et Cherbourg (Manche). “La France est devenue la base arrière du développement et du déploiement de l’éolien offshore en Europe car les entreprises qui ont investi ici ont cru dans la trajectoire et l’ambition affichée par le pays. S’il n’y a plus de perspectives, je ne sais pas si les propriétaires de ces usines vont les maintenir en France”, assure Jules Nyssen.

Au sein de GE Renewable, déjà en pleine réorganisation, la crainte des salariés est palpable. Car le secteur, touché par une hausse des coûts des matériaux et la difficile concrétisation des ambitions nationales, tourne au ralenti. “Un moratoire signerait la fin des appels d’offres pour les nouveaux parcs, et donc la fin du marché en France. Et s’il n’y a plus de marché, il n’y a plus de justification pour GE Renewable de conserver ses usines ici”, confirme un responsable syndical de l’entreprise.

Du côté du Rassemblement national, cette hypothèse est envisagée, et même assumée : “On a besoin d’emplois ouvriers qualifiés pour les autres filières. Si ces entreprises veulent construire des éoliennes en mer dans les autres pays d’Europe, tant mieux, mais le marché français ne leur offrira plus de débouchés”, avertit Jean-Philippe Tanguy. “L’éventualité d’un moratoire fait peser un risque sur la filière des énergies renouvelables, en France mais aussi en Europe. Ce serait la première fois qu’un gouvernement décréterait un plan social à une telle échelle”, souligne Mattias Vandenbulcke, directeur de la stratégie chez France Renouvelables.

En attendant, les acteurs du secteur étudient les scénarios politiques possibles et tentent d’estimer la marge de manœuvre dont le RN disposera au Parlement. “On fait un gros travail d’analyse statistique, on regarde les circonscriptions, pour tenter d’avoir une image de la majorité, absolue ou relative, qui se dégagera”, confirme un responsable. Sans savoir à ce jour si le vent risque, ou non, de tourner.