Pourquoi l’Allemagne réduit-elle l’aide militaire qu’elle consacre à l’Ukraine ?

Pourquoi l’Allemagne réduit-elle l’aide militaire qu’elle consacre à l’Ukraine ?

Deuxième soutien financier de Kiev derrière les Etats-Unis – hors Union européenne -, l’Allemagne a décidé de progressivement réduire son budget dédié à l’aide militaire en Ukraine. Actuellement de 8 milliards d’euros pour l’année 2024, la manne financière sera divisée par deux (soit 4 milliards d’euros) pour l’année prochaine. La planification se veut dégressive puisque seulement 3 milliards d’euros devraient être débloqués en 2026, puis un demi-milliard d’euros annuel à partir de 2027. Fruit d’un accord passé au sein de la coalition de gouvernement dirigée par le chancelier Olaf Scholz – comprenant le SPD (sociaux-démocrates), Die Grünen (Les Verts en français) et le FPD (libéraux) – la décision, motivée par une volonté d’économies budgétaires, divise les économistes, comme le rapporte un article du quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ).

“Je suis quelque peu abasourdi par le fait que l’on veuille apparemment sauver la paix de la coalition au détriment de l’Ukraine et de la sécurité européenne“, a déclaré Moritz Schularick – président du Kiel Institute for the World Economy, un institut de recherche économique allemand – dans les colonnes du FAZ. Le quotidien généraliste assure que la réduction de l’aide allemande entraînerait “des coûts consécutifs bien plus élevés que les moyens actuellement économisés”, mettant notamment l’accent sur un afflux conséquent de réfugiés en cas de “défaite de l’Ukraine“, d’un prolongement dans le temps du conflit.

Mais Jens Südekum – économiste de Düsseldorf et membre du conseil scientifique du forum économique du SPD – ne voit pas dans cette coupe budgétaire “un manquement à la parole donnée à l’Ukraine”. Pour lui, la mobilisation des avoirs gelés russes – sur laquelle mise le gouvernement allemand – assure que l’Ukraine “n’aura pas moins d’argent à disposition l’année prochaine, mais plus que cette année”. En mai dernier, les Etats membres se mettaient d’accord pour mettre à profit les 200 milliards d’euros d’avoirs russes concentrés dans la chambre de compensation Euroclear. Il s’agit d’une infrastructure privée qui participe au bon fonctionnement des marchés financiers. Elle se situe en Belgique.

L’aide à l’Ukraine comme variable d’ajustement

Grâce à cette décision, “les dirigeants européens estiment pouvoir ainsi dégager 2,5 à 3 milliards d’euros par an” pour l’Ukraine, selon le site d’informations Vie Publique, qui dépend de l’administration française. En février dernier, l’Union européenne a également levé un crédit de 50 milliards d’euros, destiné à l’Ukraine, pour la période 2024-2027. “Mais on ne sait pas quand cet argent sera disponible”, alerte Moritz Schularick. De son côté, Jens Südekum reconnaît qu’il est légitime de dire que Kiev a besoin de beaucoup plus de soutien financier. “Mais [débloquer de nouveaux fonds] n’était pas possible avec le FDP”, a-t-il déclaré, mettant en cause l’un des trois piliers de la coalition.

En effet, les conséquences de cette réduction sont avant tout le fruit de la difficulté de trouver une direction politique commune, parmi les membres de la coalition de gouvernement. “Difficile pour Scholz de mettre d’accord des gens qui ont une conception très différente, voire complètement opposée, de l’Etat”, écrivions-nous dans nos colonnes, à l’occasion d’un dossier exclusif de L’Express, consacré à nos voisins germaniques. Ce dernier met en lumière les difficultés économiques rencontrées par la coalition, dont le bilan est “le pire depuis les années Schröder”. L’Allemagne a notamment connu la récession en 2023, voyant son PIB se contracter de 0,3 % par rapport à 2022.

Le SPD profite du contexte économique difficile, ainsi que de la divergence idéologique avec les libéraux du FDP, pour attribuer à ces derniers l’initiative de cette impopulaire coupe budgétaire. Une responsabilité qui tiendrait à la volonté du FDP de respecter la politique du Schuldenbremse – “frein à l’endettement” en français -, l’un des principes fondateurs de la politique économique allemande. Mais Clemens Fuest assure que cette attaque est “trompeuse”. Toujours dans les colonnes du FAZ, le président de l’Ifo – un institut de recherche économique bavarois – affirme que l’argument mettant en cause le Schuldenbremse masque ce que la coalition aurait pu faire de différent pour maintenir l’aide à l’Ukraine en état.

Malgré la coupe budgétaire dans le soutien à l’Ukraine, la coalition présentera un projet de financement auquel il manque encore 12 milliards d’euros. Un montant que les gouvernements s’efforcent toujours d’un montant à un chiffre. En attendant, les conséquences médiatique de la baisse des financements se font ressentir. “Aucune nouvelle commande n’est lancée pour l’Ukraine, car elles ne sont plus financées”, a déclaré le député Andreas Schwarz dans l’hebdomadaire Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung. Ce 19 août, face à l’ampleur médiatique pris par l’annonce, le porte-parole du gouvernement – Wolfgang Büchner – a dû assurer, lors d’une conférence de presse, que “le soutien à l’Ukraine sera poursuivi aussi longtemps que nécessaire et personne, surtout pas le président russe, n’a de raison d’espérer que nous relâchions [NDLR : l’effort].”

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