Réindustrialisation : les bricolages de Bercy pour avoir un bilan plus flatteur

Réindustrialisation : les bricolages de Bercy pour avoir un bilan plus flatteur

On connaissait les comptages des manifestations “selon la police” et “selon les organisateurs”. Pour mesurer l’élan de réindustrialisation vanté jusqu’à plus soif par l’exécutif, Bercy innove : désormais, il faudra distinguer les chiffres “selon Bruno Le Maire” et “selon l’Insee”. La Direction générale des entreprises (DGE), un service du ministère de l’Economie, a dévoilé un nouvel indicateur censé suivre l’évolution des “métiers industriels” en France, et non des “emplois industriels”, comme le fait traditionnellement l’Institut national de la statistique.

La différence ? Les “métiers industriels” comportent “des gestes manuels ou la mobilisation de compétences en lien direct avec l’industrie” mais peuvent être “réalisés dans l’industrie ou les services”. Un ingénieur employé dans une société de conseil, un technicien qui travaille dans le commerce, et hop, voilà deux salariés de plus engagés dans la “mère des batailles” chère à Emmanuel Macron. Peu importe qu’ils n’aient jamais mis les pieds sur une chaîne de production ou dans un labo de R&D.

Comme on pouvait s’y attendre, “la dynamique des métiers industriels fait apparaître un phénomène de réindustrialisation plus marqué et plus précoce que les indicateurs d’emploi industriel traditionnels”, affirme la DGE. Un exemple : en 2022, 108 000 créations de postes dans ces métiers auraient été enregistrées dans le pays, quand l’Insee ne comptabilise que 44 000 emplois industriels supplémentaires, soit un modeste + 1,3 % par rapport à l’année précédente. Bercy voit double. Mais en l’espèce, la manœuvre ressemble quelque peu à de la poudre aux yeux.

Bataille de baromètres

Les services de l’Etat n’en sont pas à leur coup d’essai : en mars, le ministre de l’Industrie, Roland Lescure, se réjouissait du lancement d’un autre indicateur maison relatif au nombre net d’ouvertures d’usines, incluant les créations et les extensions de sites. Un baromètre existait bien jusqu’ici, celui du cabinet Trendeo. Mais il souffrait, expliqua alors l’entourage du ministre, de “biais méthodologiques”…

Cette quête du mètre étalon n’est pas qu’une affaire de statisticiens. Pour juger de la réussite, ou non, du grand chantier présidentiel, il faudra bien, à un moment, relever les compteurs. On se souvient de la charge, il y a quelques semaines, de Bruno Bonnell, le secrétaire général pour l’investissement, contre les prévisions d’un expert, Olivier Lluansi, pourtant mandaté par Bercy. Le premier considère comme “parfaitement atteignable” l’objectif de faire passer à 15 % la part de l’industrie manufacturière dans le PIB en 2030. Au vu des forces et faiblesses de la France, le second estime plus réaliste de viser 12 % à 13 %, contre 10 % aujourd’hui, d’ici à… 2035.

Défi colossal

Dans une étude extrêmement détaillée publiée mi-mai, Bpifrance, la banque publique d’investissement, a documenté la deuxième hypothèse, la plus conservatrice. Verdict ? Cette ambition à 12 % du PIB “impliquerait entre 600 000 et 800 000 emplois nets créés à horizon 2035, soit entre 50 000 et 67 000 emplois salariés supplémentaires par an entre 2023 et 2035 (contre + 32 000 en moyenne par an entre 2021 et 2023). Sachant qu’il y a déjà chaque année 60 000 postes non pourvus et que si l’appareil de formation forme bien 120 000 jeunes par an, la moitié seulement reste dans l’industrie.”

Le défi est absolument colossal. Et “il faudra bien l’énergie de toutes et tous pour ne pas rater la marche”, concluent fort diplomatiquement les auteurs de l’étude – Bpifrance est détenue à parts égales par l’Etat et la Caisse des dépôts.

Les thermomètres n’ont pas fini de chauffer à Bercy…