Tesla en crise : “En Europe, Elon Musk prend le risque de courir à la catastrophe”

Tesla en crise : “En Europe, Elon Musk prend le risque de courir à la catastrophe”

Tesla traverse une passe difficile. Le constructeur américain de voitures électriques a vu ses ventes reculer et son bénéfice fondre comme neige au soleil au premier trimestre de 2024. Acculé, le milliardaire Elon Musk a annoncé en avril vouloir accélérer le déploiement d’un véhicule à bas coûts, alors que la concurrence des constructeurs chinois se fait de plus en plus pressante. Au quatrième trimestre de 2024, l’ambitieux BYD lui a d’ailleurs ravi la place de plus gros vendeur de voitures électriques au monde.

Pour poursuivre son développement sur ses trois marchés américain, européen et chinois, Tesla a démarré les travaux de sa deuxième usine de batteries à Shanghai alors que la contestation continue de faire rage en Allemagne, où il prévoit l’agrandissement de son site proche de Berlin. Pour le maître de conférences à l’université de Bordeaux, Bernard Jullien, le cap à passer pour Tesla sera “très périlleux”.

L’Express : Ventes, bénéfices, cours de Bourse… Les performances de Tesla sont en berne. Son patron Elon Musk a annoncé le licenciement de 10 % des effectifs. Cette nouvelle crise est-elle la conséquence de la guerre des prix initiée par Tesla ? Tient-elle au ralentissement du marché de l’électrique ou a-t-elle des racines plus profondes dans l’entreprise ?

Bernard Jullien: Ce n’est effectivement pas la première crise que traverse Tesla. Chacune suscite la crainte des observateurs, qui se demandent si le groupe sera capable de passer le cap. Je dois reconnaître que je faisais partie des sceptiques lorsque Tesla est passé du Model S, haut de gamme, à des modèles plus accessibles que sont les Model 3 et Y. Or, ils y sont parvenus. A mon sens, ce qui résume le marché de la voiture électrique et le sort de Tesla aujourd’hui, c’est la banalisation.

Le marché s’est normalisé : il y existe plus d’offre que de demande. La concurrence est vive, ce qui se ressent sur les prix. Le marché étant plus tendu, les clients peuvent se montrer plus exigeants. En conséquence, le marché favorable qui a fait le succès de Tesla se marginalise : ils s’adressaient jusqu’à présent à des clients plutôt fortunés et convaincus par leurs discours. Ils ont en outre bénéficié de politiques publiques en Europe ainsi qu’aux Etats-Unis avec l’arrivée de Joe Biden. Cela leur permettait d’occuper une position de rentier dans l’électrique. Sans être en monopole, Tesla avait la capacité de se comporter un peu comme Apple sur le marché de la téléphonie. Aujourd’hui, ils doivent capter une base de clients plus large et bien moins emballée par leurs promesses. Ce qui soulève beaucoup de questions.

C’est-à-dire ?

On peut se demander, dans ce contexte, si Tesla peut se permettre de ne pas avoir de réseaux de distribution physique et une gamme aussi restreinte. Ils espèrent peut-être conserver leur positionnement à la Apple. Dans le cas inverse, ils devront composer avec une différenciation entre les véhicules électriques qui se réduit. Tesla est parvenu à faire la différence face à l’ID3 de Volkswagen et la Renault Megane : seront-ils en mesure de faire de même sur des segments de prix inférieurs, face à la R5 et la Citroën C3 ?

Pour préserver leur avance, ils ont déjà dû sacrifier beaucoup sur le terrain du prix. S’ils veulent continuer à écraser le match, il leur faudra encore sacrifier plusieurs milliers d’euros par voiture, ce qui n’est pas très bien perçu par les investisseurs. Tesla doit choisir parmi ses objectifs. Jusqu’à présent, ils pouvaient être profitables, en forte croissance et bénéficier d’un cours de Bourse dément. Désormais, ils sont un peu comme tout le monde et ne peuvent pas avoir tout et le contraire de tout.

En avril, Elon Musk a réfuté l’idée que Tesla renonçait à mettre sur le marché un véhicule électrique abordable, sans toutefois donner de détails sur le véhicule qu’il pourrait proposer. Tesla a-t-il les moyens de proposer une offre compétitive face à une concurrence chinoise plus performante que jamais ?

Ils sont au fond confrontés aux mêmes difficultés que les fois précédentes, avec des équations à résoudre en termes de coûts industriel et commercial. Le défi est d’autant plus complexe que la gamme de Tesla est peu étoffée : en cas d’échec, ils ne sont pas vraiment en mesure de compenser avec d’autres produits. Sans compter que le concurrent le plus sérieux de Tesla est BYD. Or, BYD bénéficie non seulement d’un soutien étatique colossal, mais maîtrise en plus les batteries. En face, Tesla a certes travaillé de manière poussée sur l’intégration des batteries dans sa chaîne d’approvisionnement et son véhicule mais dépend de fournisseurs pour sortir des voitures performantes. Tout cela rend le cap très périlleux à passer pour Tesla.

Tesla veut intensifier ses efforts dans la voiture autonome, au moment où le reste des constructeurs automobiles concentre ses efforts sur l’électrique. Le pari n’est-il pas risqué ?

Il s’agit plutôt à mes yeux d’une diversion de la part d’Elon Musk. Il est vrai qu’en Californie, la capacité à faire fonctionner des robotaxis est plus importante qu’au fin fond des Etats-Unis et en Europe. Mais ce qui fait le succès de Tesla, ce sont ses véhicules et sa capacité à les vendre ! La faculté du groupe à se projeter a été importante dans sa trajectoire de valorisation en Bourse, mais il est aujourd’hui ramené à des questions très prosaïques et doit prouver sa capacité à vendre des voitures dans un contexte moins favorable que celui sur lequel il a surfé ces dernières années avec l’affaire Volkswagen, puis le retour de Washington dans l’accord de Paris.

L’une des forces de Tesla est aussi sa position en Chine. Quel est son avenir sur le marché chinois, alors que le pays est confronté à une crise économique et que les constructeurs nationaux montent en puissance ?

Il n’est pas impossible que Tesla connaisse le même sort que les constructeurs allemands en Chine. Le groupe a su tenir la dragée haute aux constructeurs chinois sur des véhicules haut de gamme, mais sa domination s’étiole déjà sur des voitures plus accessibles comme les Model Y et 3. Il va devoir se battre pour rester en tête des ventes.

Les positions très controversées d’Elon Musk peuvent-elles peser sur l’image de marque et dissuader des acheteurs de passer commande auprès de Tesla ? Le gros des acheteurs de voitures électriques étant par exemple composé de démocrates aux Etats-Unis…

L’industrie automobile est on ne peut plus politique. Considérer que la voiture électrique est une opportunité pour faire de la destruction créatrice avec beaucoup de destruction et peu de création, comme le fait Elon Musk, comporte beaucoup de risques. De fait, l’électrique a été joué comme un outil de renaissance industrielle par Joe Biden et ce n’est pas à Tesla qu’il a voulu donner de l’activité, bien mais bien à l’industrie automobile américaine historique et à celle qui composait avec les syndicats.

Depuis plusieurs mois, Tesla fait l’objet d’une vaste fronde en Europe, notamment en Allemagne, où le projet d’extension de son usine de Berlin est vivement critiqué. Cette contestation est-elle de nature à freiner son développement ?

Elon Musk peut continuer à s’asseoir sur les conventions collectives et le droit du travail, mais il prend le risque de courir à la catastrophe. Il n’y a pas de raison que l’Europe n’ait pas la même politique que Joe Biden vis-à-vis de Tesla.