“Tradwives” : aux Etats-Unis, les avancées féministes régressent de cinquante ans

“Tradwives” : aux Etats-Unis, les avancées féministes régressent de cinquante ans

Chaque soir, avant le retour de son mari électricien, Estee Williams se pomponne. Elle met des boucles d’oreilles, un diadème, une touche de parfum… A l’entendre, c’est le point d’orgue de sa journée après avoir fait le ménage, les courses et mitonné de petits plats. Cette blonde platine de 26 ans à l’allure de Marilyn Monroe qui affectionne les robes à fleurs vintage, est une “Tradwife” – une épouse traditionnelle.

Ce mouvement de jeunes femmes, la plupart blanches et souvent chrétiennes pratiquantes vante les vertus de la ménagère des années 1950, glorifie les tâches domestiques, et promeut la soumission au mari. “Je mets les désirs de mon époux avant les miens et cela m’a été bénéfique ainsi qu’à mon mariage,” affirme Estee Williams. Elle a choisi cette vie, dit-elle, car elle est “plus simple” que celle de sa mère divorcée qui jonglait entre famille et boulot.

Elle n’est pas la première à faire l’apologie de la femme au foyer. La nouveauté, c’est que ces épouses “tradi” se servent des réseaux sociaux pour montrer leur existence comme un choix désirable. Estee Williams sur TikTok danse en battant les œufs en neige et présente sa collection de tabliers. On ne la voit jamais en revanche en train de faire la vaisselle ou de récurer les toilettes. Nara Smith, autre célébrité, est connue pour ses vidéos dans lesquelles elle confectionne elle-même les cornflakes du petit-déjeuner de son époux, en pyjama en soie blanche, impeccablement maquillée. Quant à son sandwich au fromage, le pain et la mozzarelle sont, bien sûr, faits maison.

@esteecwilliams

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♬ Come and Get Your Love – Redbone

Hannah Neeleman, elle, fait la chronique de son existence idyllique dans une ferme en Utah avec ses huit enfants. Mais les millions d’individus qui la suivent sur les réseaux sociaux ne sont pas tous des fans à en juger par les messages aigres doux. Ils l’accusent notamment d’hypocrisie. L’ex ballerine ne mentionne pas qu’elle est mariée à l’héritier d’une grosse fortune ce qui lui assure sans doute une certaine aide. “C’est ironique de se qualifier de ‘tradwife’ alors que ce sont des femmes d’affaires. Elles travaillent à temps plein pour faire leurs vidéos, leur promotion et certaines gagnent beaucoup d’argent”, analyse Elizabeth Velez, spécialiste d’études féminines à l’université de Georgetown.

Evidemment les critiques dénoncent cette conception rétrograde de l’épouse et cette vision romantique des années cinquante. Elles soulignent aussi que peu de couples peuvent se permettre de vivre sur un seul salaire. Et beaucoup s’inquiètent de la récupération politique par les conservateurs qui prônent un retour à l’Amérique blanche, chrétienne, sans avortement ni mariage gay… “Elles sont exploitées comme des pions de la droite, reprenant des vues extrémistes qu’elles enveloppent d’un emballage ostensiblement plus acceptable”, observe Jacqueline Beatty, professeur d’Histoire à York College of Pennsylvanie.

“Les femmes sont excitées à l’idée du mariage”

Harrison Butker, un joueur de football américain issu de cette droite religieuse, a amplifié récemment la controverse. Invité à prononcer un discours lors de la remise des diplômes d’une petite fac catholique du Kansas, il a attaqué le droit à l’avortement, les LGBTQ et lancé aux étudiantes : “Certaines parmi vous vont peut-être mener des carrières réussies dans le monde, mais je me risque à dire que la majorité d’entre vous est plus excitée à l’idée du mariage et des enfants”. Ce qui a suscité moult critiques y compris des religieuses chargées de la fac. “Une de nos inquiétudes concerne l’idée qu’être ménagère représente la plus haute vocation pour une femme”, ont-elles écrit. Nombre de nos élèves ont fait “une énorme différence dans le monde… en termes de leadership, de savoir et de carrière”.

Le phénomène des épouses “tradi” reste sans doute marginal, mais il traduit un désenchantement chez les jeunes. C’est moins une réaction anti-MLF qu’un “échec du système”, poursuit Elizabeth Velez. Il n’y a pas d’aides ici à la famille, les crèches coûtent aussi cher que la fac. La vie des mères qui travaillent est tellement difficile qu’elles cherchent d’autres modèles”. Quant à Estee, son incursion sur les réseaux sociaux a mis, reconnaît-elle, un peu “de piquant” dans son existence.