Travail à distance : ces métiers bouleversés par la nouvelle délocalisation numérique

Travail à distance : ces métiers bouleversés par la nouvelle délocalisation numérique

Lorsque Amazon a lancé ses magasins sans caisse, Just Walk Out, l’innovation a été saluée comme l’avenir du commerce de détail. Les clients entrent dans les magasins en utilisant la reconnaissance palmaire connectée à une carte de crédit. Des caméras capturent ensuite des images de ce que les clients prennent. Puis, une intelligence artificielle se charge de les analyser et de les facturer automatiquement. Début avril, Amazon a cependant annoncé qu’il supprimait la technologie dans ses épiceries américaines Amazon Fresh – même s’il la maintient dans ses magasins Amazon Go. L’innovation a alors été décriée. Les critiques suggéraient qu’Amazon utilisait un millier de travailleurs en Inde pour accomplir la tâche censément assurée par l’intelligence artificielle. En réalité, ces travailleurs sont chargés de comparer les achats réels avec ce qui a été analysé par l’algorithme afin de le réentraîner. Un processus très classique en apprentissage automatique.

Le recours à des “Turcs mécaniques” a souvent été dénoncé. L’expression fait référence à cette célèbre mystification construite à la fin du XVIIIe siècle où un prétendu automate joueur d’échecs était en fait animé par un humain. Tiny Mile, qui gère un service de robots de livraison de nourriture à domicile, s’appuie sur des pilotes aux Philippines, tandis que les robots de Kiwi, utilisés sur certains campus universitaires américains, font appel à des travailleurs en Colombie gagnant moins de 2 dollars de l’heure pour les aider à effectuer les livraisons. Dans le registre de l’exceptionnel, on accepte parfois qu’un chirurgien prenne le contrôle à distance d’un automate pour réaliser une intervention.

Mais ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est la fourniture, assumée, d’un service de contact du quotidien par un humain à distance. A New York, dans la chaîne de restauration rapide d’origine japonaise Sansan Chicken, vous aurez la surprise de voir que l’employé qui prend votre commande se situe dans son domicile aux Philippines et interagit avec les clients via Zoom. Il est employé par la société Happy Cashier, qui permet aux restaurants d’externaliser leur main-d’œuvre à l’étranger. Le phénomène n’est pas si nouveau qu’il en a l’air. La chaîne canadienne de restauration rapide Freshii avait été au cœur d’une polémique en 2022 lorsqu’il avait été révélé que ses caissiers à distance basés au Nicaragua gagnaient 3,75 dollars de l’heure contre 16 dollars pour un caissier physique.

Contrôler les aléas

Les entreprises ont tendance à préférer cette expérience à un pur automate car elle améliore la satisfaction client et permet de contrôler les aléas. Le fait d’avoir un échange avec un humain, même à distance, suscite plus d’empathie et limite de ce fait le risque d’agacer le client. Les détaillants, de Dollar General à Walmart et Costco, repensent également le recours aux caisses automatiques, car ils constatent qu’elles entraînent des pertes de marchandises plus élevées en raison des erreurs que commentent parfois les clients, mais aussi des vols à l’étalage.

Les agents d’accueil à l’entrée des bâtiments sont un autre cas d’usage. Cela peut être une personne qui valide l’ouverture de la porte à distance ou qui accueille les visiteurs via un grand écran. Le prix de cette prestation est souvent le tiers de celui d’une personne à temps plein. La société Virtual Doorman équipe 400 immeubles résidentiels et tertiaires rien qu’à New York. Mais ce service est aussi diffusé dans des pays émergents tels que l’Argentine ou l’Uruguay, comme s’en étonnait l’entrepreneur Pieter Levels (Nomad List) récemment.

Ce travail à distance est permis par la fluidité toujours plus grande des télécommunications et la qualité accrue des caméras. C’est ce qui permet d’imaginer la réalisation à distance d’autres métiers de service de proximité. C’est le pari de la start-up allemande Vay qui vient de lancer son service de voituriers à Las Vegas. Un simple clic et une voiture électrique se présente à vous mais personne n’est assis à la place du conducteur. Car le chauffeur est à distance dans un simulateur avec un volant, des pédales, des freins et trois écrans. Vous conduisez la voiture le temps de vous rendre à votre destination et n’avez qu’à descendre pour laisser le voiturier reprendre le contrôle le temps d’aller stationner le véhicule. Le service coûte 30 centimes par minute pour conduire la voiture contre 25 dollars pour un voiturier sur place. Un tout nouveau genre de télétravail.

Robin Rivaton est directeur général de Stonal et membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol)