Viktor Orban à la présidence de l’UE : la voie étroite du roi de la provoc’

Viktor Orban à la présidence de l’UE : la voie étroite du roi de la provoc’

Ce n’est un secret pour personne : Viktor Orban vénère Donald Trump. A tel point que le Premier ministre hongrois a emprunté à son alter ego américain son dernier slogan : “Make Europe Great Again”, formule provoc’ lancée en guise de programme pour la présidence tournante de l’Union européenne dont la Hongrie prend les rênes ce lundi 1er juillet. “Rendre à l’Europe sa grandeur”. La promesse peut étonner venant du trublion en chef du Vieux continent. Réfractaire invétéré au soutien à l’Ukraine, dénigreur du Pacte Vert, camarade de Vladimir Poutine et Xi Jinping, fossoyeur de l’Etat de droit dans son pays : la voix de l’Europe pour les six prochains mois sera donc celle du chantre de la “démocratie illibérale”… “Orban sera tiraillé entre le désir d’imposer une forme de respectabilité face à ses partenaires européens qui le voient comme le mauvais élève, et une volonté d’imposer sa signature en ralentissant certains dossiers, notamment le soutien à l’Ukraine”, prédit Blanche Leridon, directrice éditoriale de l’Institut Montaigne et coauteure de la note Union européenne : portée et limites des nationaux-populistes (avril 2024).

“Le slogan choisi par Orban traduit la mutation de la droite extrême, qui ne se dit plus ouvertement europhobe et ne prône plus la sortie de l’UE – à l’image du Rassemblement national en France -, ce qui a rendu ce courant plus fréquentable et populaire aux yeux des électeurs, explique l’ancien directeur de l’Institut Jacques Delors Yves Bertoncini qui enseigne à l’ESCP. ‘Make Europe Great again’signifie : investissons l’espace politique européen mais à notre manière : pour défendre l’identité européenne, en luttant contre l’immigration ; et aussi pour sauvegarder le mode de vie européen contre les’technocrates écologistes’, qui sont derrière toutes les mesures du Pacte vert, en particulier l’interdiction des moteurs thermiques au sein de l’Union européenne à l’horizon 2035, votée en février 2023.”

18 milliards d’euros, le trou béant dans la caisse d’Orban

Face à l’inquiétude suscitée à Bruxelles, les diplomates hongrois promettent qu’il n’est pas question de “troller” cette présidence. Quand bien même Orban le voudrait, sa voie serait étroite. “La Hongrie a tout intérêt à ce que ce mandat de six mois se passe bien, malgré l’amour d’Orban pour la provocation, rappelle Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman. N’oublions pas que 18 milliards de fonds communautaires destinés à ce pays restent suspendus par la Commission européenne depuis 2022 pour non-respect de l’Etat de droit.”

Du reste, la tradition invite à la retenue sur ce poste. “Il y a un code de conduite tacite pour l’Etat qui assume ce rôle d’intermédiaire, une position spéciale puisque l’Etat en question est à la fois l’arbitre et l’un des joueurs” explique Yves Bertoncini. Le leader populiste arrive par ailleurs dans une période creuse pour les 27. Non seulement la pause estivale tronquera inévitablement ce mandat, mais l’heure est au renouvellement des institutions au lendemain des élections européennes. “L’agenda législatif ne sera pas très dense, précise Blanche Leridon : le Parlement européen n’a pas encore fait sa session inaugurale (prévue le 16 juillet), la nouvelle Commission européenne n’est pas au complet puisque la présidente Ursula von der Leyen doit encore se faire adouber et chacun des 27 Etats membres doit nommer son commissaire. Ce n’est donc pas un moment d’intense production de normes, ce qui devrait tempérer les velléités de blocage de Viktor Orban.”

De fait, la feuille de route présentée par le patron du Fidesz (son parti d’extrême droite) se veut plutôt consensuelle. Parmi les priorités affichées, le pacte européen sur la compétitivité, dans la droite ligne du discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron, de la présidence belge précédente et des grandes ambitions de la Commission, qui promeut le réveil européen face à la compétition chinoise et américaine. “Par ailleurs, Orban promeut un élargissement à géométrie variable, plutôt dirigé vers les Balkans occidentaux, en particulier vers la Serbie, reprend Blanche Leridon. Il défend par ailleurs une politique agricole commune orientée vers les agriculteurs (comprenez : moins d’écologie).”

Des garde-fous contre le maître chanteur de l’Europe

Sans surprise, les deux sujets les plus clivants concernent l’immigration et l’Ukraine. Depuis 2022, Viktor Orban fait tout pour retarder l’aide européenne au pays agressé par l’armée russe, freiner la mise en œuvre des sanctions occidentales contre Moscou, et retarder le début des négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’Union. Ce dernier dossier a été ouvert sous le précédent mandat du Conseil de l’UE. “On sait depuis des mois que la Hongrie arrivera à la présidence le 1er juillet 2024, les partenaires européens ont donc fait en sorte que le moment crucial du vote sur le processus d’adhésion se fasse avant cette date”, explique Blanche Leridon.

En poste à Bruxelles, Orban ne sera pas seul aux manettes. “Il ne s’agit pas d’une super présidence de l’UE” ajoute l’analyste. Le pouvoir reste réparti entre les différentes institutions européennes : outre le Conseil de l’UE (qui réunit les ministres), le Conseil européen (qui réunit les chefs d’Etat et de gouvernements), le Parlement européen et la Commission pèsent également.

Il n’empêche que, pendant six mois, Viktor Orban disposera d’une tribune à Bruxelles. Il pourrait l’utiliser pour flatter son ami Vladimir Poutine, mais aussi pour tenter d’échafauder une “convergence des conservateurs” explique Yves Bertoncini. Le Parti populaire européen (PPE) reste dominant dans l’hémicycle strasbourgeois, et a même consolidé ses oppositions lors des élections, début juin. Viktor Orban, ex-membre de ce PPE, peut jouer un rôle de pont entre la droite extrême et les conservateurs. Dans cette configuration, le risque de blocage de l’Europe est réel.”

Une hypothèse de plus en plus probable : le chef du gouvernement hongrois a annoncé dimanche 30 juin son intention de former un nouveau groupe parlementaire européen avec le parti d’extrême droite autrichien et le mouvement centriste de l’ancien Premier ministre tchèque Andrej Babis. Son nom ? “Patriotes pour l’Europe”. Pour siéger au Parlement européen en tant que nouveau groupe politique, cette alliance a encore besoin du soutien de quatre autres pays européens.