Vivre sans Mélenchon ou mourir avec lui : après la dissolution, le dilemme de la gauche

Vivre sans Mélenchon ou mourir avec lui : après la dissolution, le dilemme de la gauche

De tous les scénarios envisagés, c’est le moins prévisible qui s’est imposé à la gauche, le moins travaillé par les sachems, qu’ils s’appellent Raphaël Glucksmann, Jean-Luc Mélenchon, Marine Tondelier ou Fabien Roussel. Tous, surpris sinon gagnés par la sidération : la dissolution, annoncée par un Emmanuel Macron acculé face à un Rassemblement national grand vainqueur des élections européennes, leur met le couteau sous la gorge. Ces législatives surprises qui se tiendront les 30 juin et 7 juillet prochains promettent de nouvelles migraines. L’union, disent-ils tous, apparaît nécessaire plus que jamais mais chacun à sa recette, qu’il croit meilleure que l’autre. Ce qui était possible hier – la Nupes, morte désormais – est-il encore possible aujourd’hui ? Oui disent les Insoumis, attachés au programme commun de 2022 et ses 600 mesures. Non rétorquent les socialistes, qui considèrent eux que l’élection européenne rebat les cartes des accords comme du programme d’antan. D’ailleurs, la campagne des législatives à venir ne saurait, dixit un cadre de la direction socialiste, reprendre “la marque Nupes” pas plus que le slogan “Jean-Luc Mélenchon, Premier ministre”.

Dimanche soir et dans la nuit, les boucles de conversations entre les dirigeants de la gauche étaient sens dessus dessous. Des questions, par dizaines. Quelles législatives ? Faudra-t-il reconduire les 151 députés de gauche sortants ou de nouveaux candidats ? Faut-il de nouveaux candidats, avec plus de socialistes et donc moins d’Insoumis dans les circonscriptions perdues à l’époque ? Et pourquoi redonner plus de place aux écologistes, affaiblis comme rarement ils l’ont été dans le scrutin européen ? Et des interrogations aussi, plus terre à terre mais non moins légitimes à gauche tant on brandit l’éthique et la morale comme un étendard : quid d’Adrien Quatennens ? La gauche peut-elle reconduire un député condamné pour violences conjugales et qui purge encore sa peine de sursis ? Que fait-on de Bernard Cazeneuve et de ses amis ?

Bien avant le scrutin, un grand élu local socialiste avait prévenu Pierre Jouvet, porte-parole du PS et l’un des artisans de la Nupes : “En cas de dissolution, Bernard Cazeneuve peut être un recours.” Haussement d’épaules. Maintenant que Jordan Bardella a un pied à Matignon, qui a le luxe d’être excluant ? De rejouer l’éternel Congrès socialiste ? Cette fois-ci, ce n’est plus “la faute de François Hollande”, comme on aime trop souvent le répéter à LFI, chez les écologistes et même au PS.

“La bande à Jean-Luc Mélenchon, c’est non”

Tout au long de la soirée, puis dans la nuit de dimanche à lundi, la Bellevilloise, le centre culturel où le candidat PS-Place publique tenait sa soirée a été le théâtre d’un ballet incessant de socialistes. Les pontes du PS, artisans de la Nupes ou opposants à l’accord de 2022, proches d’Olivier Faure comme ses contempteurs, ont emprunté tour à tour l’escalier en colimaçon qui grimpe jusqu’au toit-terrasse. Là-haut, des conciliabules à n’en plus finir auxquels Glucksmann participait. C’est qu’il ne s’agit plus seulement d’élection européenne, mais désormais de l’Assemblée nationale, de Matignon et donc des trois ans de politiques qu’il reste dans ce quinquennat. “Quand l’extrême droite est à 40 %, notre responsabilité est immense”, résume la maire de Nantes et numéro deux du PS, Johanna Rolland.

Le candidat PS-Place publique, fier de ses 14 % dans les urnes, veut avoir son mot à dire sur les conditions de l’union de la gauche, et ne s’en cache pas. Devant les caméras, il a tonné : “J’ai une responsabilité, celle de rassembler tous les gens qui se reconnaissent dans la ligne que j’ai défendue pendant cette campagne mais se reconnaissent aussi dans une méthode, un code de conduite, une éthique. Et je n’ai pas l’impression que Jean-Luc Mélenchon ait été sur cette ligne.” Face au PS et à Faure, en coulisses, Glucksmann renchérit : “La bande à Jean-Luc Mélenchon, c’est non.” Et les proches d’Olivier Faure de lui rétorquer : “Les législatives, c’est différent, ce n’est pas une proportionnelle. Il s’agit de faire 50 % plus un.”

À l’impossible nul n’est tenu, mais la gauche un peu tout de même. Olivier Faure, l’écologiste Marine Tondelier, le communiste Fabien Roussel se sont déjà donné rendez-vous ce lundi, et d’autres invités vont s’installer à la table des négociations. Le temps est compté. Ceux-là ne veulent pas repartir avec le programme de la Nupes, mais admettent en même temps qu’il est impossible de redessiner un projet commun en si peu de temps. Jean-Luc Mélenchon n’a pas attendu les bavardages pour mettre la pression sur le reste de la gauche. Si union il doit y avoir, c’est avec lui, encore une fois, avec le programme de la Nupes de 2022. Dans un communiqué publié dans la nuit, les Insoumis appellent à un rassemblement aux conditions fermes, qui doit “fermer la page des reniements des mesures du programme partagé de gouvernement de la Nupes et de l’ambiguïté de certaines composantes sur les grands sujets de la campagne des élections européennes”. Ils demandent au PS, aux écologistes et aux communistes de “réaffirmer” toute une liste de mesures du programme de 2022, et notamment “le retour à la retraite à 60 ans, le blocage des prix sur l’énergie et les produits de première nécessité” et “le refus de l’escalade de la guerre en Ukraine et la fin du génocide en cours à Gaza en reconnaissant l’Etat de Palestine, en décrétant un embargo sur les livraisons d’armes et en infligeant des sanctions au gouvernement de Netanyahou.”

“Mélenchon ne veut pas de l’union, il veut le front, le front national”

Quand elle est dos au mur, la gauche aime s’en remettre à son glorieux passé. François Ruffin, depuis Amiens, réclame un nouveau Front populaire. “Nous appelons Olivier Faure, Fabien Roussel, Marine Tondelier, Manuel Bompard à la porter, ensemble. Insoumis, communistes, socialistes, écologistes. Unis. Pour éviter le pire, pour gagner”, exhorte-t-il, prenant de vitesse Mélenchon et la direction de LFI. Là où eux posent des conditions, Ruffin créer des ponts, face à la gravité du moment, en posant le mot-clef – loin d’être magique – de “Front populaire” que Roussel et Faure ont repris d’une même voix. En proposant ce lundi matin au reste de la gauche de se réunir pour préparer le rassemblement, Manuel Bompard et Mathilde Panot sont apparus pris de court et se raccrochent tardivement au wagon unitaire tiré par la locomotive Ruffin.

Il n’empêche que les socialistes attendent aussi des clarifications de la part des Insoumis après une campagne européenne d’une rare violence, des expressions de certains qualifiées d’antisémites, des hordes d’anonymes, soutiens proclamés de LFI, s’attaquant aux seuls candidats juifs de la liste européenne, Glucksmann et Rafowicz, et au député Jérôme Guedj. Mélenchon qualifiait il y a peu ce dernier de “lâche” et de “délateur”, éructant contre son ancien protégé qui s’agiterait “autour du piquet où le retient la laisse de ses adhésions”. Des lignes rouges ont été franchies, et, ce lundi matin, au micro de France Inter, Olivier Faure a donné le ton : “Je ne m’alignerai pas sur ce que dit Jean-Luc Mélenchon.” Et François Ruffin, quelques minutes plus tard sur la même radio, déplore : “On n’a toujours pas de réponse de Manuel Bompard.”

Migraine

Que cherche Mélenchon ? “Il ne veut pas de l’union, il veut le front, le front national, estime un partenaire de route d’antan, convaincu que le leader insoumis est prêt au pire, à savoir faire capoter l’union et envoyer Bardella à Matignon. “La situation est prérévolutionnaire”, se plaît à croire Mélenchon, lui qui a compris aux législatives de 2022 que l’union des gauches n’est toujours pas en capacité de gagner par les urnes. Le score cumulé des gauches atteint difficilement les 30 % aux européennes, et celui de Raphaël Glucksmann se fait sur tous les lieux de la Macronie sociologique. Celui qui ne voterait pas pour Mélenchon. Alors ce dernier n’a qu’à alimenter les braises des gauches irréconciliables, et tout particulièrement sur les questions internationales. Dans son discours dimanche soir, il s’emportait contre le souhait d’Emmanuel Macron “d’approfondir la présence militaire en Ukraine dans une logique d’agressivité contre la Russie qui a été reçu comme tel par celle-ci”.

Dès lors, la pression est sur les épaules insoumises. Faut-il sauver Mélenchon à tout prix ou le pousser à la retraite ? Que feront les frondeurs Clémentine Autain, Alexis Corbière, François Ruffin, Raquel Garrido, Danielle Simonnet, et la quinzaine d’autres députés qui remettent en cause les choix du chef de temps à autre ? Eux qui avaient un plan sur trois ans, pour préparer l’alternative à Mélenchon en 2027, sont au pied du mur, poussés par l’urgence. Rompront-ils avec lui, une bonne fois pour toutes, devant le danger de l’extrême droite ? Et que feront les gardes rouges, ces plus proches du chef insoumis ? Jusqu’où va leur fidélité vis-à-vis de lui ?

Telle est l’évidence : si l’union de la gauche paraît indispensable, elle est devenue impossible avec Mélenchon. Lui le sait, regarde les sondages qu’il feint d’exécrer et les résultats du scrutin dans les détails, alors pourquoi faire vivre un espoir qui n’existe pas dans la réalité électorale ? Fièvre dans le pays, migraine et nuit des longs couteaux à gauche.