Bardella ou Mélenchon au pouvoir, nos institutions résisteraient-elles ?

Bardella ou Mélenchon au pouvoir, nos institutions résisteraient-elles ?

Que personne ne crie, il existe une lecture optimiste des votes extrêmes. Si certains osent, malgré les mises en garde, les réprimandes parfois, pourquoi ne pas songer qu’ils le font parce qu’ils possèdent avant toute chose, une foi immense en nos institutions ? Difficile de nier, la Ve n’a pas été fondée en un jour et ses piliers ne sont ni légers ni chancelants. Les chevauchées solitaires paraissent périlleuses (Emmanuel Macron peut en témoigner) et la République possède ses garde-fous.

Que personne ne hurle, il existe une lecture pessimiste des votes extrêmes. Serait-il fou de songer que certains s’y hasardent précisément parce que ce qui constitue l’état social, le collectif, nos institutions au sens des structures qui nous permettent de vivre ensemble, ne sont plus qu’un paysage lointain et brumeux ? L’école, la police, la justice… Quand plus rien n’est à la hauteur, comment cela peut-il être pire, pourquoi cela serait-il pire ? La “prise de conscience républicaine” que des responsables politiques, intellectuels, etc. appellent de leur voeu, “le risque de chaos” agité sous le nez des votants pour les détourner de leurs excès, quel effet pour ceux qui devant chez eux n’aperçoivent plus la République, ou si peu ?

A la question, les institutions protègent-elles contre le réel, l’académicien et ancien conseiller d’Etat François Sureau répond : “Elles ont pour but de le civiliser en tout cas…” Idéal partagé mais pas toujours constaté. Car un autre phénomène a fait son apparition : quand elles demeurent visibles, audibles, tangibles, les institutions se teintent, parfois, de vulgarité. Des députés ont tenu à l’Assemblée nationale un langage délirant, d’autres ont exprimé des ambitions indécentes parce qu’à contretemps, l’Elysée s’affiche en ce moment même comme le théâtre d’un jeu de pouvoir entre conseillers… Le processus de civilisation de la vie politique ? En net recul.

Les institutions politiques ressortiront-elles légitimées par ce “retour au peuple” ? “Cette dissolution, loin d’offrir une issue démocratique à la crise profonde que traverse notre société, ouvre un peu plus en grand une porte sur la violence et le chaos que les institutions pourraient avoir bien du mal à maîtriser”, redoutait Henri Guaino, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, dans Le Figaro du 20 juin. Dans quel état se retrouvera la clé de voûte du système ? “Emmanuel Macron ne partira jamais”, martèlent ses proches. Mais le président doit s’effacer pour survivre, sa longévité est devenue sa fragilité, il veut voir dans le compte à rebours de son départ la preuve de son désintéressement quand ses adversaires y voient le début de sa fin. L’Assemblée nationale qui naîtra les 30 juin et 7 juillet échappera-t-elle à la “fièvre” et au “désordre” évoqués par le chef de l’Etat le 9 juin au soir pour justifier la dissolution ? “Il faudra un gouvernement à cette chambre, quoi qu’il arrive, c’est la seule certitude puisque aucune dissolution n’est possible pendant un an”, dit-on à l’Elysée. Lorsqu’on convoque les électeurs pour “un temps de clarification indispensable”, que se passe-t-il s’il débouche sur une obscurité inédite ?

2024 montrera aussi, d’une manière inattendue, les conséquences de la révision constitutionnelle de 2008, adoptée alors que beaucoup pensaient impossible une nouvelle cohabitation et que personne ne croyait en l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Elle impose à un président d’arrêter au bout de deux mandats. Elle modifie aussi le processus de nominations. Cas d’école : au début de 2025, le Conseil constitutionnel, qui peut se révéler un allié d’Emmanuel Macron en cohabitation et que la droite et l’extrême droite ciblent régulièrement, verra trois de ses membres changer, après un renouvellement décidé par le président de la République, celui de l’Assemblée nationale, celui du Sénat. Ces choix devront être validés par les commissions des Lois du Parlement, qui disposeront d’un droit de veto si une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés s’oppose au nom proposé. Equilibre des pouvoirs ou paralysie du système ? Est-ce ainsi que des institutions meurent ?