Bras de fer Macron-Pouyanné : et si TotalEnergies avait raison ?

Bras de fer Macron-Pouyanné : et si TotalEnergies avait raison ?

“La France accompagne ceux qui croient en la France, pas les autres”, assène, un brin empathique, le président de la République dans son interview à L’Express. Le message, adressé à Patrick Pouyanné, est clair : Emmanuel Macron voit d’un mauvais oeil le projet de cotation principale à New York étudié par le PDG du groupe pétrolier et TotalEnergies a tout intérêt à demeurer dans son pays natal. Cependant, “du point de vue de TotalEnergies, c’est un choix rationnel à long terme, à la fois pour l’entreprise et ses parties prenantes”, affirme sans détour le conseiller économique de Pictet AM Christopher Dembik, rappelant que d’autres sociétés françaises l’ont fait avant lui, à l’instar de Criteo, Sequans Communication ou encore Flamel Technologies.

“Cela n’augure pas le transfert du siège social. Celui de Criteo est toujours à Paris, par exemple, ajoute-t-il. TotalEnergies restera une entreprise française, continuera de contribuer fiscalement au budget français (200 millions d’euros en 2023) et, à ce titre, devrait bénéficier du soutien de l’Etat dans ses activités en France et à l’étranger, comme n’importe quelle autre entreprise française”.

Trois bonnes raisons

Ancien banquier d’affaires, le chef de l’Etat sait combien la bourse américaine est exigeante. Au point d’avertir la direction de la société. “Quand […] on connaît les risques de contentieux lorsqu’on est coté aux Etats-Unis, je pense que cela se regarde à deux fois”. Néanmoins, le groupe de Patrick Pouyanné aurait sans nul doute une carte à jouer en s’exilant. “Généralement, le transfert de cotation répond à un ou plusieurs des objectifs suivants : se développer sur le marché américain, trouver des comparables cotés et donc potentiellement accroître la valorisation, trouver des analystes et des investisseurs avec une connaissance et un appétit pour le secteur”, souligne Christopher Dembik. TotalEnergies coche toutes ces cases.

Sur le plan commercial, l’intégration des activités solaires de l’américain SunPower en 2022 lui ouvre un champ d’opportunités outre-Atlantique. S’agissant de l’attrait des investisseurs pour le titre, la dynamique est clairement plus favorable auprès des institutionnels américains. Les Européens, au contraire, se délestent, contraints par une réglementation qui leur enjoint de prendre en compte des critères environnementaux et sociaux dans leurs décisions d’investissement. Enfin, en allant se coter à Wall Street, TotalEnergies peut rêver d’une meilleure valorisation boursière. “Ses concurrents américains, comme Chevron et ExxonMobil, ont une capitalisation deux à trois fois supérieure. Et les écarts de résultats financiers et de production énergétique ne suffisent pas à expliquer cette différence. Outre-Atlantique, la création de valeur dans l’énergie, qu’elle soit verte ou fossile, est mieux intégrée dans les prix des actions qu’en France”, souligne l’économiste.

Une chose est sûre, si l’arbitrage de Patrick Pouyanné et de son conseil d’administration aboutit en faveur des Etats-Unis, l’attractivité de Paris en prendra un coup. D’autant que la place tricolore peine déjà à attirer du sang neuf. Beaucoup d’entreprises “ne font plus le choix de la Bourse pour se financer, elles préfèrent recourir au capital-investissement, riche en cash. Il y a plus de 8 200 milliards de dollars dans ces fonds, deux fois plus qu’en 2018. Et celles qui font malgré tout le choix de la Bourse optent plus souvent pour Londres – en particulier l’Aquis, le compartiment dédié aux sociétés de croissance – que pour les Bourses continentales. L’accueil y est plus favorable, il y a un plus grand intérêt pour les nouvelles technologies, une réglementation plus souple, une base d’investisseurs plus large et plus de capitaux”, liste Christopher Dembik.

On peut donc surtout regretter que Paris n’ait pas la capacité de retenir ses champions. Et rien ne dit que la loi sur l’attractivité en discussion au Parlement, qui prévoit notamment de développer les actions à droits de vote multiples et de faciliter l’investissement par les fonds de private equity dans les sociétés cotées, suffise à inverser le mouvement.