Elections européennes : le risque d’un vote “hors sujet”

Elections européennes : le risque d’un vote “hors sujet”

L’Europe va mal. Croissance en berne, décrochage continu par rapport aux Etats-Unis et peu ou pas de perspectives de rebond. En cause, nos choix collectifs, qui privilégient la protection sur le risque, la norme sur l’initiative et la décarbonation sur l’innovation, conduisant les Européens à dépendre des mastodontes technologiques et énergétiques que sont la Chine (pour les technologies vertes) et les Etats-Unis (pour les énergies fossiles). Trois chiffres devraient être au cœur du débat européen à l’approche des élections de juin : la Chine émet près de 12 milliards de tonnes de gaz à effet de serre, soit environ 32 % du total des émissions mondiales et autant que tous les pays développés ; les Etats-Unis et le Canada produisent le quart du pétrole mondial ; l’Union européenne vient d’annoncer qu’elle visait un objectif de 90 % de baisse des émissions de gaz à effet de serre en 2040.

La Commission continue donc de fixer des objectifs et de construire ses politiques comme si l’Europe était à la fois seule au monde et surpuissante. Et ce au moment où la police russe émet un avis de recherche contre la nouvelle “Dame de fer” européenne, la Première ministre estonienne Kaja Kallas, signalant ainsi qu’elle considère l’Estonie comme relevant de sa souveraineté. Au moment où le monde agricole continue de gronder, à raison car le projet de décroissance “Farm to Fork” reste d’actualité. Au moment où l’incertitude pesant sur les résultats des élections américaines de novembre prochain rend criant le manque de capacités de défense européennes alors que la Russie a considérablement accru les siennes. Et au moment où l’Europe est durablement plombée par des coûts de l’énergie beaucoup trop élevés par rapport à ses concurrents.

Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que les électeurs européens soient tentés par un vote de ras-le-bol qui les conduise à envoyer à Bruxelles et Strasbourg des élus qui soit n’y siégeront quasiment pas, soit défendront d’autres intérêts que ceux de l’Europe. Ne nous illusionnons cependant pas : comme souvent, en France du moins, le vote aux européennes sera avant tout fondé sur des considérations nationales, plus encore dans une séquence électorale vierge d’élections majeures avant les municipales de 2026.

Urgente refondation

Bref, le risque est grand d’un vote hors sujet, voire d’un vote pour rien alors que jamais l’Europe n’a eu un aussi grand besoin d’une urgente refondation. Qui pour dire qu’il faut d’abord arrêter la frénésie législative qui a marqué la mandature 2019-2024 ? Qui pour faire pièce à une Commission qui avance un agenda technocratique loin, si loin de l’Europe des fondateurs ? Qui pour réaffirmer que la subsidiarité, c’est-à-dire la prise de décision au niveau le plus adéquat, est la seule compatible avec le projet de liberté consubstantiel au projet européen et aux aspirations d’un électorat rendu apathique par des normes absurdes et déresponsabilisantes ? Qui enfin pour dire que l’Europe doit parler de puissance, d’ambition, de croissance et, surtout, s’en donner les moyens ?

Pour y parvenir, il faut une autre Europe, avec des dirigeants européens qui ne soient pas nommés par défaut par des dirigeants nationaux jaloux de leurs prérogatives ou de leur image, mais parce qu’ils sauront s’imposer, en Europe et dans le monde. Puissance économique et stabilité politique et sociale sont intimement liées, auxquelles il faut désormais ajouter la puissance militaire. On sait avec Aron que la puissance de toute entité politique dépend de sa capacité à organiser efficacement son économie, à maintenir une armée capable de défendre ses intérêts et à assurer la cohésion sociale comme la stabilité politique à l’intérieur de ses frontières. Ces éléments sont interdépendants : une économie florissante permet le financement d’une défense robuste, tandis que la stabilité politique et sociale est essentielle pour maintenir l’efficacité économique et le soutien populaire aux institutions militaires. Voilà l’enjeu des élections de juin dont il serait temps de considérer qu’elles ont un potentiel de déstabilisation de nos intérêts tout aussi grand que les élections américaines.

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