Hamza Howidy : « Où étaient les propalestiniens lorsque le Hamas nous a torturés ? »

Hamza Howidy : « Où étaient les propalestiniens lorsque le Hamas nous a torturés ? »

Depuis l’attaque sanglante du 7 octobre, certains Occidentaux engagés pour la cause palestinienne s’évertuent à présenter le Hamas comme un « mouvement de résistance ». D’autres n’ont tout simplement pas un mot pour dénoncer l’oppression que subissent les Palestiniens de la part du groupe islamiste, au pouvoir depuis 2006 à Gaza. Ces réactions, Hamza Howidy ne les attendait pas. Depuis le 7 octobre, le jeune homme de 26 ans exilé en Allemagne n’a de cesse de tenter de faire entendre sa voix. Celle d’un Palestinien qui a connu l’arrivée du Hamas au pouvoir, puis sa prise de contrôle totale de Gaza au prix de centaines de vies, la propagande, la prison pour « dissidence », et l’exil.

L’Express : Vous avez connu l’arrivée du Hamas au pouvoir. Quel souvenir en gardez-vous ?

Hamza Howidy : Celui d’une trahison. A l’époque, j’avais 9 ans, peut-être 10. Comme tout le monde, mes parents étaient désespérés par la corruption de l’Autorité palestinienne, au pouvoir jusqu’ici. Alors quand le Hamas s’est présenté aux élections législatives avec ses promesses de réformes, en 2006, il a été élu sans difficulté. Je sais qu’en Occident, l’antisémitisme assumé dans sa charte pose des questions. Mais il faut comprendre que les gens étaient très frustrés par la situation de guerre permanente. Ils pensaient donc qu’ils n’avaient d’autre choix que de soutenir le Hamas pour « libérer » le pays.

Mais nous avons vite déchanté : parce qu’il ne voulait pas partager le pouvoir avec le Fatah, le Hamas a tué plus de 600 Palestiniens en l’espace de quelques mois, et a fini par prendre le contrôle total de Gaza. Pour « fêter » ça, c’est-à-dire les centaines de morts qu’ils avaient fait, ils avaient organisé des événements dans tous les lieux un peu connus de Gaza, le quartier Al-Remal, la rue Omar Al-Mokhtar… Je me rappelle encore les slogans qu’ils chantaient gaiement comme « l’islam est la solution » et « nous sommes le mouvement du changement et de la réforme ».

Au fil des années, je me suis rendu compte, surtout lorsque j’étais étudiant, que le Hamas était en fait une sorte d’Al-Qaida, mais avec de bonnes relations publiques. Contrairement à ce qu’il avait promis, le groupe était encore plus corrompu que l’Autorité palestinienne. Si vous n’étiez pas un membre du Hamas, vous n’aviez aucune chance de travailler dans le secteur public. Et si vous le critiquiez, vous aviez toutes les chances d’être arrêté et torturé.

Le soutien de l’opinion publique s’en est-il ressenti ?

En privé, les Gazaouis étaient très critiques de la corruption de l’aile politique du groupe, mais sa branche militaire jouissait tout de même d’une certaine aura : ses combattants étaient vus comme des remparts à « l’ennemi suprême », c’est-à-dire Israël. Il faut dire que la propagande était omniprésente. Les médias, qu’ils contrôlaient, propageaient en continu la haine des juifs, des chrétiens et des « mauvais » musulmans – donc laïques ou pas assez religieux. Et le Hamas venait faire la promotion de ses formations militaires jusque dans les écoles. Mais pendant qu’ils nous vendaient leur narratif de « protection » contre le monstre israélien, notre qualité de vie n’a cessé de se détériorer, jusqu’à ce que la situation ne devienne vraiment invivable…

Quand dateriez-vous ce moment ?

A la fin des années 2010, quand le Hamas a intensifié ses frappes contre Israël, qui s’est alors mis à imposer des restrictions très lourdes pour la population. L’électricité ne fonctionnait que quelques heures par jour, les permis de travail vers Israël étaient limités. L’économie palestinienne s’est effondrée. Pour s’en sortir, nous n’avions d’autre choix que de devenir combattant du Hamas ou rejoindre leur aile politique – car cela permettait d’obtenir des avantages financiers – ou souffrir avec les citoyens lambda.

Croyez-moi, j’ai encore beaucoup d’amis là-bas : les Palestiniens qui pensent que le Hamas se bat pour leurs intérêts sont minoritaires

Aujourd’hui, je suis toujours surpris d’entendre des gens dire que le Hamas ne faisait que « réagir » aux agressions du gouvernement de Netanyahou. Israël a évidemment ses torts et je suis tout à fait d’accord pour critiquer Netanyahou ! Mais si l’on est honnête, le Hamas a commencé à lancer des roquettes dès 2002. Netanyahou venait tout juste d’arriver au pouvoir. Son but numéro 1 a toujours été d’éradiquer Israël et les juifs. C’est écrit dans sa charte…

Pourquoi avez-vous décidé de vous impliquer politiquement contre le Hamas ?

Pour un ami. Il avait commencé à manifester avec d’autres pour la réconciliation du Fatah avec le Hamas. Mais en 2019, il a été arrêté, torturé au point d’être hospitalisé. Il n’a pas marché pendant des semaines. Ça l’a découragé, alors il a fini par quitter Gaza pour l’Europe en espérant changer de vie. Mais il est mort en mer avant d’y arriver, lorsqu’il a essayé de rejoindre la Turquie depuis la Grèce. Il avait 21 ans, comme moi. C’était quelqu’un de bien. Quand j’ai appris sa mort, je me suis dit que je devais continuer ce qu’il avait commencé. Avec un petit groupe, nous avons décidé de nous réunir pour former une manifestation contre le Hamas, que nous avons appelé « Nous voulons vivre ». Mais à notre tour, nous avons tous été arrêtés et emprisonnés pour dissidence.

Que vous rappelez-vous de votre détention ?

C’était très « réglé ». Chaque jour, de 8 heures du matin à 2 heures de l’après-midi, j’étais interrogé et torturé, frappé à coups de bâton, avant d’être renvoyé dans une cellule étroite et vide jusqu’au lendemain. Pas un jour ne passait sans que la police ne trouve une nouvelle accusation. On aurait dit qu’ils jouaient à la roulette ! Un jour, ils me reprochaient de travailler pour Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne. Un autre, j’étais à la solde d’Israël ou des Etats-Unis. Je pense qu’eux-mêmes avaient conscience qu’ils racontaient n’importe quoi… C’était juste leur méthode pour épuiser les détenus.

Et puis il y avait les questions pour s’assurer que vous étiez bien sur la ligne du Hamas. Ils pouvaient vous demander si vous détestiez bien les juifs ou ce que vous pensiez des musulmans laïques. J’étais obligé de mentir pour m’en sortir. Mes amis détenus le savaient aussi. Si on ne répondait pas correctement, nous risquions de ne jamais sortir. Enfin, encore fallait-il avoir de l’argent ! J’avais la chance d’avoir une famille qui pouvait payer les 3 000 dollars exigés par le Hamas pour sortir de prison. Mais tout le monde ne pouvait pas se le permettre… C’est aussi ça, vivre sous le Hamas.

Aujourd’hui, vous vivez en Europe. Quand avez-vous quitté Gaza ?

Après ma deuxième incarcération, à la suite d’une autre manifestation en 2023. A ma sortie de prison, je me suis rendu compte que pas un média, même à l’étranger, n’avait parlé de nos protestations ni même de nos arrestations. Ils continuaient à donner la météo, comme si rien ne s’était passé. J’ai tout simplement perdu espoir, comme mon ami. Je suis donc parti pour l’Europe dès que j’ai pu obtenir un visa pour sortir de Gaza. C’était le 21 août 2023. J’étais loin d’imaginer ce qui se passerait trois mois plus tard.

Qu’avez-vous pensé des réactions occidentales après l’attaque du 7 octobre ?

Pour être honnête, je ne m’attendais pas à voir des Occidentaux – pas tous, bien sûr – défendre l’action du Hamas, ou le qualifier de « mouvement de résistance » après une attaque aussi choquante et vicieuse. Sans doute pensaient-ils – et pensent-ils toujours – que les Gazaouis se sentent représentés par le Hamas et que dénoncer l’attaque du 7 octobre serait faire défaut aux Palestiniens. J’ai moi-même pensé que la riposte israélienne à Gaza allait renforcer le soutien des Gazaouis au Hamas. Mais croyez-moi, j’ai encore beaucoup d’amis là-bas : les Palestiniens qui pensent que le Hamas se bat pour leurs intérêts sont minoritaires. La plupart le détestent viscéralement. Même si la guerre menée par l’armée israélienne rend compliqué pour beaucoup de l’exprimer en ces termes, il ne fait pas de doute que si on proposait aux Gazaouis une alternative politique avec l’assurance qu’elle mettrait fin à leurs souffrances, ils l’accepteraient les yeux fermés.

Pensez-vous qu’un soulèvement gazaoui soit possible à moyen terme ?

C’est compliqué. Les Gazaouis ne pourront pas renverser le Hamas à eux-seuls et je pense qu’ils le savent – même l’armée israélienne, qui combat le Hamas depuis sept mois maintenant au prix de dizaines de milliers de vies innocentes, n’en est toujours pas venue à bout. Et puis, ils sont tout de même attaqués par l’armée israélienne. Pour l’instant, ils pensent surtout à survivre, ce qui est compréhensible. Donc pourquoi prendre un tel risque ? De plus, je ne pense pas qu’il y ait suffisamment de conscience politique à Gaza pour qu’un parti dissident émerge.

Ce qui est sûr, c’est que sans soutien extérieur, les Gazaouis n’ont aucune chance. C’est pourquoi je suis d’autant plus circonspect lorsque je regarde ce qui ressort de certaines manifestations prétendument propalestiniennes en Occident : je n’ai pas vu un seul slogan pour demander que le Hamas quitte le pouvoir ou même pour appeler à la coexistence d’Israël et de la Palestine. Je constate d’ailleurs que toutes les voix palestiniennes qui portent ces revendications, comme la mienne, n’ont aucune visibilité ou presque dans les médias. Or, tant que les voix palestiniennes et propalestiniennes ne s’uniront pas pour prôner la paix, la vraie – ce qui revient à désavouer le Hamas puisqu’il recherche le chaos -, les Palestiniens ne seront jamais libres.

Certains trouvent peut-être paradoxal qu’en tant que Palestinien, vous mettiez autant d’efforts à condamner l’attaque du 7 octobre, quand le nombre de morts côté palestinien ne cesse d’augmenter à Gaza…

Le 7 octobre a fait de nombreuses victimes israéliennes, mais en un sens, les Palestiniens aussi en ont été victimes. Car ce sont eux qui payent aujourd’hui le prix des actions du Hamas. Quand on est engagé pour la cause palestinienne, on ne peut pas dénoncer une seule partie du problème, taire les responsabilités du groupe qui nous opprime et porte la responsabilité de la situation que nous subissons aujourd’hui. Où étaient ces gens qui dénoncent l’oppression israélienne lorsque le Hamas nous a arrêtés, torturés, et emprisonnés en 2019 et en 2023 ? Si nous avions été soutenus à l’époque, le 7 octobre n’aurait peut-être jamais eu lieu.

Aujourd’hui, vous avez 26 ans. Comment regardez-vous les manifestations qui se déroulent sur les campus occidentaux ?

En tant que Palestinien, je n’aurais jamais imaginé critiquer un jour le soutien que nous recevons enfin. Mais je n’ai pas peur de dire que la façon dont certains disent défendre notre cause en attaquant exclusivement Israël ou en appelant à l’insurrection nous fait du mal. Non seulement cela laisse le champ libre au Hamas pour continuer à nous oppresser à Gaza – en nous prenant pour des boucliers humains -, mais en plus, cela renforce l’amalgame entre Gazaouis et Hamas.

Je n’exonère absolument pas Israël de ses fautes. Je n’aimerai jamais un autre pays autant que celui où je suis né, et j’espère retourner un jour à Gaza. Mais l’antisémitisme, l’exclusion de certains au motif qu’ils sont « sionistes », voire la glorification du Hamas, ne seront jamais de notre côté. La nationalité ou les croyances ne devraient pas entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit de faire preuve d’humanité. Je sais que certains scandent « from the river to the sea, Palestine will be free » dans les manifestations. Je préfère l’autre version : « From the river to the sea, peace will be ».

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