Hermès : trahison, emprise… Enquête sur les milliards « évaporés » de l’héritier

Hermès : trahison, emprise… Enquête sur les milliards « évaporés » de l’héritier

Mai 2018, Séville. Fleuristes, paysagiste, cochers, musiciens, danseurs, deux chefs étoilés Michelin, c’est parti pour le tourbillon andalou, trois jours et trois nuits, moyens mirobolants et goût parfait. Nicolas Puech, un arrière-petit-fils du fondateur Thierry Hermès, propriétaire de 5,8 % des actions de la maison de luxe, disposant d’une fortune de 10 milliards de francs suisses – cheveux blancs, yeux clairs, culture exquise – fête ici ses 75 ans. Et que lui paraissent lointains les tourments de ses ombreuses années 2010 qui l’opposèrent à sa famille, celle-ci lui reprochant d’avoir trahi en permettant à LVMH de monter au capital de leur auguste enseigne, et celles, plus anciennes encore, plus douloureuses aussi, où ces mêmes parents tentèrent de le détourner de ses amours. Eclairés par des cierges blancs, embaumés par les brassées de lys, 70 invités, aucun Hermès, chambres réservées à l’Alphonse XIII, déplacements en calèche, et l’apothéose en ce palais de Lebrija, une magnificence mise en scène par Alejandro Muguerza, l’homme qui organise les fêtes des Obama. Avant le spectacle de flamenco, dîner servi par une nuée de serveurs gantés.

Au centre de la salle, la table du roi de la fête, celle où il a placé ses intimes ; à sa droite, Farah Diba, la troisième épouse du chah d’Iran, qui fit le voyage en compagnie de Frédéric Mitterrand, amie si chère, amie ruinée que le milliardaire envisage d’épouser. Des noces arrangées entre l’impératrice déchue et le célibataire endurci, si docile. À droite encore, Jadil Butrak, Marocain pas encore quinquagénaire, silhouette de marathonien, garçon charmant et cavalier doué ayant enseigné autrefois au conseiller patrimonial de Nicolas Puech, le Suisse Eric Freymond, dont le père fut l’avocat de la famille royale d’Iran, à monter à cheval. Plus loin à la table, la compagne du maître d’équitation, Maria Paz Pineiro, brunette, cheveux tirés, bijoux discrets, l’Espagnole parle désormais bien français. Que le couple a grandi en aisance et manières depuis qu’il est entré, et s’est installé, dans la vie de son protecteur ! Se souviennent-ils encore du temps où Jadil, n’ayant jamais été scolarisé, dormait par terre, au pied du lit de son maître ? Aujourd’hui, ces serviteurs partagent tout de leur bienfaiteur, Maria l’ayant soigné avec tant de dévouement quand celui-ci se releva d’un accident de voiture. « Mes enfants », dit-il depuis peu d’eux, souriant de ce bonheur neuf. Ce soir de mai, au son de l’orchestre de chambre, Farah Diba fait connaissance avec ceux dont elle sera peut-être bientôt la belle-mère de cœur, si d’aventure le prince de ces nuits à Séville lui offrait son nom. Et les douceurs de sa fortune.

Cinq ans plus tard, 6 février 2024, grand orgue en travaux, foule hiératique, manteaux lourds, le temple protestant de la rue Roquépine, VIIIe arrondissement de Paris, porte grand deuil. Eclairé par la verrière, le cercueil du seul frère de Nicolas, Bertrand Puech, chevalier de la Légion d’honneur, croix de la valeur militaire, président d’honneur du conseil de gérance Hermès, mort à 88 ans. Autour du défunt, une flopée de descendants des trois branches de la marque de luxe. Celui dont ils saluent la mémoire a compté : il fut voici treize ans leur général d’armée au sommet de leur citadelle secouée par LVMH. Sans son combat, qui sait à qui appartiendrait aujourd’hui leur marque ? Dans les travées de bois clair, Nicolas Puech est assis au troisième rang, Jadil et Maria plus loin derrière, placement assigné – quant à la veuve du chah d’Iran, elle est effacée du paysage, ni épousée, ni même revue. Et dans l’air d’une dignité toute protestante, ce chagrin. Car l’opération boursière entre les deux maisons de luxe a scellé la séparation entre les frères désaccordés – jamais le puîné, fou de couleurs et de soleil, et son aîné, maintien roide, intelligence ciselée, ne se réconcilièrent vraiment. Triste, mais l’essentiel n’est-il pas que le franc-tireur en pull cachemire soit venu rendre hommage ? Il donne si peu de nouvelles, certains le disent isolé, à tout le moins obstinément silencieux. Que prépare-t-il d’ailleurs ? Que pourrait-il envisager maintenant que Bertrand n’est plus ? Que pourrait-il, au soir de sa vie, faire de ses presque 6 % d’actions, lui qui considéra toujours qu’ouvrir son capital en Bourse signifiait qu’on en acceptait les règles et les risques ? Quelques heures plus tard, devant le caveau familial d’Argentière, commune voisine de Chamonix, derniers adieux. Froid piquant, le cercueil s’enfonce, ils s’éparpillent. Nicolas Puech, domicilié depuis 1999 en Suisse, dans le Valais, à la faveur d’un forfait fiscal, repart avec Jadil, qui conduit non pas la Bentley brune métallisée, mais une autre, pneus adaptés. Dans deux heures, ils retrouveront leur royaume enneigé, caché.

Confidences affolées

Entre la nuit sévillane et l’après-midi endeuillée d’Argentière, cinq années. Cinq années où tant a changé dans la vie de Nicolas Puech. Blotti dans sa propriété du Valais, une ancienne auberge datant des années 1920, au fond du dernier hameau de la plus reculée des vallées, ou bien en baskets jaune et bleu dans sa demeure andalouse d’Aracena, ce « Cuatro Vientos » perché sur un plateau balayé par le vent, il goûte son isolement, le consolide. Le membre et mécène de l’Académie royale des beaux-arts de Séville, capable voici peu de disserter des heures de la voûte nubienne, technique ancestrale égyptienne, regarde la télévision, parfois des mots croisés. Ses vieux amis, de Genève et Paris, s’inquiètent de plus en plus de leurs courriers sans réponse, plus aucun dîner, ni concert, ni opéra. Et puis, ses propos, stupéfiants. N’a-t-il pas récemment, à un ami français qu’il croisa par hasard, confié, le souffle court, « être ruiné », ne « plus savoir où sont ses titres et les chercher partout » ? Chercher ses titres, que cela peut-il signifier ? Ruiné, l’actionnaire à 5,8 % alors que le cours caracole ? Ses connaissances se rassurent, ils le savent entouré. A ses côtés, son ombre, le fidèle Jadil, rencontré en 1992, aujourd’hui son intendant, administrant demeures, terrains, voitures et écurie, passeports marocain et espagnol. Et Maria Paz, caractère brusque, mais quelle énergie.

Nicolas Puech, dans sa propriété espagnole

Ces deux-là ont commencé par le servir modestement. Leur maître mène encore grand train, à sa table, banquiers, collectionneurs, avocats, le gratin de Genève, Paris, New York. Eux, muets, versant le vin en carafe, puis eux assis à sa table, eux plus tard y prenant la parole – elle surtout, volubile. Les convives, guindés, s’en sont accommodés ; n’est-ce pas une édifiante histoire d’ascension sociale ? Jadil et Maria ont deux enfants, une fille, étudiante à l’école hôtelière de Lausanne, un fils, pensionnaire à Montreux. Quelle chance ont ces petits de profiter ainsi des largesses de l’employeur de leurs parents. Voyages linguistiques, vacances luxueuses, et puis une maison, au cœur du Montreux historique, une seconde en Espagne, une troisième au Portugal, encore une, deux, cinq, dix, bientôt 54 propriétés offertes, des terrains, des forêts, des terres agricoles, le tout avoisinant la somme totale de 60 millions de francs suisses. « C’est à peine 1 % de la fortune de mon client », le défend Jörn-Albert Bostelmann, son nouvel avocat, ami du club de pêche où Jadil et d’autres gars du village, dont l’épicier, taquinent la truite. Nicolas Puech prête ses cartes bancaires, fait des chèques, presse son conseil de mettre à exécution sa folle générosité. N’est-ce pas son droit de gâter ceux qui réchauffent sa vie ? Sur un papier à en-tête de l’hôtel La Mamounia à Marrakech, ces quelques lignes écrites de sa main, le 7 octobre 2015 : « Par débit de compte sous rubrique veuillez virer la somme de 1 575 000 francs suisses en faveur de Jadil pour l’achat d’une villa à Marrakech, il s’agit d’une donation ». « C’est une amitié profonde et serrée, une relation familiale, entre un homme d’une gentillesse extrême, aux capacités de discernement parfaites et un couple adorable, sans aucune cupidité », commente maître Bostelmann.

2023, veille de Noël, la presse genevoise révèle toutefois qu’une plainte a été déposée auprès de l’APEA d’Entremont, l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte. 20 pages dactylographiées exposant « l’emprise » dont le milliardaire serait la victime et décrivant une « situation d’isolement et d’influence ». Elle brosse le portrait d’un reclus, auprès duquel le couple serait « devenu affectivement indispensable » profitant de « dépenses somptuaires ». L’APEA d’Entremont mène son enquête au galop, et s’apprête à clôturer en moins de deux mois l’affaire : signalement sans fondement. Etonnante légèreté, car aucun de ses proches, dont les invités de Séville tous ignorés ces derniers temps, ne fut contacté. Qu’à cela ne tienne, les fonctionnaires du Valais, forts d’une seule visite médicale, estiment que l’octogénaire vieillit en pleine conscience, parfaitement autonome et libre. Soit. La conclusion hâtive rassure peu. Car, depuis une quinzaine d’années, ses 6 millions de titres Hermès sont au cœur de toutes les rumeurs, nourrissant mille scénarios fantasmatiques.

15 rencontres secrètes

L’héritier a joué en effet un des premiers rôles dans la bataille opposant, au début des années 2010, LVMH à Hermès. Si l’offensive faillit réussir, c’est en grande partie parce qu’il lui a prêté son aide. « L’intérêt de LVMH pour Hermès était très ancien et la bataille préparée de longue date », confirme Fabrice Rémon, expert en matière boursière qui conseilla Hermès. Pour comprendre ce qui se joua alors, brève archéologie du capitalisme français. 1985, le trentenaire Bernard Arnault achète les restes de l’empire Boussac, dont il conservera Dior et Le Bon Marché, et aussi, ce point fut peu relevé, cachée tout au fond de la corbeille, une participation au capital d’Hermès. Seulement, il lui faut de l’argent. Aussi lorsqu’en 1993, le maroquinier sellier ouvre son capital en Bourse, il cède ses participations. Sacrifier une pièce pour s’assurer un échec et mat ultérieur, n’est-ce pas l’esprit des bons joueurs d’échecs ? 2001, Pierre Godé, fidèle parmi les fidèles de Bernard Arnault, est à la manœuvre, et le genevois Eric Freymond, approché avec diligence. Ce dernier les met en lien avec son client et si cher ami, Nicolas Puech. Ensemble, ils dressent la cartographie de tous les héritiers, cherchant ceux qu’ils pourraient convaincre de vendre leurs titres. 15 rencontres sont organisées entre Puech, toujours accompagné de son conseiller, et Bernard Arnault. L’héritier s’enflamme, que la guerre est piquante, vivifiante, consolante, il s’imagine un poste dans l’organigramme de la future maison, une fois celle-ci devenue LVMH. Une revanche, une gratification, croit-il, savourant que bientôt son clan comprenne qu’il n’est pas un flambeur futile mais un financier de haute habileté. Juin 2001, près de 30 millions d’euros d’actions du clan Guerrand – une des trois branches de la famille du maroquinier – sont achetées par Éric Freymond pour le compte de Nicolas Puech puis revendues à LVMH. Le 23 octobre 2010, le géant du luxe annonce détenir 14,2 % du capital Hermès, trois jours plus tard, 17,1 %. La famille n’a rien vu, protégée pensait-elle par sa société en commandite, et c’est la panique. Son avocat Jean-Michel Darrois conçoit alors une forteresse imprenable, « H51 » , dans laquelle les 52 héritiers acceptent de mettre tous leurs titres et de les geler pendant vingt ans. Tous répondent présents, sauf… Nicolas Puech.

Le jardin andalou

Si ce dernier a prêté renfort à LVMH avec jubilation, empochant dans l’affaire 53 millions d’euros, il n’a pour autant jamais fait montre de désinvolture avec son patrimoine, moins encore avec ses actions historiques, celles héritées de sa mère puis de sa sœur en 2004, qu’il gère avec scrupule et respect. Myriade d’avocats à Paris et Genève, notaire indéboulonnable, nombreuses banques. Et voici que l’épopée boursière achevée, ayant entretemps 67 ans, il organise sa succession. Août 2011, il crée une fondation portant son nom, rebaptisée Isocrate en avril 2022 – c’est lui qui eut l’idée de ce philosophe de la Grèce antique. Celle-ci, d’intérêt public, est administrée par un conseil de haute tenue, dont l’ancien pasteur de la cathédrale Saint-Pierre. Dix jours plus tard, septembre 2011, il fait enregistrer à Sion, en présence de sa fiduciaire Lathion Berney et associés, un pacte successoral, par lequel il organise qu’à son décès l’intégralité de ses actions historiques ira à sa fondation. En attendant, il verse à l’œuvre philanthropique son budget de fonctionnement.

L’ordre règne chez Nicolas Puech ; une famille hispano-marocaine à son service comblée de dons et une fondation solide pour perpétuer sa mémoire. Dans le même temps, en veine de pacification, il accorde « aux membres historiques » d’Hermès un droit d’achat prioritaire s’il lui venait l’envie de se séparer de ses titres. En retour, sa famille lui offre une place au conseil de surveillance, dont il part deux ans plus tard, se vantant d’avoir participé à la charte de couleurs mais lassé de ces réunions, qui l’éloignent de son jardin andalou. Qu’à cela ne tienne, ces années sont celles de la trêve, LVMH cédant la plus grande partie de ses titres Hermès et s’engageant à ne plus en acheter jusqu’en 2019… Trêve pas tout à fait entière. Hermès eut si peur qu’elle veut tout comprendre. En 2015, elle dépose plainte contre X pour faux et usage de faux : elle soupçonne Éric Freymond et Nicolas Puech d’avoir menti sur le montant réel des actions détenues par l’héritier. Dans une lettre adressée à la juge Charlotte Bilger en charge du dossier, le fils d’Yvonne Hermès, de son écriture penchée, s’indigne du soupçon et précise que « les craintes de ma famille exprimée dans le cadre de la plainte déposée par Hermès International […] sont totalement infondées ».

La fondation tombe de sa chaise

Si Nicolas Puech arrange si sereinement ses affaires, il n’en demeure pas moins qu’autour de ses actions, et malgré ce courrier à la juge parisienne, le flou persiste. Il suffit de décortiquer les documents de référence – rapports financiers obligatoires qu’Hermès International doit publier chaque année en tant que société cotée – pour le constater. Ainsi, dans celui portant sur l’année 2016, il disparaît de la liste des principaux actionnaires. Surprenant. Une note de bas de page commente l’effacement : « Pour 2016, Nicolas Puech n’a pas indiqué le nombre d’actions qu’il détenait ; il a toutefois déclaré le 8 février 2017 ne pas avoir franchi de seuil. Faute d’information précise sur son montant, la participation de Nicolas Puech est agrégée dans la ligne Public ». Une autre note de bas de page interroge. A deux reprises, en 2015 et en 2016, Puech y affirme avoir versé 900 000 actions Hermès à sa fondation. Celle-ci, qui ne découvrira cette assertion qu’en 2023, tombe de sa chaise. Elle n’a jamais possédé un seul titre et, son secrétaire général, Nicolas Borsinger, le confirme par écrit. Pourquoi alors faire figurer cette mention dans un document officiel, contraignant ?

Par la suite, de plus en plus bizarre, Nicolas Puech ne figure plus dans aucun relevé officiel. Pourtant, durant toutes ces années, aucun signalement de franchissement de seuil indiquant qu’il aurait cédé des titres, sa part passant sous la barre des 5 % du capital, n’a été transmis à Hermès. Une information qui eut été le cas échéant obligatoire. Sur le papier, il est donc toujours en possession de ses titres. Une expertise, authentifiée par un notaire, révèle d’ailleurs que pour l’année 2022, il aurait perçu plus de 90 millions d’euros de dividendes au titre de ses participations. Un montant qui permet de calculer que les 900 000 titres soi-disant détenus par la fondation sont bel et bien entre ses mains. Sauf s’il avait été créé une autre fondation, à son nom, une fondation étonnamment introuvable. Résumons : si en 2022 l’octogénaire dispose encore de toutes ses actions historiques, pourquoi confie-t-il quelques mois plus tard, mai 2023, à cet ami profitant d’un rare tête à tête, être ruiné et ne plus savoir où elles seraient, les chercher partout ? Son nouveau conseil, maître Bostelmann, se veut néanmoins rassurant : « Les titres sont un point capital de cette affaire, mon client en est toujours propriétaire, il n’est pas ruiné ». Heureuse nouvelle, mais alors pourquoi ces confidences affolées ? Etait-ce un prétexte pour cesser de financer sa fondation Isocrate ? Ou bien les actions auraient-elles échappé au regard du vieux monsieur ?

Un courrier de rupture

L’année 2022 est à tous égards cruciale. Septembre, Eric Freymond invite le conseil de la fondation et Nicolas Puech quelques jours dans son palazzo italien, Al Bosco, 18 hectares et une splendide collection d’art contemporain. A son retour, l’hôte toscan trouve, dans sa boîte aux lettres suisse au nom de Phidias Gestion, la révocation de son mandat de gestion. Un courrier, posté avant le week-end, et tapé à la machine, précaution rare dans les échanges du milliardaire qui toujours prend la plume. Tandis que Puech buvait les bonnes bouteilles de Freymond, il l’avait déjà licencié. Quelques semaines auparavant, le désormais congédié s’était opposé à deux virements au profit du couple Jadil Pineiro ; lui ferait-on payer d’être l’ultime verrou barrant l’accès au trésor ? Quoi qu’il en soit, il démissionne de la fondation et poursuit ses autres et toujours complexes affaires, chérissant ses collections – art contemporain, porcelaine noire de Chine – , conservant pour Bernard Arnault une admiration vive. Partant, tout s’accélère. Les avocats traditionnels ne sont plus sollicités, en leur place Jörn-Albert Bostelmann prend les commandes. L’homme de loi dispose de pouvoirs illimités, confiés via une procuration, étonnamment non datée, « aux fins de le représenter, en l’affaire : gestion financière, procédure administrative, adoption, questions successorales et familiales au sens le plus large », et signée de l’héritier, comme de Jadil et de Maria. Cette délégation autorise le juriste, tout à la fois avocat et notaire, à organiser tout ce que les trois amis souhaitent. Tout. Décider de leurs soins médicaux, organiser une adoption, et même céder les titres, dont les historiques.

Maria Paz s’impatiente

A cette même époque, la fondation Isocrate s’inquiète, fondateur injoignable, appels téléphoniques, courriels, lettres, rien n’y fait. Juillet 2023, alors que Nicolas Puech et ses deux amis se reposent d’une visite éclair au Mexique, Bostelmann informe Isocrate que le milliardaire souhaite annuler son pacte successoral, en clair signer son arrêt de mort, d’autant que les versements sont interrompus depuis 2022. Deux mois passent, l’avocat lui fait suivre un courrier, étrangement daté de six mois auparavant, dans lequel est écrit de la main de Nicolas Puech : « Je déclare irrévocablement annuler ce pacte dans son entière teneur », ayant « l’intention de prendre d’autres mesures testamentaires ». La fondation s’oppose aussitôt à cette révocation unilatérale. En novembre, le vieil homme convoque son conseil, devant lequel il se présente, humeur égale, accompagné de son avocat et de Maria Paz, qui tente d’entrer dans la salle dédiée. Piquée de n’y être point attendue, la quadragénaire s’impatiente, hausse le ton, puis finalement se laisse accompagner à l’écart par l’épouse d’un membre, devant laquelle elle gronde : « J’ai toujours su que cette fondation était néfaste, maintenant j’en ai la preuve ». Néfaste, la fondation d’intérêt public ? Serait-ce possible que Maria Paz s’agace surtout que l’œuvre soit désignée comme l’unique héritière de son protecteur ? « Mon client compte poursuivre son action dans la fondation du mieux qu’il peut, balaie l’avocat Bostelmann, on va s’asseoir à la table de négociation ». Des négociations qui ne seraient nécessaires que si, un jour, Nicolas Puech ayant réalisé ne pouvoir annuler son pacte successoral, se trouvait avoir un autre héritier que la fondation – par exemple un fils adopté. « Mon client a émis cette idée d’adoption, c’est une bonne idée, j’espère la concrétiser », confirme le juriste.

La famille Hermès se tient loin de ces escarpés sentiers valaisans, l’oncle Nicolas ayant toujours veillé à son indépendance, et semblant en bonne forme aux funérailles de son frère, eh bien qu’il vieillisse donc en paix. Seulement savoir que ses 6 millions de titres – valorisés à près de 13,7 milliards d’euros au total au cours de Bourse actuel – sont aujourd’hui, officiellement et pleinement, dans les mains d’un modeste avocat du Valais, amateur de pêche indiquant parler l’araméen, interroge la place financière. Que pourraient-ils advenir de ces actions que pleure Nicolas Puech et dont il a cédé toute direction ? Serait-il pensable que le vieux monsieur les laisse vendre par son avocat omnipotent, assurant à sa famille de cœur une fortune éternelle et à d’éventuels rivaux d’Hermès une opportunité ? Au fin fond d’une vallée du Valais, là où le soleil se couche trop tôt, l’octogénaire coule une vie tranquille aux côtés de ses deux amis. Sous la neige fondue, la terre craquelle. Mais Nicolas Puech l’entend-il ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *