Inde : comment Narendra Modi veut faire du millet la graine du futur

Inde : comment Narendra Modi veut faire du millet la graine du futur

Cette chronique raconte la petite ou la grande histoire derrière nos aliments, plats ou chefs. Puissante arme de soft power, marqueur sociétal et culturel, l’alimentation est l’élément fondateur de nos civilisations. Conflits, diplomatie, traditions, la cuisine a toujours eu une dimension politique. Car, comme le disait déjà Bossuet au XVIIᵉ siècle, “c’est à table qu’on gouverne”.

Entre l’aéroport et le centre-ville de New Delhi qui accueille le G20, pas l’ombre d’un mendiant ou d’un papier par terre. Mais 250 portraits du Premier ministre indien placardés soigneusement le long de la route empruntée par les chefs d’Etat du monde entier pour rejoindre le somptueux palais des Congrès tout juste sorti de terre. En ce 9 septembre 2023, Narendra Modi veut consacrer le rayonnement de l’Inde à l’international. Un grand raout diplomatique qu’il utilise comme un outil de propagande, quelques semaines avant les élections législatives qui ont lieu en ce moment, depuis le 19 avril et jusqu’au 1er juin, lors desquelles il brigue un troisième mandat.

Le protocole d’une réunion de ce niveau est méticuleusement soigné. Lors du dîner, se trouve sur la droite du Premier ministre indien Joe Biden, qui vient de lui concocter une fastueuse visite d’Etat à la Maison-Blanche quatre mois auparavant. A sa gauche, Emmanuel Macron, qui en a fait le dernier invité d’honneur du défilé du 14-Juillet à Paris. Mais fait inhabituel dans ce genre de dîner étatique, c’est un repas végétarien qui est servi pour refléter la diversité des “traditions, coutumes et climats” de l’Inde. Si le plat principal est une “galette de fruit du jacquier servie avec des champignons forestiers glacés” ainsi que “du riz du Kerala aux feuilles de curry”, une graminée domine le reste de la carte : le millet ou mil.

Ce soir-là, cette céréale, cultivée depuis plus de quatre mille cinq cents ans en Afrique, connaît son heure de gloire à la table des plus puissants dirigeants du monde, sublimée par le chef : “croustillants de feuilles de millet des oiseaux garnis d’une sphère de yaourt et un pudding de millet parfumé à la cardamone”. Sur le menu, l’Inde vante tous les bienfaits de ce “super aliment” cultivé “dans des milieux défavorables et arides” et qui peut à l’avenir jouer un rôle important face au “changement climatique et pour la sécurité alimentaire”, menacée par le conflit russo-ukrainien.

Une chanson avec Modi sur le millet

Depuis son accession au pouvoir en 2014, Narendra Modi le végétarien a un rêve : faire du millet une “mode” alimentaire mondiale. A l’image de l’incroyable marketing que les pays latinos ont réussi à faire avec le quinoa. Si l’Inde est le premier producteur mondial de millet (15 millions de tonnes par an), le gouvernement dirigé par le leader nationaliste hindou a clairement la volonté d’inonder les marchés mondiaux avec cette céréale gluten free et plus protéinée que le riz.

En 2022, le Premier ministre indien célèbre, dans un tweet, le Grammy Award du meilleur album de musique pour enfants décerné à Falguni Shah, une chanteuse indo-américaine. Il l’invite alors pour une rencontre et lui souffle l’idée de créer une chanson pour vanter les mérites de cette graminée que certains voient comme l’une des solutions pour lutter contre la faim dans le monde. La chanteuse lui propose alors de participer au titre Abundance in Millets où des paroles d’un discours de Narendra Modi sont intégrées.

Si le Premier ministre n’a évidemment pas l’intention d’entamer une carrière musicale, il veut surtout stimuler son économie en poussant les agriculteurs indiens à planter cette graine très nourrissante. C’est également sur une proposition de l’Inde que l’ONU a déclaré 2023 “Année internationale des millets”. Le soft power de New Delhi a payé.

Le génome du mil séquencé pour la première fois

L’Inde le sait : elle est assise sur un tas d’or. Ces petites graines rondes constituent déjà la base de l’alimentation quotidienne d’au moins 100 millions de personnes, notamment dans le Sahel et le nord de l’Inde. Et sa part risque de croître dans le futur quand on sait que l’Afrique va compter près de 2,5 milliards d’habitants en 2050…

En 2017, des chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) ont réussi à séquencer le génome de cette graine aux 38 000 gènes, qui pousse vite et se satisfait de sols pauvres en eau. Ils ont ensuite établi les “fiches d’identité” précises de près de 1 000 variétés différentes de mil cultivées ou sauvages existantes afin de pouvoir créer de nouvelles espèces mieux adaptées à l’augmentation des températures et plus résistantes aux ravageurs.

Lorsqu’on observe les dégâts aujourd’hui d’El Niño et des canicules en Afrique notamment, on se dit que le millet a une belle carte à jouer sur la planète… Des grandes entreprises ont flairé le business. Nestlé, Britannia Industries, Tata Consumer Products créent déjà des produits à base de millet, tels que des céréales, des biscuits et des préparations pour crêpes…

Le millet à la carte d’étoilés Michelin

Progressivement, cette céréale, qui a longtemps été oubliée des tables gastronomiques, gagne ses lettres de noblesse. Le chef cuisinier de la Maison-Blanche a subtilement intégré le millet au menu d’une salade en entrée lors de la dernière visite d’Etat de Narendra Modi en juin 2023. Dans leur hôtel lors du dernier G20, le Premier ministre japonais Fumio Kishida et son épouse ont eu droit à la déclinaison complète : pâtes au millet, tarte au millet et à la mangue et des brownies au fudge (confiserie américaine au chocolat) et au millet.

La céréale commence aussi à faire son apparition au sein des restaurants étoilés. A Dubaï, le chef Rahul Rana d’Avatara (1 étoile Michelin) le sublime à merveille dans les 16 succulents plats végétariens du menu, inspirés des différentes traditions culinaires de l’Inde.

Tous ces grands chefs sont aujourd’hui hantés par une question : le changement climatique leur permettra-t-il encore de faire leur cuisine ? Les ingrédients qu’ils utilisent au quotidien ne deviendront-ils pas un luxe ? Ou bien disparaîtront-ils carrément ?

C’est dans ce contexte que l’ancestrale graine de millet de Modi a une chance de se faire une place. En France, les grands chefs Michel et Sébastien Bras l’ont déjà adopté sur leurs plateaux de l’Aubrac parmi la cinquantaine de graines, semences, légumineuses, céréales, oléagineuses, ombellifères qu’ils travaillent chaque jour dans leur cuisine. Au point d’en faire, comme ils le disent, le nouvel “alphabet culinaire” de demain ?

Pour aller plus loin :

Un livre : Le grand livre de la cuisine indienne, Sandra Salmandjee, Johanna Fritz, Aimery Chemin, Mango, 2020.

Où manger indien ?

Jugaad, 16, rue Favard, 75002 Paris

Krishna Bhavan, 24, rue Cail 75010 Paris

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