Nucléaire : ce challenger coréen qui pousse ses pions partout en Europe

Nucléaire : ce challenger coréen qui pousse ses pions partout en Europe

Flamanville, c’est fini ! Avec le chargement du combustible dans la dernière-née des centrales nucléaires françaises, c’est une page – douloureuse – du nucléaire occidental qui se tourne : celle des vingt-cinq à trente dernières années durant lesquelles l’industrie nucléaire, après avoir achevé la construction de la deuxième génération de réacteurs entre 1970 et 2000, a cessé de construire en Europe comme en Amérique du Nord. Ou si peu, trop peu, construit : Flamanville, Olkiluoto en Finlande et Vogtle aux Etats-Unis racontent une histoire assez similaire, celle de têtes de série d’une nouvelle génération de réacteurs qui sont restés des prototypes, faute d’unités supplémentaires ; de chantiers lancés sans que la conception soit totalement finalisée ; de budgets et de délais non respectés.

Dans le même temps, l’épicentre du nucléaire mondial s’est déplacé vers la Chine qui reproduit la méthode à succès du programme français des années 1970-1990 : massification, standardisation, rapidité.

Un autre pays d’Asie a bien compris la recette tricolore : la Corée du Sud. A la différence de la Chine cependant, Séoul ne se contente pas de répliquer ce modèle pour son propre programme nucléaire. Les Coréens sont les seuls à avoir prouvé qu’il était duplicable ailleurs, dans un pays tiers, qui plus est nouveau venu dans le nucléaire. Sans tambour ni trompette, la Corée du Sud a ainsi construit, à Abou Dhabi, quatre réacteurs entre 2012 et 2024, pour un coût d’environ 24 milliards de dollars. En dépit de quelques retards, le projet a respecté le budget et le calendrier.

Qu’y a-t-il d’étonnant, dès lors, qu’à l’heure où l’Europe redécouvre les vertus de l’énergie nucléaire, un certain nombre d’Etats aient ouvert des discussions avec KHNP, le constructeur coréen ? L’exemple le plus récent est celui de l’Ukraine, qui a annoncé le 14 mai un accord bilatéral incluant, outre la reconstruction du système énergétique que les Russes s’emploient méthodiquement à détruire, des échanges sur la construction de nouveaux réacteurs.

En novembre dernier, c’est la Pologne qui, après le choix de la technologie de Westinghouse, ouvre la voie à la Corée du Sud pour d’autres réacteurs. Aujourd’hui, KHNP est en lice contre EDF en République tchèque. Des discussions sont engagées avec le Royaume-Uni ou encore les Pays-Bas, où un accord politique prévoit la construction de nouvelles centrales. Et c’est sans compter avec la multiplication des échanges informels que la Corée du Sud a lancé avec nombre d’Etats d’Europe centrale et orientale avec, à chaque fois, une chorégraphie diplomatique très rodée, associant des coopérations dans de multiples domaines, dont systématiquement la défense et l’énergie.

Montée en puissance

Curieusement, le challenger coréen est rarement évoqué dans le débat nucléaire en France, pathologiquement centré, ici et là, sur la concurrence américaine. Laquelle est souvent décrite dans des termes dont la violence est inversement proportionnelle à la connaissance précise de l’histoire et de l’actualité des relations nucléaires franco-américaines. Certes, l’échec de “l’équipe de France” (hum…) du nucléaire à remporter le contrat d’Abou Dhabi en 2009 reste un souvenir douloureux pour l’industrie tricolore. Par ailleurs, aucune autorité de sûreté en Europe n’a encore certifié la technologie coréenne. Et quid du litige avec Westinghouse sur des sujets de propriété intellectuelle ?

Reste que, dans une Europe à la recherche d’un nouveau souffle pour la crédibilité de sa souveraineté énergétique, le rival coréen présente de solides atouts. Dans son discours sur l’Europe prononcé dans l’amphithéâtre de la Sorbonne le 25 avril, Emmanuel Macron a souligné son ambition de construire une “Europe forte dans le monde tel qu’il va”. La montée en puissance du savoir-faire coréen dans le petit cercle du nucléaire européen, c’est, qu’on le veuille ou non, le monde tel qu’il va, en l’occurrence pour le mieux : que l’Europe soit attractive pour l’industrie nucléaire mondiale est une excellente nouvelle.