Quand la science nous éclaire sur les dangers (et les vertus) du conflit au travail

Quand la science nous éclaire sur les dangers (et les vertus) du conflit au travail

En entreprise, le conflit est-il mauvais ou bénéfique ? A cette question en apparence simple, les recherches en sciences managériales ont apporté des réponses complexes et, surtout, qui ont beaucoup varié au fil des décennies. Dans les années 1960, les spécialistes définissaient le conflit comme un blocage des mécanismes normaux de prise de décision. Totalement négatif, donc. Puis, dans les années 1990, différents travaux ont montré que le lien entre conflit et performance pouvait être ambivalent, et parfois positif. Un début de rédemption, qui ne durera pas. Dès 2003, une méta-analyse – le nec plus ultra en matière de preuve scientifique, qui consiste à compiler les résultats de dizaines d’études – a semblé clore le débat, confirmant que le conflit était toujours néfaste. Mais les recherches ont continué, et dix ans plus tard une nouvelle méta-analyse a finalement montré que certains différends, dans certaines circonstances, pouvaient se révéler bénéfiques.

Nous en sommes toujours là aujourd’hui. “La réalité, c’est que le conflit est inévitable et inhérent à toute organisation humaine, dès lors qu’elle met en jeu des individus différents et interdépendants. Toute la question est alors de savoir le gérer, et les réponses vont être différentes selon le type de querelle”, résume la psychologue américaine Denise Rousseau, une des papesses du management basé sur les preuves. L’absence de différends, petits ou grands, passerait même désormais pour une incongruité : “Une organisation tranquille, harmonieuse pourrait bien être en fait apathique, peu créative, stagnante, rigide et peu réactive”, indiquaient Lee Bolman et Terrence Deal, spécialistes du management et anciens professeurs à Harvard, dans leur ouvrage Dans la tête des grands leaders.

Les experts distinguent généralement trois sortes d’affrontements. Le conflit relationnel, destructeur et néfaste. Quand une confrontation devient une affaire de personnes, toute l’énergie des collaborateurs est absorbée par la gestion des émotions négatives. “Il faut traiter ces situations le plus tôt possible, pour éviter d’en arriver à des impasses”, avertit Arnaud Stimec, professeur à l’université de Nantes, spécialiste de la médiation et de la négociation. Les conflits de processus (comment on s’organise, qui fait quoi) sont à bannir également : “Quand ils deviennent récurrents, ils aboutissent à des pertes de temps considérables. Ces questions doivent être réglées une bonne fois pour toutes”, poursuit Arnaud Stimec.

Mettre en lumière les angles morts

Mais il en va autrement des conflits de tâches, portant sur le contenu du travail lui-même. “Il est prouvé que lorsque des équipes font l’expérience de conflits opérationnels modérés, elles produisent plus d’idées originales […], innovent davantage et prennent de meilleures décisions”, souligne le psychologue Adam Grant, professeur de management à la Wharton School (université de Pennsylvanie), dans son best-seller Think Again. En France, le psychologue du travail Yves Clot, professeur émérite au Cnam, parle de “coopération conflictuelle”. Une pratique que les entreprises auraient même, selon ses travaux, tout à gagner à cultiver.

“La discussion autour du travail ’bien fait’ est forcément conflictuelle, car il est impossible d’avoir le même regard en première ligne et en position de direction. Mais organiser ces conflits permet de mettre en lumière les angles morts, de fabriquer de la qualité, de découvrir des idées auxquelles on n’avait pas pensé jusque-là”, souligne Yves Clot. L’histoire récente, chez Volkswagen avec le scandale du “dieselgate”, chez Sanofi avec le raté des vaccins contre le Covid, chez Nestlé avec l’affaire des pizzas contaminées, montre qu’étouffer toute possibilité de contestation interne sur la qualité du travail peut conduire à des catastrophes.

Encore faut-il éviter que le conflit de tâches ne se transforme en conflit de personnes. Mais pour cela les managers disposent normalement d’une boîte à outils bien fournie, enseignée dans toutes les bonnes formations : envisager le désaccord comme un débat, moins susceptible d’être pris personnellement ; demander “comment” plutôt que “pourquoi” ; reconnaître les points communs…

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