“Quand vient l’automne” : François Ozon, tout le contraire de Coppola, par Christophe Donner

“Quand vient l’automne” : François Ozon, tout le contraire de Coppola, par Christophe Donner

Elles se baladent toutes les deux dans les bois avec leur panier d’osier, anse en bois, bottes en caoutchouc, doudoune matelassée mauve pour l’une (Hélène Vincent), parka molletonnée, doublure panthère, pour l’autre (Josiane Balasko)*, deux vieilles copines à la chasse aux champignons. Elles jouent aux paysannes. Tout est faux chez elles. On voit tout de suite qu’elles ne sont pas du coin. La forêt autour d’elles, le village où elles habitent, les gens qu’elles croisent, le temps qu’il fait, tout les repousse, les contredit, les dénonce comme des usurpatrices. Même les champignons qu’elles ramassent leur sont hostiles… à mort.

Depuis près de vingt ans qu’elles vivent à la campagne, elles n’ont pas réussi à véritablement prendre racine, elles n’y arriveront jamais, car, le spectateur l’apprend assez vite pour ne pas se cabrer devant ce défilé d’anachronismes, de décalages socioculturels, en réalité, Michèle et Marie-Claude sont des Parisiennes. Elles le seront toujours. Il n’y a pas plus parisiennes que ces deux-là. Aussi meilleures copines que l’île Saint-Louis et l’île de la Cité, aussi complices que deux agarics des trottoirs… Après avoir bien déroulé du câble, l’âge aidant, elles en ont eu marre de Paname, elles ont largué les amarres et sont parties à la recherche de la petite maison dans la prairie, histoire de refaire leur vie. Une vie saine, de préférence, une vie dans le droit chemin, pour une fois, et à l’abri de leur lourd passif. Sauf que nos deux compagnes de misère ont un point faible en commun : elles ont eu un enfant. Marie-Claire a un fils (Pierre Lottin) qui sort de taule. Michèle a une fille (Ludivine Sagnier) qui a elle-même un garçon, Laurent (Garlan Erlos), à peine 10 ans, et un mari, Bernard (Malik Zidi), qui vient de la quitter.

Dans la chanson de Léo Ferré, l’île Saint-Louis part à la recherche de l’île au trésor, mais découvre que celle-ci s’est noyée : “Pour les îles sages/Point de grands voyages/Les livres d’images/Se font à Paris.” La preuve : c’est aussi à Paris que le crime de cette comédie policière et provinciale se fera.

Elles ne sont pas “restées jeunes”

François Ozon a eu envie de filmer deux femmes, vieilles, mais qui ne sont pas “restées jeunes” comme il serait convenable de vieillir. Certes, ce n’est pas seulement à la campagne qu’on devient vieilles, mais ça aide. La compagnie des arbres, sans doute, qui eux aussi se laissent aller. A Paris, on se maquille, on bouge, les saisons ne passent pas, elles se cognent aux façades haussmanniennes, rebondissent sur les toits éternellement gris. A Paris, on n’arrête pas de rajeunir, même quand on est un peu trop nombreux aux séances de cinéma du lundi après-midi.

Ce que j’aime bien, avec Ozon, c’est qu’il ne va jamais au-delà des choses qu’il ne peut pas dire, filmer. On pourrait lui reprocher un certain retrait, une prudence, il s’arrête avant de se casser le nez. Il a toujours fait comme ça, même quand on le croyait transgressif. Ça serait un peu le contraire de Coppola qui défonce toutes les portes en hurlant “Poussez-vous, c’est moi que v’là !” Le mec fatigant.

Ne pas demander non plus aux actrices ce qu’elles ne sont pas capables de faire, c’est aussi une manière de faire du cinéma réaliste, juste, précis. Il stoppe l’émotion juste avant de nous faire pleurer. Comme s’il voulait qu’on reste lucide jusqu’au bout. Un exemple qui illustrera peut-être ce que j’essaie de dire. Il y a ce petit Laurent, ballotté entre sa mère acariâtre et sa grand-mère aimante. Ozon ne lui donne pratiquement jamais la parole. A quoi bon. On sait très bien ce qu’il a à dire sur les adultes pour lesquels il est l’objet de rivalité, de désir. Ozon va le maintenir en lisière du drame tout au long du film, alors que c’est autour de lui que tout se trame et bascule. Comme dans tout bon polar, l’énigme n’est plus celle qu’on croit, et la lumière se fait tout à la fin, sur l’insoupçonnable histoire d’amour, et Ozon dit “Coupez !” avant qu’elle ne fasse scandale. Et c’est bien mieux comme ça.

*”Quand vient l’automne”, de François Ozon, en salles le 2 octobre.

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