RSE : la mise au vert “inéluctable” des entreprises

RSE : la mise au vert “inéluctable” des entreprises

Dans les couloirs du siège du fabricant de skis français Rossignol, Laure Jarlaud, chargée de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), est loin d’être une inconnue pour le reste des collaborateurs. Intégrée au comité de direction, l’ingénieure de formation prend part à toutes les grandes orientations stratégiques et s’invite dans de multiples réunions marketing ou financières. Oubliée, la caricature traînée ces dernières années par les chefs de projet RSE, aux attributions gadgets et écartés des instances de gouvernance. La cinquantenaire, grâce à son omniprésence, se trouve à l’origine de nombreux engagements environnementaux et sociaux, à commencer par la promesse d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Le fabricant a également lancé la première gamme de skis recyclables et créé un centre de revalorisation qui entend remettre au goût du jour ses produits. Enfin, il n’a pas hésité à relocaliser en France plusieurs usines.

Attractivité et boycott

Si l’exemple de Rossignol se voit souvent cité dans les réunions de grands groupes, il est surtout le fruit “d’un mouvement inéluctable”, soulignent les observateurs aguerris du secteur. “Les entreprises ont compris qu’il fallait bouger sur ces sujets”, pointe Thierry Philipponnat, fondateur de l’ONG Finance Watch, qui appelle à réguler les mouvements financiers en Europe. Et ce, d’abord au regard des attentes de leurs employés. Un sondage OpinionWay pour la fondation Agir contre l’exclusion (Face) en décembre 2023 assurait que 69 % des salariés du privé trouvaient “important” que leur entreprise mène des actions de RSE. Certains, notamment dans les jeunes générations, comme Alexandre, étudient ces promesses au moment d’effectuer un choix de carrière. Après un master en école de commerce, il a rejoint l’entreprise française de soutien scolaire Acadomia, motivé par ses programmes de développement par le sport.

Ensuite, les entreprises les moins vertueuses se trouvent de plus en plus mises à l’index par… les consommateurs. Lacoste, Coca-Cola, Shein, etc., ces dernières années, on ne compte plus les campagnes de boycott de grandes marques, stigmatisées pour l’origine de leurs approvisionnements ou encore les conditions de travail de leurs ouvriers. Enfin et surtout, elles n’ont plus le choix : depuis la mise en place de la directive européenne sur les publications des données extra-financières (CSRD), les sociétés de plus de 500 salariés doivent analyser les risques financiers auxquels elles sont exposées, mais aussi les conséquences environnementales de leurs activités (quantité de CO2 émis, atteinte aux milieux naturels, etc.). Ce rapport de durabilité rend compte de la réalité de la politique de RSE des entreprises. Il s’ajoute à une longue liste d’obligations réglementaires. La récente loi Antigaspillage pour une économie circulaire (Agec, août 2020) a durci les obligations quant au gaspillage, tandis que la loi Pacte a notamment permis d’intégrer la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux inhérents aux différentes activités. Cette évolution juridique encourage les organisations à assumer un rôle dans la préservation du bien commun et ne prend plus seulement en compte le principe de rentabilité comme valeur cardinale.

“Je pense qu’on peut parler d’une révolution RSE aujourd’hui”, insiste Eric Duverger. Après plus de vingt ans passés comme cadre chez Michelin, il a démissionné pour créer la Convention des entreprises sur le climat (CEC). Fondée sur le modèle de la convention citoyenne pour le climat, cette association vient en aide à plus de 700 dirigeants soucieux de rendre leur modèle plus vertueux. En matière de réussites, la CEC se félicite d’avoir accompagné le fabricant de mobilier Tikamoon, devenu une société à mission retirée du schéma de l’hypercroissance, ou encore les cabinets Expanscience, qui se sont engagés avec leur produit phare Mustela dans une trajectoire zéro déchet. “Mais le problème reste le même : tout projet ambitieux part d’une volonté de son dirigeant. Certains ont une vraie politique de transformation, d’autres se contentent de chercher des parades pour contourner les lois”, précise Eric Duverger. Et en filigrane se pose la question de l’évaluation de la politique RSE d’une société : comment quantifier les efforts ? Heureusement, aujourd’hui des outils viennent aligner des données concrètes sur les promesses affichées dans les campagnes publicitaires. C’est le cas de Greenscope, un calculateur CSRD.

La course aux certifications

Cette plateforme évalue les performances non financières d’une entreprise, regroupées communément sous l’acronyme ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), qui désigne tous les engagements sur lesquels on peut attendre des résultats ambitieux en matière de RSE. Parmi eux, la transparence sur la rémunération des dirigeants, l’existence d’un comité de vérification des comptes ou encore la gestion du recyclage des déchets. Thierry Philipponnat l’assure : “Le monde de la finance prend aujourd’hui en compte ces résultats avant d’investir.” Le respect de certains de ces critères est même devenu obligatoire dans le droit français, à l’instar de l’établissement d’un index de la parité hommes-femmes, désormais exigé dans toute entreprise de plus de 50 employés. Et l’ensemble de ces exigences réclament des efforts… “Avec toutes ces normes, ces injonctions, on a parfois l’impression que faire de la RSE est aussi complexe que d’envoyer des astronautes sur la Lune”, souffle ironiquement le cadre d’un grand groupe.

Pour mettre en avant tous ces efforts, petites et grandes entreprises se lancent dans une course aux certifications. La plus prestigieuse reste sans nul doute le triple A du Carbon Disclosure Project (CDP), organisation à but non lucratif qui rend compte de l’impact environnemental des plus importants groupes internationaux. Son directeur commercial, Dexter Galvin, estime que le CDP atteint “des centaines d’institutions financières” et s’attache à rappeler que ses données alimentent les “indices et notations sur les marchés financiers mondiaux”. Face à la force prédictive du label, les grands groupes surveillent ses desiderata comme le lait sur le feu, à l’image de Kering, Danone ou L’Oréal, qui ne cessent de communiquer d’une année sur l’autre leurs bons résultats attribués par le CDP.

Côté PME, on prête également attention aux certifications de ce type, notamment au label PME +. Ce dernier, qui ne concerne que les acteurs français de la distribution, valorise les pratiques éthiques et responsables. S’il semble beaucoup moins stratégique que le triple A, il se révèle incontournable, notamment pour l’obtention de certaines aides publiques. Ce qui risque d’entraîner un effet pervers : avec tous ces outils et certifications, experts et dirigeants peuvent être tentés d’appliquer une politique RSE “pour remplir des cases sur un tableau”. Mais, même à marche forcée, devenir “plus vert” n’est plus une simple option pour les entreprises.