Guy Ryder, n° 2 de l’ONU : “Il est plus que jamais nécessaire de réformer le Conseil de sécurité”

Guy Ryder, n° 2 de l’ONU : “Il est plus que jamais nécessaire de réformer le Conseil de sécurité”

Ancien directeur général de l’Organisation internationale du travail, le Britannique Guy Ryder a été nommé en octobre 2022 au poste de Ssecrétaire général adjoint chargé des politiques au sein du cabinet d’Antonio Guterres, le patron de l’ONU. Conscient que l’incapacité du Conseil de sécurité a un effet ravageur sur la crédibilité de l’organisation, il plaide pour des réformes urgentes.

Selon lui, les Nations unies, héritées de la géopolitique de 1945, devraient davantage refléter les rapports de puissance actuels. Le Sommet de l’avenir, que les Nations unies organisent en septembre à New York, a précisément pour objectif de rendre l’organisation “mieux adaptée à la réalité du monde” et à l’apparition de nouveaux défis, comme l’intelligence artificielle. S’il garde espoir, Guy Ryder ne nie pas, cependant, que le chemin sera semé d’embûches. Entretien.

A l’heure où deux conflits majeurs font rage en Ukraine et à Gaza, que l’ONU ne parvient pas à arrêter, l’organisation est la cible de nombreuses critiques. Au point que beaucoup se posent la question : sert-elle encore à quelque chose ?

Guy Ryder Indéniablement, les guerres en Ukraine et à Gaza posent la question de l’utilité des Nations unies dans le domaine du maintien de la paix. Et cela fait douter de leur efficacité dans d’autres domaines. Ces critiques ont toutefois tendance à se focaliser sur le Conseil de sécurité de l’ONU, un organe très visible et hautement politique. Quand il est incapable de prendre des décisions, de réagir efficacement à des situations dramatiques, et même de les condamner, c’est l’ONU dans son ensemble qui est mal jugée. Cela ne prend malheureusement pas en compte le fait que cette organisation a un champ d’action beaucoup plus large, qui va au-delà des décisions du Conseil de sécurité.

Dans le cas de l’Ukraine, on pourrait citer l’accord sur les céréales en mer Noire [NDLR : désormais caduque], les négociations pour sécuriser la centrale nucléaire de Zaporijia, ou même la facilitation d’échanges de prisonniers. Il n’en reste pas moins vrai que le conflit se poursuit. Et que la communauté internationale, y compris l’ONU, a été incapable d’y mettre fin.

Même constat pour Gaza. Mais n’oublions pas que malgré les contraintes et difficultés extrêmes, le rôle des Nations unies est extrêmement important en matière d’aide humanitaire à la population locale.

Quels sont les principaux freins, aujourd’hui, à l’action de l’ONU ? Est-ce un problème structurel lié à son organisation ou bien le reflet des tensions géopolitiques entre les démocraties et les autocraties, et entre le Nord et le Sud ?

Il serait facile de dire que les difficultés rencontrées sont le simple reflet des tensions géopolitiques actuelles. Mais cette dimension existe indéniablement : notre monde évolue de plus en plus vers une dynamique multipolaire, ce qui crée des turbulences et complique la résolution des conflits.

Mais les Nations unies doivent aussi s’interroger sur leur propre fonctionnement et examiner lucidement ce qui ne marche pas. Certains des éléments majeurs de l’architecture des Nations unies, comme la composition et le mode de prise de décision du Conseil de sécurité, sont fondés sur la géopolitique de 1945. Ils ne reflètent pas la réalité des rapports de puissance d’aujourd’hui. Il faut changer cela.

Faut-il élargir le Conseil de sécurité à de nouveaux membres, comme le souhaite notamment la France ?

Cela fait bien longtemps que l’on parle de réformer le Conseil de sécurité de l’ONU. Mais il est à présent plus nécessaire que jamais de le faire. Et je constate que le débat a pris une dimension nouvelle. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ont évoqué la nécessité de le réformer. Le président américain Joe Biden s’est notamment exprimé dans ce sens aux deux dernières assemblées générales des Nations unies.

C’est relativement nouveau et cela nous donne un peu d’espoir, même si on est loin de voir le bout du tunnel. Il y a des points de convergence : plusieurs Etats considèrent que l’Afrique doit être représentée, par exemple. Mais si tous s’accordent sur la nécessité d’une réforme, soyons honnêtes, cela ne signifie pas pour autant que tout le monde soit d’accord sur ce que doit être cette réforme.

Les pays émergents réclament une réforme des institutions financières internationales : des avancées sont-elles possibles ?

Les pays en développement attendent en effet cette indispensable réforme. Mais elle se heurte à des résistances. Il est cependant dans l’intérêt de la Banque mondiale et du FMI de s’y atteler, car il y va de la crédibilité et de la durabilité de l’ensemble du système. Nous avons proposé toute une série d’actions allant des processus de gouvernance au sein des institutions financières aux questions portant sur la liquidité et les droits de tirage spéciaux [NDLR : unité de compte du FMI]. Elles abordent également la question du traitement de la dette. Il est alarmant de constater que de nombreux pays du monde en développement dépensent plus pour le service de la dette que ce qu’ils consacrent au budget de la santé ou de l’éducation. Malgré les indéniables blocages, il y a une prise de conscience politique croissante que les choses doivent bouger.

Concernant les missions de maintien de la paix, pensez-vous qu’il faudrait recentrer l’ONU sur un nombre plus limité de missions ?

Les expériences que nous avons eues au Mali, en République démocratique du Congo et au Soudan démontrent que nous devons nous demander si notre boîte à outils actuelle d’opérations de maintien de la paix est toujours adaptée. Il est absurde d’avoir des opérations de maintien de la paix là où il n’y a pas de paix à maintenir… Il n’y a aucune chance que cela fonctionne.

Le secrétaire général a proposé un “nouvel agenda pour la paix”, un éventail d’actions allant du traitement des causes profondes, aux opérations de médiation, en passant par le maintien de la paix, la résolution des conflits et la reconstruction. Nous allons par ailleurs renforcer la coopération avec les organisations régionales, comme l’Union africaine. Nous espérons que cette approche très novatrice rendra nos opérations de maintien de la paix plus efficaces.

Renforcer le rôle du secrétaire général pourrait-il rendre l’ONU plus efficace ?

Le secrétaire général n’a ni pouvoir ni argent. Mais il a une voix, pour défendre un ensemble de principes, et des objectifs qu’il a la responsabilité de faire avancer. Je ne suis pas sûr qu’il faille donner plus de pouvoirs au secrétaire général. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un plus grand engagement de la part de nos Etats membres à l’égard des principes de la Charte des Nations unies, de la pratique du multilatéralisme, du respect de l’Etat de droit. Lorsque des violations du droit international sont commises en toute impunité, nous dévoyons la mission fondamentale de l’ONU, qui s’en trouve affaiblie.

Qu’attendez-vous du Sommet pour l’avenir, que vous organisez en septembre à New York ?

L’idée du Sommet de l’avenir est de rendre le multilatéralisme plus fort, plus efficace. Et les Nations unies mieux adaptées à la réalité du monde. Il nous faut relever des défis nouveaux, comme la rapidité des transformations liées aux nouvelles technologies, et en particulier à l’intelligence artificielle. Nous sommes en train d’examiner le rôle que pourraient jouer les Nations unies dans ce domaine, par le biais d’un conseil consultatif de haut niveau.

En matière de maintien de la paix et de sécurité, notre boîte à outils n’est pas assez efficace. Nous devons par ailleurs prendre en compte de nouveaux risques, comme les attaques cyber, l’application de l’intelligence artificielle à la guerre (des armes autonomes létales), ou des confits dans l’espace.

Notre pacte pour l’avenir comportera cinq chapitres : le développement durable ; la paix et la sécurité internationale ; la science, la technologie et l’innovation (pour éviter un accroissement de la fracture numérique) ; la jeunesse (comment mieux les associer aux décisions) ; et les questions de gouvernance des Nations unies.

Pour rester crédibles, les Nations unies doivent obtenir des résultats sur leurs trois missions traditionnelles : les droits de l’homme, le développement et la sécurité. Nous devons notamment mettre en œuvre l’agenda 2030 pour le développement durable. Et malheureusement, nous sommes très mal partis : à mi-parcours de cet agenda, seuls 15 % des objectifs étaient en bonne voie d’être atteints. Il est encore temps de corriger le tir.

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