Aide à l’Ukraine : quand le RN et la Macronie surjouent

Aide à l’Ukraine : quand le RN et la Macronie surjouent

C’est une règle d’airain des élections européennes : celui qui emporte la mise est celui qui mobilise son camp. Qui trouve les mots pour pousser les siens à sortir du lit un dimanche matin. Avec le conflit ukrainien, l’exécutif pense avoir trouvé l’alarme idéale. Lors du meeting de lancement de Renaissance à Lille, la salle vibrait davantage aux attaques contre la poutinophilie supposée du RN qu’aux éloges de la construction européenne. “Notre électorat est attentif aux questions de géopolitique, note un cadre de la campagne. Cela le soude et le pousse. C’est bien de taper et cliver sur ce sujet.” “La peur est un levier de mobilisation”, assumait en février un stratège macroniste. Gabriel Attal a joué cette partition ce mardi à l’Assemblée, à l’occasion du vote de l’accord de sécurité avec Kiev. “Hausse des prix de l’énergie”, “Augmentation de l’inflation alimentaire”, “vague migratoire”… le Premier ministre a mis en garde contre les conséquences d’une victoire russe, dans son discours défendant la stratégie française d’aide à Kiev.

Le contexte international se prête à cette stratégie, nourrie par les errements tactiques du RN. Quand il crée une Commission d’enquête sur les ingérences étrangères, il laisse soin à la majorité de tenir la plume du rapport final en lui accordant le poste de rapporteur. Jeudi, la formation d’extrême droite enverra le très russophile Thierry Mariani ferrailler à la place de Jordan Bardella lors du premier débat télévisé de la campagne. “Du pain béni pour nous, se régale un pilier Renaissance. Mais leur délégation est si faible qu’il est le seul capable de tenir un débat.”

“Dire que MLP c’est Goebbels, c’est grotesque et faiblard”

Cogner, comment ? Cogner, et c’est tout ? A bas bruit, cette question gagne le camp présidentiel. Plusieurs voix redoutent que des attaques trop caricaturales contre le RN ne produisent pas l’effet escompté. Le camp autoproclamé de la raison ne saurait, par facilité, céder aux raccourcis. Et jeter aux orties la “pensée complexe” cher au président de la République en s’appropriant la rhétorique simpliste de son adversaire. “Attal en fait un peu trop dans la caricature des chars soviétiques à la Concorde si le RN gagne”, note un député. Un interlocuteur du chef de l’Etat confirme : “Dire que MLP c’est Goebbels, c’est grotesque et faiblard.”

Un consensus stratégique s’observe dans la majorité. L’offensive contre le RN est indispensable, mais insuffisante. Indispensable, pour débusquer la formation d’extrême droite et poser les enjeux du scrutin du 9 juin. Insuffisante, car il faudra bien développer un projet pour l’Europe de demain. En ciblant exclusivement le RN, Renaissance s’enfermerait dans une posture de challenger, si loin de son statut de parti présidentiel. Et puis, l’Europe est dans l’ADN du macronisme. La délégation Renew a un bilan à défendre. “On ne fait pas campagne contre quelqu’un, prévient l’eurodéputé Renew Gilles Boyer. On ne doit plus s’excuser d’être ce qu’on est, mais l’assumer.” “Il y a une fascination un peu morbide pour la montée du RN. Attention de ne pas s’enfermer dans ce commentaire”, ajoute un cadre Renaissance. Et tant pis pour le procès en europhilie béate instruit par les oppositions. Il faut parler à son socle.

L’un surjoue le résistant, l’autre la modération

“On a bien compris que le but de la majorité n’était pas de parler d’Europe mais de nous coller une étiquette de soutien de Poutine pour éviter de parler de leur bilan et de perspectives, raille le député RN du Nord Sébastien Chenu. Et quand on voit les sondages où on ne cesse de progresser, on voit à quel point c’est efficace.”

Chacun, finalement tient son rôle dans une pièce de théâtre dont il connait le dénouement. La Macronie endosse le costume du résistant face à un Rassemblement national complaisant avec la Russie de Vladimir Poutine ; le parti d’extrême droite, lui, surjoue la modération face à un “président belliciste”. Ce mardi, à l’Assemblée nationale, le RN s’abstient après avoir envisagé de voter contre. Qu’importe si, en 2022, Marine Le Pen défendait une alliance “sur la sécurité” avec la Russie. Mieux vaut renier son propre programme plutôt que de passer pour un soutien de Poutine à moins de 100 jours des élections européennes. “Ils ne peuvent pas voter contre en raison de l’opinion publique mais ne peuvent pas voter pour afin de rester fidèle à leur ligne et pour ne pas fâcher la Russie”, analyse un ancien ministre. Le RN, ici, surjoue la subtilité pour mieux masquer son ambiguïté.

Courage abstenons-nous

“Ce n’est pas de notre faute si votre manière de réfléchir est binaire, se défend un député RN. Voter contre reviendrait à être pro-Poutine, en s’abstenant, au moins, on n’est pas pro-Poutine. L’abstention, c’est l’équilibre.” Dans l’hémicycle, Marine Le Pen a justifié cette décision en invoquant plusieurs lignes rouges, dont l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan et à l’Union européenne. Et d’interroger l’intention du gouvernement : “Camper le camp du bien et rejeter l’ensemble des oppositions dans le camp du mal ? Soit on est pro Macron soit on est accusé d’être pro Poutine.” Le RN a trouvé sa règle d’or : courage, abstenons-nous.

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