Alimentation : la nouvelle jeunesse de la fermentation

Alimentation : la nouvelle jeunesse de la fermentation

Au menu de son restaurant, La Petite Expérience, à Paris, Gautier Mobuchon propose une mousse au chocolat amer fermenté, une gaufre au levain et potiron… Le jeune chef, qui se présente comme “artisan fermenteur”, remet au goût du jour des recettes vieilles comme le monde. Il est loin d’être le seul. Danone, Bel… Plus d’une vingtaine d’industriels de l’alimentaire collaborent avec des fabricants de ferments (Lesaffre, Lallemand…), des établissements de recherche, tels que l’Inrae ou AgroParisTech, et des start-up, au sein du consortium Ferments du Futur. Lancée en 2022 dans le cadre de France 2030, cette initiative, dotée de 48,3 millions d’euros et complétée d’investissements privés, doit accélérer la connaissance scientifique sur la fermentation.

L’enjeu est considérable : d’ici à 2050, il faudra apporter suffisamment de protéines à 10 milliards d’individus, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Végétaliser les assiettes semble inévitable pour préserver la planète. Sauf que cette transition vers une alimentation durable n’est pas du goût de tous. Sans vache, pas de caséine qui permet de cailler le lait, et donc pas de reblochon. Chance pour les gourmands, les ferments jouent les doublures. Ils apportent protéines, nutriments et vitamines nécessaires, ainsi que des arômes et des couleurs.

“Le champ des possibles est immense”

En apparence, tout est maîtrisé depuis des millénaires : levures et bactéries prospèrent avec des glucides, de la chaleur, de l’oxygène et de l’eau. Pain, choucroute, vin… elles sont présentes dans près de la moitié de nos menus. En réalité, la connaissance est empirique, et la science doit encore progresser. “Il reste beaucoup d’associations de souches à caractériser et à isoler, précise Damien Paineau, directeur de Ferments du futur. Nous devons aussi concevoir des procédés industriels de fermentation économes en eau et en énergie. Le champ des possibles est immense.” Tout comme les perspectives commerciales. Le cabinet SNS Insider estime que le marché mondial de la fermentation dépassera les 36 milliards de dollars d’ici à 2030. “A lui seul, le marché des bactéries devrait atteindre 20 milliards d’euros dans six ans”, complète Christine M’Rini Puel, directrice de la R & D chez Lesaffre.

A la pointe de l’innovation, la filiale du groupe nordiste Ennolys by Lesaffre élabore la vanilline, un arôme qui n’est pas extrait d’une gousse mais de la fermentation du son. Aussi au catalogue, des arômes de noix de coco ou de beurre caramélisé. Des ingrédients qui facilitent l’obtention d’un bon Nutri-Score. La notation apposée sur la plupart des emballages sanctionne la présence d’additifs de synthèse. Les ferments, considérés comme d’origine naturelle, sont mieux notés.

Autre avantage : ils prolifèrent sur des co-produits, comme la mélasse. En fait, n’importe quel substrat riche en carbone suffit à leur bonheur. Alors, pourquoi ne pas utiliser du CO2 ? “Les équipes scientifiques de Lesaffre travaillent sur l’utilisation du dioxyde de carbone d’ici à cinq ans, confirme Christine M’Rini Puel. Les autres pistes de recherche concernent les déchets alimentaires, industriels, agricoles, comme les litières des animaux. Aujourd’hui, la fermentation est un acteur majeur de la transition écologique.”

Encore plus futuristes, des start-up font le pari de la fermentation de précision, qui suppose de modifier le génome d’une levure ou d’une bactérie pour qu’elle produise les protéines recherchées. Cette technique est déjà utilisée en médecine pour fabriquer l’insuline. En alimentaire, pour obtenir de la caséine par exemple, il faut implémenter dans le micro-organisme un gène de la vache codant pour la protéine souhaitée. Une fois cette opération achevée, ce nouveau ferment prolifère notamment sur la mélasse à une température située entre 30 et 37 °C. Ensuite, un processus de purification permet de récupérer un ingrédient indispensable pour réussir des “répliques” de produits laitiers… sans bovin.

Défiance de l’opinion publique

Pour observer cette fine poudre blanche présentée en sachet, il faut pousser la porte du laboratoire de Standing Ovation, à Paris. Romain Chayot, qui a co-fondé la foodtech en 2020, commercialise les premiers substituts de caséine auprès des industriels de l’agroalimentaire désireux de verdir leur offre. En 2022, le groupe Bel a pris une participation au sein de Standing Ovation lors d’une levée de fonds de 12 millions d’euros. Objectif : élaborer les recettes végétariennes de demain. Sauf qu’en France, le cadre réglementaire des OGM est très strict. Sans parler de la défiance de l’opinion publique.

“L’organisme génétiquement modifié ne se retrouve pas dans la protéine finale”, assure Romain Chayot. Il n’empêche, la foodtech attend toujours l’avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Pour Bruxelles, tout aliment qui n’existait pas dans la diète humaine avant 1997 est considéré comme “nouvel aliment”, et doit obtenir le feu vert de l’Efsa. “Nous sommes confiants sur l’obtention de l’autorisation avant une mise sur le marché d’ici à 2026”, martèle Romain Chayot. Une fois le barrage administratif franchi, il faudra passer au stade de la production industrielle, et définir un mode d’étiquetage, afin de rassurer un consommateur très méfiant. Pour convaincre, les adeptes de la fermentation de précision assurent que leur technologie émet moins de CO2, consomme moins d’eau et de terre fertile que l’élevage. Un débat complexe, qui provoque l’ire des amateurs de viande.

En attendant 2026, le marché se développe outre-Atlantique, où l’autorisation de la Food and Drug Administration (FDA) est plus rapide à obtenir. Fondée en 2014, la start-up californienne Perfect Day – également partenaire de Bel – a un vaste catalogue de solutions pour élaborer des crèmes glacées, des yaourts, des fromages à tartiner… Standing Ovation compte fournir une dizaine de tonnes d’ingrédients aux Etats-Unis. De son côté, Bon Vivant, une autre jeune pousse tricolore, anticipe une commercialisation au printemps 2025. Afin de tenir dans la durée, elle a levé 15 millions d’euros auprès de Sofinnova Partners. La France n’est pas que le pays des fromages.

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