Attentat de l’EI à Moscou : pourquoi les services russes ont échoué

Attentat de l’EI à Moscou : pourquoi les services russes ont échoué

Vendredi 22 mars, 19 heures. Les nouvelles de l’attaque meurtrière, revendiquée par le groupe djihadiste Etat islamique, sur la salle de concert Crocus City Hall font le tour de la Russie. Le pays entier suit la catastrophe en temps réel, au rythme des réseaux sociaux. Mais déjà, une question affleure : comment les services de renseignement russes ont-ils pu laisser se produire cette attaque, alors même que leur contrôle sur la société est plus strict que jamais, qu’ils disposent de pouvoirs quasiment illimités, que la capitale russe est filmée sous tous les angles, 24 heures sur 24, par un système de vidéosurveillance doté d’algorithmes de reconnaissance faciale ?

Et que, deux semaines avant l’attaque, les services américains avaient publiquement averti Moscou de l’imminence d’un attentat “extrémiste” qui viserait des sites très visités, tout particulièrement des salles de concert ? Sur sa chaîne Telegram, Ian Matveïev, membre de l’équipe d’Alexeï Navalny et spécialiste des questions de sécurité, poste ce message : “Ces hordes de flics et d’espions qui annoncent chaque jour des arrestations de ‘’terroristes”, ces caméras dans tout Moscou et ce niveau sans précédent de répression ne servent qu’à défendre le pouvoir de Poutine, et absolument pas à protéger le pays contre les vraies menaces.”

Priorité absolue du FSB, l’Ukraine

A-t-il raison ? Pour Olivier Mas, ancien cadre de la DGSE et auteur de J’étais un autre et vous ne le saviez pas (éditions de l’Observatoire), la question peut effectivement se poser en ces termes. “Certes, ce genre d’attaques est très difficile à contrer, pose-t-il d’emblée. Prenez les attentats de Paris : leurs auteurs étaient parfaitement identifiés, suivis depuis des mois, et malgré tout, ils ont pu franchir des frontières, passer sous les radars et lance leur attaque, alors que le terrorisme islamiste était la préoccupation numéro un du renseignement français.” Mais était-elle, ces derniers mois, celle des services de sécurité russes ? Rien n’est moins sûr, poursuit-il.

“Leur priorité ultime, c’est la guerre en Ukraine. Les moyens d’interception et de traduction sont comptés, même dans un grand service. Les ressources affectées à l’Ukraine ne le sont donc pas ailleurs…” Le journal russe indépendant Novaïa Gazeta Europe a d’ailleurs relevé une statistique éloquente. Depuis le début de l’invasion, le 24 février 2022, le FSB déclare avoir déjoué plus de 100 attentats. 76 d’entre eux étaient attribués aux services ukrainiens. Entre 2013 et 2022, à l’inverse, la quasi-totalité de l’activité antiterroriste du FSB concernait les milieux islamistes du Caucase russe.

“Les services spéciaux ne fonctionnent plus comme avant la guerre russo-ukrainienne, confirme Irina Borogan, experte du renseignement russe et co-auteure d’Exilés, émigrés et agents russes, une histoire chaotique (éd. Gallimard). Ils ont de nouvelles missions. Il y a une immense quantité de prisonniers de guerre à gérer et à interroger. Sans oublier la population des territoires annexés, qu’il faut “filtrer” et interroger, afin d’identifier ceux qui ont des sympathies pour l’Ukraine, voire collaborent avec son armée… Cela mobilise des ressources énormes.”

L’antagonisme de plus en plus ouvert entre la Russie et les pays occidentaux explique aussi, en partie, l’échec du renseignement russe : “Pour savoir que des attaques vont se produire, il faut collaborer avec les services étrangers, car personne ne peut surveiller la planète entière, poursuit-elle. Or, les canaux d’échanges d’information fonctionnent manifestement moins bien. Il n’y a plus aucune confiance mutuelle [entre les services russes et occidentaux] depuis le début de la guerre.”

Autre cible : les opposants politiques

Une dernière raison peut expliquer cette faillite : la montée en puissance d’une autre mission traditionnelle des services russes, à savoir la surveillance et la répression de leur propre population. “Surveiller les dissidents et les réseaux sociaux a toujours fait partie du quotidien du FSB, précise Irina Borogan. Mais depuis le début de la guerre, c’est d’une ampleur sans précédent. Les enquêteurs ne font plus rien d’autre que de chercher des ‘’extrémistes””. Un terme à comprendre dans le nouveau sens que lui a attribué le Kremlin : est considéré comme extrémiste en Russie toute personne déclarant son opposition à la guerre en Ukraine, son soutien à l’opposition ou ayant appelé à aller voter à midi pile le dimanche 17 mars, pour l’élection présidentielle.

“Traiter ce genre de cas est bien plus facile que d’attraper de vrais terroristes, ironise l’experte. Les services y consacrent d’énormes ressources, surtout en période électorale. L’objectif numéro un, ce 17 mars, était que tout se passe bien, que personne ne manifeste… Visiblement, ils en ont laissé tomber leur travail sur le mouvement islamiste clandestin.”

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