Attentat de Moscou : les zones d’ombre d’une enquête sous influence

Attentat de Moscou : les zones d’ombre d’une enquête sous influence

“Ce qui nous intéresse, c’est le commanditaire”. Quatre jours après l’attentat terroriste revendiqué par l’Etat islamique (EI) dans la salle de concert du Crocus City Hall, dans la périphérie de Moscou, le gouvernement russe continue d’accuser l’Ukraine d’être complice de l’attaque qui a fait 139 morts, selon un bilan provisoire.

Pour la première fois depuis l’attentat, Vladimir Poutine a reconnu lundi 25 mars que l’attaque avait été commise par des “islamistes radicaux”, lors d’une réunion gouvernementale. Mais “ce qui nous intéresse, c’est le commanditaire”, a poursuivi le président russe récemment réélu. Une rhétorique reprise mardi par le secrétaire du Conseil de Sécurité russe, Nikolaï Patrouchev, en conférence de presse : “Bien sûr que c’est l’Ukraine”, a-t-il affirmé, répondant à la question de savoir si Kiev ou l’EI avait orchestré l’attaque.

Vendredi 22 mars, la Russie a connu le pire attentat de ces vingt dernières années – le plus meurtrier revendiqué par l’EI sur le sol européen jusqu’ici. En 13 minutes, entre 19h58 et 20h11, heures locales, des assaillants ont tiré sur des dizaines de personnes avant de mettre le feu à l’auditorium. Les policiers ont retrouvé quelque 500 balles, deux fusils d’assaut kalachnikov et 28 chargeurs sur les lieux de la tragédie, précisant qu’ils appartenaient “aux assaillants”. Au total, le nombre de victimes s’élève à près de 139 tandis que 182 blessés ont été identifiés, selon un bilan non définitif – le déblaiement du bâtiment se poursuivant jusqu’à ce mardi. Quatre jours après l’attaque, des zones d’ombre demeurent sur les identités et motivations des assaillants.

L’Ukraine réfute toute implication

Le groupe Etat islamique, considère la Russie comme une cible légitime, Moscou combattant l’EI en Syrie, dans le Sahel et ayant mené la guerre à des groupes islamistes et séparatistes en Tchétchénie, région musulmane du Caucase russe (Sud). Les autorités russes avaient annoncé le 3 mars avoir tué six combattants présumés de l’EI en Ingouchie, une petite république du Caucase en majorité musulmane. Mais bien que l’organisation islamiste a revendiqué l’attentat, les autorités russes assurent que les tueurs présumés tentaient de rejoindre le territoire ukrainien après l’attaque et évoquent des liens avec Kiev.

L’Ukraine et ses alliés occidentaux réfutent quant à eux une quelconque implication ukrainienne : “Poutine se parle à nouveau à lui-même, et c’est à nouveau retransmis à la télévision. Et à nouveau, il accuse l’Ukraine. C’est une créature malade et cynique”, a réagi le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans son discours du soir quotidien.

L’ambassade des Etats-Unis en Russie avait averti deux semaines auparavant les ressortissants américains que des “extrémistes (avaient) des plans imminents” en vue de “cibler de grands rassemblements à Moscou, y compris des concerts”. La Maison-Blanche a affirmé que ces renseignements avaient été partagés avec les autorités russes.

Vladimir Poutine semble vouloir attirer l’attention sur Kiev alors que des questionnements émergent en Russie sur la manière dont les djihadistes ont pu percer le système de sécurité. Pour l’opposition russe, les autorités ont été aveuglées par la répression de leurs détracteurs et l’offensive contre l’Ukraine, perdant de vue la menace djihadiste alors que la Russie a été la cible de nombreux attentats islamistes par le passé.

Une douzaine de suspects arrêtés

Samedi, quatre hommes originaires d’Asie centrale, suspectés d’être les assaillants, ont été arrêtés, avant d’être présentés devant un juge le lendemain. “Dalerjon Mirzoïev, 32 ans, originaire du Tadjikistan, père de quatre jeunes enfants ; Saidakrom Rachabalizoda, 28 ans, né lui aussi au Tadjikistan et vivant à Moscou ; Chamsiddin Faridouni, 24 ans, également de nationalité tadjike, père d’un bébé de huit mois, et Muhammadsobir Faizov – un coiffeur de 19 ans, citoyen tadjik lui aussi” sont accusés d’acte de terrorisme, énumère Le Figaro. Placés en détention provisoire jusqu’au 22 mai, ils encourent une peine de prison à perpétuité.

Depuis, huit autres suspects ont également été arrêtés, accusés d’avoir joué un rôle dans la préparation de l’attentat, le dernier en date ayant été placé en détention provisoire mardi. D’après les autorités, ce huitième suspect est originaire du Kirghizstan, un pays d’Asie centrale voisin du Tadjikistan. Selon l’agence Interfax, il est âgé de 31 ans et possède la nationalité russe. Trois suspects supplémentaires avaient aussi été placés lundi en détention provisoire jusqu’au 22 mai. Selon l’agence de presse Ria Novosti, il s’agit d’un père et de deux de ses fils, dont l’un, né au Tadjikistan, détient la nationalité russe.

“Pour de l’argent”

Les motivations des assaillants sont encore floues. Si les audiences des terroristes présumés devant le juge se sont déroulées à huis clos, certains passages ont été dévoilés par les agences de presse, relais de la propagande russe, comme TASS. Il s’agit notamment de l’interrogatoire de l’un des hommes qui affirme qu’on lui avait promis une récompense financière : “J’ai abattu des gens au Crocus pour de l’argent ; [on m’a promis] environ 500 000 roubles [5 000 euros, NDLR]”, a-t-il déclaré. Le détenu a ajouté que la moitié de l’argent avait été transférée sur sa carte, alors qu’on lui avait promis de recevoir l’autre moitié plus tard”.

Un autre, aurait pour sa part raconté avoir été en contact avec un homme, Abdullo Bouriyev, qui l’a appréhendé sur Telegram, selon Le Figaro. Il pourrait s’agir d’un “assistant prédicateur” : l’homme de nationalités tadjike et russe, pourrait être l’organisateur de l’attentat du Crocus. “De même source, Bouriyev était déjà dans le collimateur des services de sécurité turcs pour son appartenance à l’EI-K, la branche afghane de Daech”, poursuit Le Figaro.

Des allégations de torture visant les suspects arrêtés sont apparues après la parution de vidéos les montrant le visage ensanglanté. Une autre vidéo, dont l’authenticité n’a pas été confirmée, semble montrer l’un des suspects en train de se faire sectionner l’oreille au couteau. Au cours de l’audience des suspects dans un tribunal de Moscou dimanche soir, l’un d’eux avait un bandage blanc à l’oreille tandis qu’un autre est arrivé dans une chaise roulante.

Un passage en Turquie

Ce mardi, une source sécuritaire turque a indiqué à l’AFP que deux des suspects arrêtés pour leur participation à l’attentat, Shamsidin Fariduni et Saidakram Rajabalizoda, ont voyagé librement entre la Russie et la Turquie, qu’ils ont quittée ensemble par avion le 2 mars pour retourner en Russie.

Shamsidin Fariduni est entré en Turquie le 20 février et reparti en Russie le 2 mars depuis l’aéroport d’Istanbul après un séjour dans un hôtel de la mégapole, dans l’arrondissement de Fatih. L’autre suspect est lui arrivé à Istanbul le 5 janvier, et est aussitôt descendu dans un hôtel de Fatih qu’il a quitté le 21 janvier. “Il est ensuite reparti pour Moscou le 2 mars par le même vol que Shamsidin Fariduni”, a indiqué la source sécuritaire.

La Turquie réfute néanmoins toute responsabilité dans la radicalisation de ces individus au vu de leur court séjour dans le pays, a insisté ce responsable. Ankara a annoncé mardi avoir arrêté 147 personnes soupçonnées d’appartenir au groupe Etat islamique (EI) dans 30 des 81 provinces de la Turquie.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *