Autriche : comment Vienne fait face à un grand scandale d’espionnage au profit de la Russie

Autriche : comment Vienne fait face à un grand scandale d’espionnage au profit de la Russie

Vienne, nid d’espions. Comme aux grandes heures de la guerre froide, la capitale de l’Autriche a vu revenir les agents secrets du monde entier et son cortège de morts suspectes, relatait Le Monde en 2010. Le pays est de nouveau accusé d’être un repaire d’espions russes. L’arrestation le 29 mars de Egisto Ott, un ancien agent secret, a mis le feu aux poudres, comme l’avait révélé The Insider. Cet ex-employé de l’Office BVT rebaptisé DSN (Direction de la sûreté nationale et du renseignement) spécialisé dans la surveillance de l’extrémisme est soupçonné d’avoir “systématiquement” fourni contre rémunération des informations à la Russie, selon des éléments de l’enquête cités par l’agence de presse autrichienne APA.

A l’issue de la garde à vue de Egisto Ott, dont le mandat d’arrêt comporte pas loin de 100 pages, le tribunal régional de Vienne a ordonné le 1er avril son placement en détention provisoire en raison de “risques de collusion et de commission d’un délit”, a indiqué à l’AFP la porte-parole de l’instance, Christina Salzborn.

L’information est partie de Grande-Bretagne, où ont été découverts des messages compromettants dans le cadre d’une affaire de cinq Bulgares jugés pour espionnage. Avec Egisto Ott, des agents doubles auraient agi pour le compte de l’Autrichien désormais mondialement célèbre Jan Marsalek, au cœur de la faillite de la société de paiements bavaroise Wirecard. Introuvable depuis qu’il a fui l’Allemagne en juin 2020, il se trouverait à Moscou sous une fausse identité, protégé par les services de renseignement russes, selon des enquêtes de médias internationaux.

Des smartphones tombés dans le Danube

Dans le détail, les autorités britanniques ont saisi des messages écrits échangés entre Jan Marsalek et un espion présumé interpellé au Royaume-Uni. Il ressort de ces discussions que Egisto Ott aurait – contre rémunération – transmis à la Russie les données des smartphones de trois hauts fonctionnaires autrichiens du ministère de l’Intérieur. Ces appareils, dont celui du chef de cabinet Michael Kloibmüller, étaient tombés à l’eau quand un canoë avait chaviré lors d’une sortie sur le Danube, a indiqué à l’AFP une source proche du dossier. Ils avaient alors été réparés par un technicien du BVT avant d’être confiés à Egisto Ott. Un ordinateur portable contenant des documents confidentiels aurait également été remis à Moscou.

L’espion aurait par ailleurs utilisé en 2022 son ancien badge pour obtenir auprès de son administration l’adresse personnelle de Christo Grozev, un journaliste bulgare dans le radar des services russes, relève Le Monde. Cet enquêteur est à l’origine des nombreuses révélations du site d’investigation de l’ONG Bellingcat sur les empoisonnements au Novitchok organisés par le GRU, le renseignement militaire russe, notamment lors de la tentative d’élimination de l’ex-agent Sergueï Skripal, en 2018, au Royaume-Uni.

Egisto Ott a par le passé été suspendu de ses fonctions en 2017 et brièvement interpellé en 2021. Il est en effet connu pour avoir trempé dans plusieurs affaires de barbouzeries depuis plus de dix ans. Comme le précise Le Monde, sa suspension de 2017 a été prononcée à la suite de renseignements des services alliés sur la façon dont il avait revendu aux Russes, pour plusieurs dizaines de milliers d’euros, des informations confidentielles tirées des bases de données occidentales. Egisto Ott avait été blanchi par la justice pour ces faits, puis réintégré dans un autre service du ministère de l’Intérieur.

Les liens du FPÖ avec Moscou

“Chez nous, les agents viennent simplement de la police ou de l’armée” et certains sont tentés de retourner leur veste alors que dans les grands pays occidentaux, ils sont souvent formés dans les meilleures universités, décrypte auprès de l’AFP Siegfried Beer, fondateur du centre viennois de réflexion ACIPSS, consacré au renseignement. Selon lui, le passage au gouvernement du parti d’extrême droite FPÖ entre 2017 et 2019 a “fait beaucoup de dégâts”.

Le parti de la liberté d’Autriche, longtemps lié à la Russie par un accord officiel de coopération, avait pris le contrôle de l’Intérieur, un ministère stratégique qui lui avait toujours échappé auparavant. Il s’était illustré par une perquisition très controversée des services de renseignement. Plusieurs services occidentaux avaient dans la foulée limité leurs échanges d’informations avec l’Autriche, de peur que celles-ci ne soient partagées avec Moscou. La cheffe de la diplomatie autrichienne Karin Kneissl avait de son côté invité Vladimir Poutine à son mariage en 2018 et dansé une valse avec lui. Egisto Ott et d’autres anciens agents des services autrichiens sont tous réputés proches du FPÖ.

Vers un durcissement de la législation anti-espionnage

Après l’arrestation de cet ancien agent secret autrichien, le chancelier d’Autriche Karl Nehammer a appelé le 1er avril à renforcer la sécurité du pays alpin. Devant ces “graves accusations”, “il est nécessaire d’évaluer et de clarifier la situation sécuritaire de la République”, a déclaré le chancelier conservateur dans un communiqué. “Nous devons empêcher les réseaux d’espionnage russes de menacer notre pays en infiltrant ou en instrumentalisant des partis ou des réseaux politiques”, a-t-il souligné, en allusion au FPÖ. Le chancelier, qui a reconnu que l’affaire embarrassante constitue “un problème de sécurité nationale”, a convoqué un Conseil national de sécurité le 9 avril.

A quelques mois des élections législatives, organisées fin septembre, Karl Nehammer, a annoncé un durcissement de la très permissive législation anti-espionnage locale. Comme le rappelle le média belge RTBF, la loi anti-espionnage autrichienne ne punit que l’espionnage au détriment de l’Autriche mais pas d’autres pays ou d’organisations internationales, alors que Vienne en accueille de nombreuses, dont l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).

La ministre de la Justice, l’écologiste Alma Zadic, qui a déclaré vouloir en finir avec l’image de “havre de paix pour les espions” de son pays, a promis de présenter un projet de loi afin d’augmenter le plafond des peines pour espionnage, actuellement fixé à cinq ans maximum. La tâche s’annonce difficile pour Vienne. Alors que depuis deux ans Vladimir Poutine mène une guerre sans merci contre l’Ukraine, des taupes russes séviraient toujours dans le pays, selon une source proche des services autrichiens de renseignement interrogée par l’AFP. Malgré sa neutralité diplomatique affichée, l’Autriche reste donc une cible de choix pour Moscou.

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