Brigitte Bardot, le Che, Napoléon… L’expo qui interroge nos icônes

Brigitte Bardot, le Che, Napoléon… L’expo qui interroge nos icônes

Qu’est-ce qui relie le Christ au Che, Jeanne d’Arc à Marilyn Monroe, Napoléon à Diego Maradona… ? Leur statut d’icône, répond le musée de l’Image d’Epinal (Vosges), qui s’est penché sur les mutations au fil des siècles de ces images fantasmées. Les commissaires François Cheval et Christelle Rochette ont ainsi réuni sur les cimaises des représentations d’hommes ou de femmes, dont la destinée, supposée hors du commun, s’est invitée durablement dans l’imaginaire collectif. “Peu importe la réalité. L’icône est une création fictionnelle, une image fabriquée”, pointent-ils.

Voilà des lustres que le terme – du grec eikôn (image) -, qui désigne à l’origine une figure vénérée par l’Eglise orthodoxe, est passé de la sphère religieuse au monde profane. Jusqu’à se confondre avec son contraire : l’idole, incorporelle et donc irreprésentable. Ce qui n’a pas empêché les chrétiens de transgresser l’interdit biblique en construisant de toutes pièces une vaste iconographie christique ; après la douloureuse crucifixion à la Renaissance, place à la représentation apaisée d’une figure bienveillante conférée par l’Eglise romaine.

Staline, France-URSS, décembre 1949. A dr. : Che Guevara, “Der Spiegel”, 16 septembre 1996.

Dès le XIXe siècle, c’est tout un “roman national” qui s’élabore sous la plume des historiens, à l’instar de Michelet. Les grandes figures historiques, héroïsées à l’envi, comme Vercingétorix, Henri IV, Louis XIV ou Napoléon, envahissent les manuels scolaires pour devenir iconiques dans une France au patriotisme exacerbé. Plus tard, l’iconographie d’un maréchal Pétain “vainqueur de Verdun” inonde l’espace public : de l’automne 1940 à l’hiver 1941, les représentations du père de la patrie, unique sauveur potentiel du pays, confinent au sacré.

Les mythes universels se sont perdus dans les images désacralisées qui tombent par millions sur nos écrans

Avec l’essor de la photographie et du cinéma, l’iconisation dépasse alors la représentation artistique ou le récit oral pour s’ancrer dans le son et l’image mécanique. Staline, qui se met en scène en lieu et place des anciennes icônes orthodoxes, en use sans modération pour nourrir son propre mythe, alimentant ce qu’on appellera ensuite le culte de la personnalité. Che Guevara, lui, se hisse au sommet avec le seul cliché d’Alberto Korda, celui du “héros” le plus diffusé au monde, qui voit immédiatement le “révolutionnaire martyr” identifié au Christ déposé de la Croix.

Au cours des années 1950 et 1960, Marilyn Monroe et Brigitte Bardot accèdent au titre d’icônes absolues ; la première, porteuse d’un destin aussi intense que tragique, se donnant tout entière aux exigences de Hollywood ; la seconde subissant ce statut encombrant et finissant par l’écorner. Mais leurs images d’une époque révolue continuent de traverser les frontières et d’inspirer les artistes. Comme celles des Beatles, qui restent à ce jour les plus gros vendeurs de disques de la planète : “Nous sommes plus populaires que Jésus-Christ”, s’étonne John Lennon en 1966, dans une citation jugée mégalo, mais détournée de son contexte puisque l’idole commente à ce moment-là le déclin du christianisme outre-Manche. Quant aux dieux du stade, les Mohamed Ali, Ayrton Senna et autre Diego Maradona, ils incarnent alors la lutte contre la ségrégation raciale ou la gloire puis la descente aux enfers.

Mohamed Ali et les Beatles en 1964. A dr. : Sam Lévin, “Brigitte Bardot, 1967”.

L’entrée dans le IIIe millénaire et le numérique ont radicalement changé la donne. Jadis inscrits sur le temps long, les mythes universels se sont perdus dans la pluie d’images désacralisées qui tombent par millions sur nos écrans. Comment construire un mythe commun dans une société occidentale qui voit les stars éphémères succéder aux influenceurs éclair et n’entraîner la ferveur que de groupes socioculturels fragmentés ?

“Icônes, les images fantasmées”, au Musée de l’image, à Epinal (Vosges), jusqu’au 22 septembre.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *