Ceta : les manœuvres du Sénat qui rêve d’un “coup de tonnerre politique”

Ceta : les manœuvres du Sénat qui rêve d’un “coup de tonnerre politique”

Le Sénat aura-t-il raison du Ceta ? Voté de justesse par l’Assemblée nationale en 2019, le très controversé traité de libre-échange qui lie l’Union européenne au Canada s’apprête à être examiné par la chambre haute ce jeudi 21 mars. Une escale qui fait peser plus que jamais une épée de Damoclès sur le texte entré partiellement en vigueur en septembre 2017 : une mise sur la sellette par les sénateurs communistes. Le geste est aussi symbolique que rare : le groupe présidé par Cécile Cukierman a sacrifié deux de ses quatre heures de niche parlementaire annuelle pour inscrire le projet de ratification du Ceta à l’agenda du Palais du Luxembourg.

L’objectif est clairement assumé en pleine campagne européenne : vider l’accord commercial de sa substance, en s’attaquant à son article premier, qui établit les règles sur les investissements, ainsi que sur les normes sociales et environnementales. “Bien trop déséquilibré”, de l’avis du sénateur communiste Fabien Gay à l’origine de l’initiative de l’inscription du traité à l’ordre du jour. Primo, “le Ceta ne prend pas acte des engagements environnementaux pris par l’Union européenne et ses Etats membres”, explique l’élu de Seine-Saint-Denis. Deuxio, il “n’inclut aucune clause miroir, ce qui signifie que les filières agricoles canadiennes pourront importer des denrées produites dans des conditions sociales et environnementales bien moins exigeantes que celles auxquelles sont soumises nos exploitations”.

La filière bovine menacée par le protectionnisme américain

Car si le traité a en effet bénéficié à certaines filières agricoles, à l’instar des éleveurs bovins ou des producteurs de fromages, d’autres, à l’inverse, seraient menacées. Selon le socialiste Didier Marie, sénateur de Seine-Maritime, les petites exploitations subiront de plein fouet la concurrence canadienne “dès lors qu’elle viendrait à s’implanter sur notre sol”. Un spectre déjà agité au moment des débats à l’Assemblée nationale en 2019. De nombreux élus s’étaient inquiétés des répercussions du Ceta sur la santé économique de la filière bovine. Reste qu’à ce jour, les producteurs canadiens concentrent encore une majeure partie de leurs exportations aux Etats-Unis. Le cataclysme annoncé ne s’est donc pas produit. Ce qui ne signifie toutefois pas qu’il n’adviendra jamais.

“Selon l’issue des élections américaines, les Etats-Unis pourraient décider de fermer leurs portes aux importations de produits agricoles étrangers. Le Canada n’aurait ainsi pas mille autres solutions que de se reporter vers le marché européen…”, met en garde le sénateur LR Max Brisson. Et les détracteurs de l’accord ne s’arrêtent pas là. La même colère se cristallise autour des tribunaux d’arbitrage prévus par le Ceta : un système juridictionnel baptisé l’Investment Court System (ICS), qui permettra aux entreprises canadiennes s’estimant lésées par les normes édictées par l’Union européenne d’attaquer un Etat membre. Un outil qui “ne servirait qu’à faire pression sur les Etats concernés pour qu’ils abandonnent leurs engagements”, étrille l’élu socialiste Didier Marie.

Le vote “qui ne va servir à rien”, vraiment ?

Une “catastrophe”, qu’il faut ainsi à tout prix éviter. Toutefois, la sénatrice LR de Charente-Maritime Corinne Imbert confie : “Comme beaucoup d’élus, je m’interroge sur un vote qui ne va servir à rien…” Car si les communistes, socialistes et écologistes prévoient de faire bloc contre cet “énième traité climaticide”, le groupe Les Républicains n’est pas traversé par le même élan. D’autant que deux heures pour passer en revue un texte de 2 344 pages, “c’est peu”. Ainsi, à la veille du vote, plusieurs électrons libres s’interrogent encore. Mais rien de surprenant dans ce groupe hétérogène, tiraillé entre convictions libérales et penchants souverainistes, et au sein duquel “le mot ‘consigne’ a toujours eu du mal à pénétrer”, assume Max Brisson. Et certains l’ont bien compris. Jeudi dernier, le groupe Union centriste, présidé par Hervé Marseille, a demandé un renvoi du texte en commission. Ultime manœuvre qui doit servir à resserrer les rangs des “pro-Ceta”.

À gauche comme à droite – pour ceux qui voteront en faveur des amendements de suppression –, tous l’assurent : leur position n’est en aucun cas une critique par principe du libre-échange. “Nous ne sommes pas défavorables aux accords commerciaux, mais ils doivent contribuer à la protection des droits humains, et ne pas entrer en contraction avec les objectifs de protection de l’environnement”, se défend Didier Marie. À droite, la priorité reste la souveraineté agricole. “Je ne suis pas pour le retour au protectionnisme, mais je suis partisan d’un commerce plus équitable qui passerait par la préservation de secteurs comme l’énergie ou l’alimentation”, fait valoir Max Brisson, qui se désigne lui-même comme profondément libéral.

Côté exécutif, le mot d’ordre reste le même : défendre l’accord, quoi qu’il en coûte, selon la formule consacrée. Au micro de FranceInfo ce lundi 18 mars, le nouveau ministre délégué chargé du Commerce extérieur, Franck Riester, a notamment fait l’éloge des “nombreuses vertus” du Ceta, convaincu de “la pertinence” d’un accord qui a permis à la France “d’augmenter massivement ses exportations, de plus de 33 % en six ans”, et dont les résultats “sont concrets, positifs pour notre économie, pour nos entreprises, dans tous les secteurs”.

Le dernier mot revient à Macron

Quelle que soit l’issue du vote, le destin du texte est entre les mains de l’exécutif. Dans le cadre de la procédure accélérée choisie par le gouvernement, trois possibilités s’offrent à Emmanuel Macron : l’ouverture d’une commission mixte paritaire, le renvoi du texte à l’Assemblée nationale, qui signerait la reprise de la navette parlementaire, et enfin, la non-notification du vote de Parlement, ce qui reviendrait à… ne rien faire. “Un déni démocratique qui nourrira un peu plus les populistes”, se désole Max Brisson.

Mais Fabrice Gay en est convaincu : “Ce qui va se passer au Sénat ce jeudi est un coup de tonnerre politique.” Davantage encore à quelques semaines des élections européennes, et à l’heure où l’exécutif peine à juguler la colère du monde agricole. Dans ce contexte, le gouvernement ne pourra pas faire la sourde oreille. Non pas comme en 2021, lorsqu’une résolution invitant le gouvernement à ouvrir le Ceta au débat avait été votée à l’unanimité, et que le ministre des Relations avec le Parlement d’alors, Franck Riester, avait abrégé : “On a tout le temps, rien ne presse. Et rappelez-vous, les maîtres des horloges, c’est nous !”

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