Climat : le marché européen des quotas carbone va-t-il droit dans le mur ?

Climat : le marché européen des quotas carbone va-t-il droit dans le mur ?

Le marché européen des quotas carbone fait-il pschitt ? Conçu comme un outil pour inciter les entreprises à investir dans la transition, le mécanisme européen, qui implique aujourd’hui plus de 10 000 entreprises parmi les plus émettrices du continent, laisse dubitatif. Alors que la tonne de CO2 s’échangeait en février 2023 au prix record de 100 euros, un an plus tard sa valeur a chuté de 40 %. Dévalué par la baisse de la production liée au ralentissement économique du continent et la bonne santé du secteur des énergies renouvelables, le CO2 plafonne autour des 60 euros la tonne. “Le marché patine, si on souhaite atteindre les 55 % de réduction de nos émissions en 2030, il faudra que le prix du carbone augmente de manière spectaculaire, or pour le moment on n’en prend pas la direction”, s’émeut Christian Gollier.

L’économiste de la Toulouse School of Economics est un fervent défenseur de la tarification du carbone. Longtemps, il a réfléchi sur la manière d’encourager l’économie, et notamment les secteurs les plus émetteurs comme l’industrie, à prendre le chemin de la transition verte. Sa conclusion est que seul un prix élevé du CO2 permettra de relever le défi de la neutralité carbone. Le principe : lorsque la tonne de carbone atteint un niveau suffisamment élevé, l’investissement dans la décarbonation est plus efficace d’un point de vue économique que l’achat de nouveaux quotas sur le marché pour compenser ses émissions. Avec le système d’échange de quota carbone de l’Union européenne, les entreprises qui émettent massivement des gaz à effets de serre sont donc appelées à faire un pari. Celui que les investissements qu’elles mènent dès à présent dans les changements de procédés industriels, de technologies ou de transition énergétique, seront moins coûteux à l’avenir que le prix des permis de CO2.

Baisse de financements pour les projets verts

Mais pour le moment les quotas carbone peinent à trouver leur juste prix, et produisent surtout de l’incertitude. “Nos plans de décarbonation sont construits sur des scénarios de prix du carbone à la hausse et ces fluctuations du marché rendent difficiles les projections”, concède Laure Helard, déléguée générale de France Ciment, l’organisation représentant le secteur.

Pour ces industries, tout comme la sidérurgie, ou la production d’engrais, les enjeux sont considérables. Nombre de technologies dépendent d’un prix élevé du CO2 pour assurer leur rentabilité. Selon les spécialistes, le captage et le stockage de CO2 issu des usines nécessitent un prix minimum de 100 euros par tonne pour être rentables. De même, le recours à l’hydrogène pour remplacer certains procédés industriels n’est viable financièrement qu’au-delà d’un certain seuil. Anticipant cette hausse à venir, une partie de l’industrie a engagé sa transition depuis plusieurs années, malgré un prix encore peu élevé. “On a constaté une augmentation du nombre de dépôts de brevets au sein d’entreprises intensives en émissions, ce qui montre qu’elles se préparent”, souligne David Lolo, économiste chargé d’études à la Fabrique de l’industrie.

En 2019, une commission présidée par l’économiste et haut fonctionnaire Alain Quinet avait été chargée de définir la “valeur tutélaire du carbone”, soit une valeur de référence pour les investissements dans la décarbonation. Son travail avait estimé à 250 euros la valeur de la tonne de CO2 à atteindre dès 2030 pour se placer sur une trajectoire de neutralité carbone en 2050. Tendra-t-on vers ce niveau ? “Personne ne peut le dire, tant les incertitudes demeurent nombreuses”, tempère Laure Helard. Car au-delà de l’évolution du marché, l’avenir même du dispositif dépendra de décisions politiques sur la manière d’accompagner la transition au niveau européen. “On voit que l’Union européenne semble brusquement hésiter sur le Pacte vert, cela crée un doute parmi les acteurs du marché qui se demandent si les politiques restrictives sur les émissions et les achats de quotas resteront la solution privilégiée par la Commission à l’avenir”, constate Christian Gollier.

Un mécanisme pour répondre aux enjeux de compétitivité

Bien que scrutée, cette baisse que les économistes et les professionnels jugent conjoncturelle, ne semble pour le moment pas remettre en cause les plans des premiers concernés. “En dépit de la récente baisse du prix du carbone en Europe, les coûts carbone imposés à l’industrie sidérurgique européenne restent significatifs. Surtout, notre stratégie de décarbonation n’est pas influencée par des tendances à court terme”, assure-t-on du côté d’ArcelorMittal, le deuxième producteur d’acier au monde.

La visibilité pourrait s’améliorer à mesure que les quotas diminueront, ce qui devrait faire augmenter mécaniquement leur prix. Entre 2024 et 2027, leur nombre sera réduit de 4,3 % par an puis de 4,4 % en 2028. Enfin, pour répondre aux enjeux de compétitivité, et éviter les fuites de carbone -à savoir la délocalisation d’activités polluantes dans d’autres régions moins regardantes sur les contraintes environnementales-, la Commission européenne a décidé de la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) à partir de 2026. Un système de tarifs qui a vocation à uniformiser les règles du jeu en imposant une taxe sur les produits importés ne répondant pas aux exigences de baisse des émissions de l’UE. “Ce mécanisme va égaliser dès aujourd’hui le coût carbone payé par les industriels européens et extra-européens, assure Laure Helard. On peut s’attendre à ce qu’il y ait une vraie incitation pour eux à décarboner”.

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