Colère agricole : quand l’Europe peine à désamorcer la crise

Colère agricole : quand l’Europe peine à désamorcer la crise

Alors que l’Europe s’embrase, Bruxelles jette des seaux d’eau. Et multiplie les gages sans convaincre : obligations écologiques, importations ukrainiennes, législations en passe d’être votées sur la biodiversité et les émissions polluantes… Les ministres des Vingt-Sept se mettent au travail. Ils se réuniront ce lundi 26 février à Bruxelles pour examiner de nouvelles propositions de “simplification” réglementaire de la Commission européenne. En parallèle, les agriculteurs intensifient leur pression.

À Paris, le Salon de l’agriculture est le lieu idéal pour que les agriculteurs puissent exprimer leur colère à l’égard des dirigeants… Et donc d’Emmanuel Macron, qui s’y déplace ce samedi. Les organisateurs ont d’ailleurs décidé de retarder l’ouverture au public du Salon après l’irruption de centaines de manifestants pendant l’entretien du chef de l’Etat avec des responsables syndicaux, ce qui a entraîné des heurts et le déploiement exceptionnel de CRS dans les allées.

Mais Paris n’est pas la seule capitale à être secouée. Dans plusieurs pays d’Europe, dont la Belgique et Bruxelles où des défilés de tracteurs sont attendus, les actions se suivent et se ressemblent. Mercredi 21 février, c’étaient les tracteurs espagnols qui convergeaient vers le centre de Madrid. Tous dénoncent la même chose : la concurrence jugée déloyale de certains pays extérieurs à l’UE. Sur les banderoles, on demande des “prix justes” pour les agriculteurs. Leur souhait ? Pouvoir “répercuter les coûts de production sur le prix final de leurs produits afin de ne pas vendre à perte”. Les paysans réclament aussi un meilleur “contrôle des importations” en Espagne, a expliqué Luis Cortés, coordinateur national de Union de Uniones, sur la chaîne de télévision publique RTVE.

Les tracteurs déferlent dans les capitales européennes

Même son de cloche en République tchèque où plusieurs milliers d’agriculteurs ont rejoint, jeudi 22 février, le mouvement de protestation européen. Même méthode que leurs voisins : leurs machines agricoles se dirigent dans le centre de plusieurs villes. Situation similaire en Grèce. Plus de 130 tracteurs venus de tout le pays ont stationné, mardi 20 février, devant le Parlement à Athènes où 8 000 agriculteurs, selon la police, ont scandé leur mécontentement.

“Sans production agricole, il n’y a pas d’avenir en Grèce”, pouvait-on lire sur une immense banderole, tandis que des pancartes sur les tracteurs proclamaient notamment “on suce le sang des agriculteurs”. Leur frustration est en partie alimentée par la lenteur des indemnisations après les feux et les inondations dévastatrices de 2023 en Thessalie, la grande plaine agricole du pays.

Le malaise se propage également dans l’est de l’Europe, comme en Pologne, où les agriculteurs ont annoncé, vendredi 23 février, un blocage pendant 24 heures à partir de ce dimanche d’un important poste frontalier avec l’Allemagne. L’objet de leur courroux : l’arrivée de céréales ukrainiennes en Pologne. Concrètement, l’UE avait mis en place des couloirs de solidarité pour permettre à la production agricole ukrainienne de s’écouler sur les marchés mondiaux.

Une réaction tardive à Bruxelles

La Pologne était d’accord pour tendre la main, mais la situation s’est compliquée : alors que les marchandises ukrainiennes ne devaient que transiter à travers leur pays, elles sont restées en grande partie sur place, causant une accumulation de marchandises et une baisse des prix. La presse polonaise relaie deux incidents embarrassants pour le gouvernement : le 20 février, une cargaison de céréales renversée sur le bitume et une banderole appelant Vladimir Poutine à “mettre de l’ordre en Ukraine et à Bruxelles”.

Pologne, République tchèque, Espagne… À quatre mois des élections européennes, la colère des campagnes pourrait peser sur le scrutin. Bruxelles écoute les exploitants et s’active en coulisses. Trop tard ? Certes, dès septembre, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, avait courbé le dos face aux résistances croissantes sur les réglementations environnementales. Mais il aura fallu que manifestations et blocages s’accumulent pour que Bruxelles lance tardivement, fin janvier, le “dialogue stratégique” promis avec l’agro-alimentaire. Candidate à un second mandat et soucieuse de ménager les élus conservateurs, Ursula von der Leyen a annoncé en personne début février le retrait d’un texte controversé réduisant l’usage des pesticides.

Un vaste chantier de “simplification”

Surtout, Bruxelles a proposé précipitamment fin janvier une dérogation temporaire et partielle aux obligations de jachères et l’encadrement renforcé des importations ukrainiennes, exemptées de droits de douane et accusées de plomber les prix. Sous pression au niveau national, les Vingt-Sept ont exigé de Bruxelles un vaste chantier de “simplification” des règles de la Politique agricole commune (PAC).

La Commission a présenté ses premières pistes jeudi 22 février : assouplissement des exigences sur les prairies, réduction des visites de contrôle, tolérance en cas d’épisode climatique empêchant de respecter les critères… “La discussion lundi se focalisera sur ces mesures de court terme applicables très rapidement”, avant même d’ouvrir des révisions législatives – plus longues – de la PAC que réclament nombre d’Etats, souligne un diplomate européen à l’AFP.

Reste à savoir si cette feuille de route suffira à calmer la colère du monde paysan ou si l’on met encore un sparadrap sur une plaie ouverte. Une chose est sûre : la révolution des tracteurs est loin d’être terminée.

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