Consommation : les statistiques de l’Insee ont-elles encore un sens ?

Consommation : les statistiques de l’Insee ont-elles encore un sens ?

La crédibilité de Bercy a encore été ébranlée. L’une après l’autre, la Banque de France et l’Insee ont, la semaine dernière, révisé leurs anticipations macroéconomiques pour 2024. La première, dirigée par François Villeroy de Galhau, a d’abord abaissé à 0,8 %, contre 0,9 % précédemment, sa prévision de croissance pour l’année en cours. Ce fut ensuite au tour de l’Insee de corriger son estimation pour le premier trimestre, en passant de 0,2 % à 0 %. Un motif d’espoir subsiste néanmoins pour le trimestre suivant : la progression du PIB est désormais attendue à 0,3 %, contre 0,1 % en février. Il n’empêche que l’objectif de croissance de 1 % du gouvernement, pourtant révisé à la baisse il y a quelques semaines, a déjà du plomb dans l’aile. Le salut viendra-t-il de la reprise de la consommation, moteur clé de l’économie tricolore ?

A la faveur de la désinflation, les dépenses des ménages devraient, d’après l’Insee, augmenter au premier semestre, notamment dans l’alimentaire. Ces données, récoltées par l’institut de la statistique, sont issues des comptes nationaux et constituent le premier outil pour mesurer l’évolution de la consommation et donc du pouvoir d’achat des Français. Mais à l’heure du boom de la seconde main et de la multiplication des transactions entre particuliers, ces chiffres reflètent-ils toujours finement la réalité ? “Ces statistiques obéissent aux règles de la comptabilité nationale, or celle-ci prend en compte les relations entre les grands acteurs économiques – ménages, entreprises et administrations publiques -, sans s’intéresser aux échanges à l’intérieur d’une même entité. Tant que l’on se tiendra à cette orthodoxie, on aura affaire à des résultats curieux”, estime Philippe Moati, cofondateur de l’Observatoire Société et Consommation.

Résultat : le chiffre de la consommation publié par l’Insee est aujourd’hui sous-estimé. Si certains postes comme l’énergie ou l’alimentaire ne sont pas affectés, d’autres font apparaître des écarts non négligeables comme l’habillement ou les équipements du logement. Y a-t-il une chance que ces règles évoluent ? “Elles font l’objet d’un consensus international. Les instituts sont extrêmement conservateurs. J’avais préconisé dans un rapport de faire évoluer les indicateurs actuels, dans lesquels les Français ne se reconnaissaient pas. La proposition avait été balayée d’un revers de main”, raconte l’économiste.

Des comportements modifiés par l’inflation

L’Insee publie bien tous les cinq ans – en principe – son enquête “Budget de famille”, qui intègre les achats, les ventes, les locations et les échanges entre particuliers. “C’est la source la plus fiable”, juge quant à elle l’économiste Pascale Hébel, directrice associée chez C-Ways. Seulement, sa dernière publication date de 2017 et la prochaine n’est pas attendue avant 2026. “Cette enquête est précieuse, mais lourde. De plus, elle est publiée avec un retard considérable. On regarde toujours dans le rétroviseur”, regrette Philippe Moati. Car les comportements des consommateurs peuvent évoluer très rapidement. Le retour de l’inflation l’a rappelé : la hausse des prix a durablement modifié la façon d’acheter des produits.

“Les brocantes et le marché C2C (de consommateur à consommateur) montent en puissance. La hausse des prix a accéléré ce phénomène et a par exemple poussé les gens à revendre leurs biens pour bénéficier de revenus complémentaires”, rappelle Flavien Neuvy, directeur de l’Observatoire Cetelem. Cela se traduit dans les chiffres. “On voit pour la première fois le nombre de nouveaux véhicules immatriculés diminuer. De même pour les téléphones, l’ameublement, ou le gros électroménager. En revanche, il y a un sujet sur le vêtement qui continue de croître malgré la progression de la seconde main”, explique Pascale Hébel. Les nouvelles considérations environnementales entre aussi en ligne de compte. “Ce sont des évolutions durables”, assure Flavien Neuvy.

Comment évaluer l’entraide ou le troc ?

Toujours est-il que ces tendances restent très difficiles à quantifier. “Si je prends l’exemple de BlaBlaCar, il y a une transaction sur le site avec une trace bancaire et un intermédiaire qui lui-même publie ses comptes. Là où cela devient compliqué, c’est lorsque les gens s’organisent de leur côté. Comment évaluer l’entraide ou le troc ? Pour la plupart, il n’y a pas de facture, pas de TVA”, poursuit l’expert. Vinted, premier site marchand textile en France, prélève une commission sur chaque vente de vêtement. Ensuite, le montant final n’est pas pris en compte dans les données récoltées par l’Insee. “Il n’y a aucun moyen de contrôler le nombre de pièces”, note Pascale Hébel.

Des enquêtes plus poussées, basées sur le déclaratif, pourraient éventuellement permettre de dresser un tableau plus réaliste de la situation afin de mesurer le poids de l’occasion. Mais la tâche n’est pas si simple. “Cela fait appelle à la mémoire, avec les limites que cela peut occasionner”, souligne Philippe Moati. “Quand on essaye de décrypter les comportements, on le sait, les enquêtes sont fiables. Mais quand on tente d’évaluer la valeur des échanges, il y a toujours un peu de méfiance de la part des personnes interrogées”, affirme de son côté Flavien Neuvy. Le marché de l’occasion – qui pèse aujourd’hui plus de sept milliards d’euros – n’a en tout cas pas fini de se développer. Passé un certain point, il deviendra impossible à ignorer dans les données nationales.

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