Déficit : pourquoi le message du COR reste trompeur, par Jean-Pascal Beaufret

Déficit : pourquoi le message du COR reste trompeur, par Jean-Pascal Beaufret

Alors que l’épineuse question des déficits publics et des pistes pour les combler occupe tous les esprits, le sujet des retraites semble enterré. Comme si le report de l’âge de 62 à 64 ans décidé l’an passé avait clos le débat. Le Conseil d’orientation des retraites (COR), qui travaille déjà sur son rapport de juin prochain, va très probablement nous dire, comme il le fait depuis longtemps, que les retraites ont été presque équilibrées voire excédentaires en 2023. Ce message sera comme d’habitude inexact. Il va à nouveau induire en erreur Parlement et opinion publique. En réalité, les retraites ont été à l’origine de 54 % du déficit public de 2022 et ont encore contribué pour près de la moitié à celui de 2023. Continuer de le nier pose un sérieux problème démocratique.

Le COR de nouveau dans la tourmente

Le COR ne va donc pas tenir compte de l’avis d’experts de plus en plus nombreux qui soutiennent que les retraites sont à l’origine d’une très grande partie des déficits français. Ni de la présentation faite par François Bayrou, le 21 septembre 2023, devant l’ensemble du COR, pointant une contribution de notre système de retraites de 68 milliards d’euros sur un déficit public total 2022 de 126 milliards et, surtout, de la proposition simple faite à cette occasion de présenter un vrai solde des retraites, “avant” les subventions que les caisses de retraite reçoivent des autres administrations pour payer les prestations.

Certes, ces subventions, comprenant les surcotisations payées par l’Etat sur les traitements des fonctionnaires au taux de 98 % et par les collectivités locales et les hôpitaux au taux de 43 % (contre 28 % maximum pour tous les autres salariés français), taux déjà très élevé en Europe, comptent bien dans le déficit public global. Mais le COR continue de s’accrocher à une “convention” qui consiste à considérer toutes les sommes versées par l’Etat pour équilibrer le régime de retraites de ses fonctionnaires (40 milliards d’euros), celles destinées à équilibrer les régimes spéciaux (8 milliards) mais aussi les sommes versées par les collectivités locales et les hôpitaux publics (8 milliards) au régime de leurs fonctionnaires, ainsi que les sommes versées par les autres caisses sociales (Famille, Chômage et Maladie à hauteur de 14 milliards) au régime général des retraites, comme si elles étaient des cotisations ou des impôts affectés. Et le fait comptable, incontournable, que les retraites sont indirectement financées par la dette publique va, à nouveau, disparaître.

Des comptes publics non sincères

Même avec un nouveau président, économiste renommé, le COR continue donc à privilégier les consensus politiques aux réalités économiques et financières. A cet égard, si les règles en vigueur pour la communication des entreprises faisant appel public à l’épargne s‘appliquaient au secteur public, l’Etat, ses dirigeants ou leur auditeur, la Cour des comptes seraient sanctionnés par les régulateurs et notamment l’Autorité des Marchés Financiers pour des comptes publics non sincères, dans lesquels la maison-mère déplace à sa guise les résultats entre ses différentes divisions par des artifices de transferts.

Comment expliquer d’ailleurs que sur 1 600 milliards d’euros de dépenses publiques en 2023, les régimes sociaux (800 milliards de dépenses, près de la moitié sous forme de prestations de retraites) et les collectivités locales (300 milliards) soient présentés au Parlement en équilibre alors que l’Etat (500 milliards d’euros, 31 % des dépenses seulement) concentre la totalité des déficits (- 150 milliards) ? La comptabilité générale de l’Etat est juste mais sa comptabilité analytique est trompeuse et fait excessivement reporter l’ajustement des finances publiques là où sont logées les dépenses d’avenir (enseignement, recherche, transition climatique et compétitivité économique).

Des dirigeants politiques commencent à le voir. Après François Bayrou, Edouard Philippe, qui a présenté en 2019 une réforme complète, depuis abandonnée, qui assurait une transparence bien supérieure des comptes des retraites et un règlement de leur situation financière réelle sur longue période, l’a récemment dit à Besançon devant les cadres d’Horizons. “Une part de notre abandon collectif provient de ce que le Parlement vote chaque année des comptes non consolidés, qui ne présentent pas une image fidèle de la contribution de chaque institution au déficit global. C’est notamment vrai pour la Sécurité sociale. Notre façon de présenter et de débattre du budget des administrations publiques doit évoluer pour mieux refléter l’état réel de nos finances”, a-t-il déclaré, en soulignant que l’avertissement de François Bayrou, Haut-Commissaire au Plan, en décembre 2022, sur les vrais chiffres des retraites était fondé. D’autres personnalités ne manqueront pas de suivre.

Transparence et démocratie

La transparence est facile à instaurer. Il s’agit d’identifier clairement dans les comptes publics d’une part les prélèvements obligatoires (cotisations et impôts) qui naturellement et sainement financent nos importantes dépenses de retraites, mais de manière incomplète, et, d’autre part, les subventions, quelles que soient leur forme et leur motif, surcotisations non explicitées ou subventions officielles, qui complètent ces financements naturels. Le COR se refuse à le faire. Les lois de financement de la Sécurité sociale ne le font pas davantage. Pourtant, il n’y a besoin d’aucune loi pour le faire devant le Parlement, de manière informelle dans un premier temps.

Cette indispensable transparence des comptes, qui n’existe pas encore dans notre démocratie, pourtant dite avancée, est certes difficile à expliquer à l’opinion publique. Il faudra dire à ceux de nos concitoyens inactifs qui ont le droit à la solidarité des autres que celle-ci ne peut pourtant pas être payée par les générations futures sous forme de dette publique, et que les prestations sociales, surtout de retraites, devront être désindexées avec le temps au moins pour les plus favorisés. Redresser les finances publiques françaises à moyen terme et faire face, en même temps, aux défis des importantes dépenses publiques d’avenir rendront en effet indispensable la réduction graduelle et mesurée des dépenses de retraites.

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