Déficit public : “La feuille de route du gouvernement relève de la pensée magique”

Déficit public : “La feuille de route du gouvernement relève de la pensée magique”

Officiellement, tout est sous contrôle. Certes, le déficit public en 2023 a été plus élevé que ce qui était anticipé mais il devrait graduellement et continuellement diminuer, passant sous la barre des 3 % du PIB en 2027, d’après le programme de stabilité budgétaire que la France s’apprête à remettre à la Commission européenne. Alors que le rétablissement des comptes passe par un effort important sur la dépense publique, la croissance accélérerait pour atteindre 1,8 % à la fin du quinquennat : une hypothèse jugée irréaliste par l’économiste Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’OFCE.

L’Express : Le programme de stabilité budgétaire, qui sera envoyé prochainement à la Commission européenne, a été présenté ce mercredi 17 avril en Conseil des ministres. Il table sur un retour des déficits publics sous la barre des 3 % du PIB en 2027. Quel regard portez-vous sur cette feuille de route ?

Eric Heyer : Elle manque sérieusement de crédibilité. Ce programme détaille année par année les prévisions de croissance, de déficits publics et de dette de la France jusqu’en 2027. L’idée forte, c’est l’ajustement budgétaire. C’est-à-dire des coupes franches et durables dans les dépenses publiques. Or le gouvernement fait l’hypothèse forte que cet ajustement budgétaire n’aura aucun impact sur l’activité. C’est même l’inverse puisque au fur et à mesure la croissance réaccélérerait pour atteindre 1,8 % en 2027, un niveau supérieur au potentiel de l’économie française. Nous sommes ici dans la pensée magique. Le risque, c’est que l’activité soit plus faible que prévue, les recettes fiscales moins dynamiques et que, en bout de course, l’objectif de réduction du déficit ne soit pas atteint.

D’autant qu’en Europe, nous ne serons pas les seuls à faire ce serrage de vis. Certes, par le passé, des épisodes de rétablissement budgétaire au Canada et en Suède, notamment, ont porté rapidement leurs fruits mais le contexte de croissance mondiale était plus porteur. Surtout, ces deux pays avaient dévalué leur monnaie pour doper l’activité. Ce qu’évidemment, nous ne pouvons pas faire avec l’euro !

Justement sur l’ajustement budgétaire annoncé, le gouvernement n’a pas détaillé le montant des coupes budgétaires nécessaires à partir de 2025. Combien d’économies faudrait-il faire pour tenir le cap prévu ?

En ce qui concerne les efforts budgétaires, le gouvernement a prévu 10 milliards d’euros d’effort structurel supplémentaire cette année, 20 milliards l’année prochaine. Pour tenir la feuille de route, il faudrait que chaque année, les dépenses publiques soient rabotées d’une petite quinzaine de milliards d’euros. Cela veut dire que d’ici 2027, il faudra trouver quasiment 50 milliards d’économies. Ce n’est pas infaisable mais la marche est haute : hors inflation, cela veut dire que la dépense publique n’augmentera que de 0,4 % en 2026 et 2027 après une quasi-stabilité en 2025. La France n’a jamais réussi à maîtriser la dépense sur une telle durée. Surtout sans impact sur la croissance. Le Meccano envisagé tient du miracle.

Comment expliquez-vous les mauvais chiffres de déficit public sur 2023 ?

Par une erreur de jugement et d’anticipation : une affaire d’élasticité des recettes fiscales. En 2022, les recettes fiscales ont été nettement supérieures à ce qui était attendu compte tenu du niveau de la croissance. Le gouvernement y a vu la confirmation de l’adage “trop d’impôts tue l’impôt”. En clair, les recettes augmentaient fortement alors même que les taux d’imposition diminuaient. Sauf que l’élasticité des rentrées budgétaires à la croissance est très volatile. Quand Bercy a bouclé son projet de budget pour 2023, ils ont anticipé une poursuite de ce phénomène, ce qui ne s’est pas produit. Or ils ont calé les dépenses en fonction des recettes anticipées. Le réveil à l’automne dernier a été brutal.

Vous parlez d’erreurs de jugements, y en a-t-il eu d’autres ces dernières années qui expliqueraient une partie de la situation budgétaire compliquée dans laquelle se trouve le pays ?

J’en trouve deux, une erreur politique et une erreur économique. La première, c’est la décision au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron de supprimer progressivement la taxe d’habitation. Au départ, ça ne devait bénéficier qu’aux classes populaires et moyennes mais le Conseil constitutionnel a obligé l’exécutif à élargir cette décision à tous les ménages. Cette décision a été une catastrophe budgétaire puisque l’Etat s’est privé d’une vingtaine de milliards de recettes en régime de croisière. Une manne qui nous manque aujourd’hui.

La deuxième erreur est politique et concerne la façon dont nous avons protégé les Français du choc inflationniste lié à l’envolée des prix de l’énergie. Le bouclier énergie a coûté sur 2022 et 2023 près de 80 milliards d’euros. Ce bouclier qui visait à limiter la poussée inflationniste a bénéficié encore une fois à toute la population alors qu’il aurait sans doute été préférable de faire une politique de chèques ou d’aides beaucoup plus ciblée. De fait, le soutien de l’Etat a été invisibilisé, ce qui rend aujourd’hui l’acceptation de hausses d’impôts très difficile. Le bouclier énergétique a érodé encore un peu plus le consentement à l’impôt. Une partie de cet argent public a été jetée par les fenêtres.

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