Dérive des finances publiques : le bilan accablant de la présidence Macron

Dérive des finances publiques : le bilan accablant de la présidence Macron

L’insoutenable légèreté de l’être. Ou la conviction cimentée de pouvoir continuer à défier le réel. Continuer à repousser les limites, à enterrer les promesses, à s’asseoir sur ses engagements, à tordre indéfiniment l’acier des chiffres. En matière de finances publiques, Emmanuel Macron a fauté. Pas plus que ses prédécesseurs, rétorqueront ses soutiens. Certes, mais le président jupitérien a multiplié les erreurs, péché par naïveté ou couardise, embrassé les recettes du passé en s’accrochant au rêve un peu fou de l’argent gratuit, oubliant que les taux d’intérêt ne resteraient pas à zéro éternellement. Il a fait du “quoi qu’il en coûte” une doctrine anesthésiante et addictive. Et voici le Mozart de la finance métamorphosé en David Copperfield de la dette. Condamné aujourd’hui à entonner la sérénade aux agences de notation de plus en plus dubitatives quant aux promesses délivrées.

La France est au pied du mur. Le 26 avril, les deux agences Moody’s et Fitch devraient ouvrir le bal, suivies un mois plus tard par Standard & Poor’s. En janvier 2012, François Baroin, alors ministre de l’Economie, s’invitait au journal de 20 heures de France 2 pour tenter de justifier la perte du fameux triple A de la France. “Il faut relativiser et garder beaucoup de sang-froid […]. Ce ne sont pas les agences de notation qui font la politique de la France”, soufflait-il. De fait, douze ans après, le pays n’a pas fait faillite et il est probable qu’en cas de nouvelle sanction, les marchés financiers ne s’emballeront pas. C’est peut-être pire, tant ce calme trompeur nous rapproche chaque jour un peu plus de la tempête ravageuse.

En sept ans à la tête de l’Etat, le bilan d’Emmanuel Macron sur le front des finances publiques est accablant. L’endettement public a grimpé de 98,2 % du PIB en 2018 à 110,6 % à la fin 2023. Derrière ce ratio insaisissable, c’est 1 000 milliards d’euros de dette en plus, une dérive inédite en un laps de temps aussi court. Le déficit des comptes publics – Etat, collectivités publiques et organismes de sécurité sociale – atteint, lui, 5,5 % du PIB, contre 2,3 % en 2018, l’une des plus mauvaises performances de la zone euro, avec l’Italie comme compagnon de route. La dépense publique, évaluée à 56,7 % du PIB à la fin 2023 d’après les dernières estimations de Bercy, est supérieure de près de 7 points à la moyenne de nos partenaires européens. Quant au taux de prélèvements obligatoires, il est le plus élevé de tous les pays de la zone euro.

Anatomie d’une dérive budgétaire.

L’Etat est ventru et omnipotent. Un problème, une dépense. Un rond-point bloqué, un plan d’urgence. Un Etat “nounou” accourant au moindre “Ouin”, capable de créer un bonus “réparation” pour faire repriser les chaussettes. Un Etat dont les fonctions régaliennes – éducation, sécurité, santé, justice – prennent l’eau, cannibalisées par une protection sociale qui pèse près de 33 % du PIB (contre 28 % en moyenne dans la zone euro) mais n’a pas fait reculer la pauvreté et ne satisfait plus personne. Certes, durant ces sept années, la France a subi deux crises majeures, inédites et imprévisibles : la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, qui a provoqué un choc énergétique équivalent à celui de 1973. Alors, oui, il a bien fallu que l’Etat protecteur joue son rôle – et c’est bien normal – pendant les confinements : chômage partiel, prêts garantis par l’Etat, plans d’aides d’urgence et boucliers tarifaires lorsque les prix de l’énergie ont flambé.

Mais est-ce vraiment la seule explication au triplement du déficit public, qui s’est hissé à 154 milliards d’euros à la fin de 2023 contre 55 milliards en 2018 ? Pour répondre à la question, L’Express a demandé à un collectif de hauts fonctionnaires et d’anciens cadres de Bercy de se plonger dans les chiffres et de décortiquer les projets de loi de finances successifs. Sur les 154 milliards de trou dans les comptes publics enregistrés en 2023, 56 milliards sont imputables aux baisses d’impôts et de cotisations accordées depuis 2018, 40 milliards à des dépenses publiques structurelles et additionnelles comme le relèvement de la prime d’activité décidée au lendemain de la crise des gilets jaunes, les mesures sur l’apprentissage ou la formation professionnelle, et 33 milliards, enfin, à des dépenses de crise non récurrentes… “Le déficit public 2023, de 100 milliards d’euros supérieur à celui de 2018, s’explique essentiellement par la permanence des déficits des régimes sociaux et par des interventions nouvelles, hors dépenses de crise”, concluent ces experts. En résumé, le Covid et la guerre en Ukraine ont bon dos.

Qu’importe puisque le storytelling gouvernemental est bien rodé. Il n’y a qu’à voir comment le programme de stabilité, en clair la feuille de route envoyée par la France à Bruxelles, a été ficelé. Sur le papier, tout est sous contrôle : un déficit public ramené à 5,1 % du PIB en 2024, 4,1 % en 2026, 3,6 % en 2026 et – magie des chiffres – 2,9 % en 2027, juste en dessous du fameux seuil de 3 % gravé dans le marbre du traité de Maastricht. Pour réduire le déficit, un programme de coupes dans les dépenses publiques de 10 milliards d’euros cette année est prévu, 20 milliards l’an prochain, auxquels devront s’ajouter, d’après les calculs de l’OFCE, une petite quinzaine de milliards chaque année d’ici à 2027. Un plan “ambitieux et réaliste”, promet Bercy. Au menu cette année : un coup de rabot sur les frais de transport remboursés par l’Assurance-maladie ou les aides à l’apprentissage, un éventuel recentrage du crédit d’impôt recherche, un appel à contribution des collectivités locales.

“Manque de crédibilité, manque de cohérence”

Pour la suite, c’est le grand flou. “Ce programme de stabilité aura le même destin que tous ses prédécesseurs, il ne sera pas respecté”, prédit François Ecalle, l’un des plus fins analystes des finances publiques, ancien de Bercy et de la Cour des comptes. Dans l’équation mathématique du gouvernement, un “truc” chiffonne. “On nous annonce un ajustement budgétaire sans effet sur la croissance. Mieux, elle accélérerait, atteignant 1,8 % en 2027, décortique Eric Heyer, le directeur du département analyse de l’OFCE. Ce n’est pas très crédible.” La conjoncture mondiale est morose et tous les pays européens ont pour ambition de redresser, en même temps, leurs comptes. “Le risque est que la croissance soit plus faible que prévu, et donc que les recettes soient moins dynamiques, avec en bout de course un déficit plus élevé qu’anticipé”, poursuit Eric Heyer. Manque de crédibilité, manque de cohérence… Dans son dernier rapport publié le 17 avril, le Haut Conseil des finances publiques étrille la feuille de route gouvernementale. Au cœur du problème : les coupes claires dans les dépenses annoncées jusqu’en 2027. “Un tel effort n’a jamais été réalisé par le passé et sa documentation reste à ce stade lacunaire” tacle le Haut Conseil.

“La revue des dépenses publiques telle qu’elle est faite ne permet pas de changement. Il faut mettre en place ce que j’appelle une clause d’extinction. Une grande partie des dépenses votées seraient provisoires et ne deviendraient pérennes que si une évaluation ex post prouve leur utilité”, détaille Marc Ferracci, économiste et député Renaissance. La situation est d’autant plus périlleuse que la charge de la dette, c’est-à-dire la facture que doit payer chaque année l’Etat français à ses créanciers, devrait s’envoler, d’après les estimations de Bercy : un peu plus de 46 milliards cette année, 62 milliards dans deux ans et 72 milliards en 2027… Soit l’équivalent de ce que l’Etat a dépensé l’an passé pour la justice, la sécurité, l’enseignement supérieur et la recherche, et la culture réunis. “Nous entrons dans une zone dangereuse où les taux d’intérêt réels vont redevenir supérieurs aux taux de croissance de l’économie, ce qui crée un effet boule de neige sur la dette et un risque d’emballement”, s’inquiète Denis Ferrand, le directeur général de Rexecode.

Une crise financière est-elle possible à court terme ? “C’est peu probable, car la Banque centrale européenne veille au grain”, répond François Ecalle. Dans la panoplie d’instruments dont l’institution de Francfort s’est dotée au lendemain de la grande crise des dettes souveraines en 2012, on trouve un programme de rachat presque illimité des dettes. En cas de danger, la BCE endosserait son costume de sauveur en dernier ressort. A moins qu’un choc politique ne l’incite à prendre du champ. Et c’est là que le sujet de la dette redevient éminemment politique. Que se passerait-il en 2027 si, par exemple, le RN s’installait à l’Elysée et déroulait son programme économique avec comme mesure phare et électoraliste le retour de l’âge de départ à la retraite à 60 ans ? “La BCE ne pourrait pas cautionner une telle mesure”, pronostique l’ancien auditeur de la Cour des comptes. S’ensuivrait un scénario noir, à l’image de celui vécu par le Royaume-Uni il y a deux ans : l’éphémère Première ministre Liz Truss a été débarquée en quarante-neuf jours après la publication d’un projet de budget délirant et lourdement sanctionné par les marchés financiers. Qu’importe le magicien, le réel finit toujours par s’imposer.

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