Elections municipales en Turquie : “la bataille d’Istanbul”, un scrutin à l’enjeu national

Elections municipales en Turquie : “la bataille d’Istanbul”, un scrutin à l’enjeu national

61 millions d’électeurs sont appelés au vote, ce dimanche 31 mars en Turquie. Les habitants des grandes villes élisent leurs représentants locaux : maires, conseillers municipaux, maires d’arrondissement et muhtar – sorte de chef de quartier. A Istanbul, où les votants ont le choix entre 49 candidats, le bulletin de vote ne mesure pas moins de… 97 centimètres de large. Mais parmi la ribambelle de partis politiques, deux d’entre eux, le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) du président Recep Tayyip Erdogan, et le Parti républicain du peuple (CHP, sociaux-démocrates), dont est issu l’actuel maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, jouent bien plus qu’une victoire à la municipalité.

L’AKP, qui a perdu Istanbul en 2019 après vingt-cinq ans à sa tête, et son candidat Murat Kurum entendent bien récupérer ce “trésor national” des mains d’Ekrem Imamoglu, le chef de l’opposition qui a ravi la principale et plus riche ville du pays. Son parti, le CHP (sociaux-démocrates), était également parvenu à remporter la capitale Ankara, mais aussi Izmir et Mersin. En cas de reconduction sur les rives du Bosphore, Ekrem Imamoglu pourrait ainsi faire figure de favori pour l’élection présidentielle de 2028.

Car l’ancienne Constantinople est “le plus gros trophée de la politique turque”, résume auprès de l’AFP Berk Esen, politiste à l’université Sabanci d’Istanbul. Erdogan en a lui-même été maire dans les années 90, ce qui a propulsé sa carrière politique. En fin de semaine dernière, les sondages donnaient l’avantage au maire sortant. Mais en mai 2023, ils avaient prédit une défaite de l’AKP, qui avait pourtant été reconduit avec 52 % des voix.

Un “référendum” pour la réélection d’Erdogan

Raison pour laquelle Erdogan, 70 ans, et au pouvoir depuis 2003 (d’abord comme Premier ministre puis comme président à partir de 2014) s’est jeté corps et âme dans la campagne, tenant jusqu’à quatre meetings par jour pour soutenir Murat Kurum, ancien ministre jugé peu charismatique. Officiellement, le président, réélu il y a moins d’un an pour un troisième mandat qui s’achèvera en 2028, ne peut se représenter. Mais “s’il arrive à regagner Istanbul et Ankara, Erdogan y verra un encouragement à modifier la Constitution pour se représenter”, analyse pour l’AFP Bayram Balci, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri)-Sciences-Po à Paris.

Profitant de son temps de parole illimité à la télévision, le chef de l’Etat lance régulièrement des piques à l’actuel maire d’Istanbul – sans jamais prononcer son nom. Ekrem Imamoglu est ainsi dépeint en ambitieux peu soucieux de sa ville, élu “à temps partiel” et obsédé par la présidence. “Istanbul a été abandonnée à son sort ces cinq dernières années, critique Erdogan. Nous aspirons à la sauver du désastre.” Dans un pays confronté à 67 % d’inflation officielle sur douze mois et au dévissage de sa monnaie (passée de 19 à 31 livres pour un dollar en un an), les électeurs peuvent être tentés de donner l’avantage aux opposants au chef de l’Etat. A Istanbul, Ekrem Imamoglu a pour sa part veillé à rester sur des enjeux locaux, en énumérant ses réalisations et celles à venir.

L’opposition divisée

Mais contrairement à l’élection de 2019, lors de laquelle il était soutenu par “l’alliance de la nation” – un front de six partis, allant de la gauche prokurde Dem, à la formation nationaliste IYI, tous opposés à Erdogan – cette coalition est aujourd’hui émiettée. Le IYI (Bon parti, nationaliste) et le Dem (parti de l’Egalité des peuples et de la démocratie), troisième force au Parlement, présentent en effet leur propre candidat à la mairie d’Istanbul. “Si Imamoglu parvient à se maintenir, il aura gagné sa bataille au sein de l’opposition pour s’imposer” comme chef de file pour la prochaine présidentielle, note Bayram Balci, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri)-Sciences-Po à Paris.

Les voix des Kurdes, qui représentent un cinquième environ des 85 millions d’habitants de Turquie, selon des estimations, sont cette année encore très convoitées. Le Dem devrait rafler de nombreuses villes, malgré une percée attendue du Hüda Par, un parti kurde d’extrême droite. Ailleurs dans le pays, une part significative des électeurs kurdes pourrait se ranger derrière le CHP afin de faire barrage à l’AKP, selon des enquêtes d’opinion.

De son côté, le parti présidentiel pourrait par ailleurs reculer dans plusieurs grandes villes d’Anatolie au profit d’une formation ultra-conservatrice (Yeniden Refah), prédisent des analystes. Les premiers résultats significatifs sont attendus en fin de journée.

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