En 2028, des TVG du quotidien à prix réduit ? Pourquoi le projet de Kevin Speed est loin d’être gagné

En 2028, des TVG du quotidien à prix réduit ? Pourquoi le projet de Kevin Speed est loin d’être gagné

“Promesse bancale” ou “révolution” ferroviaire ? L’annonce de Kevin Speed de la signature d’un accord avec SNCF réseau pour lancer ses trains en 2028 a suscité des réactions contrastées. La start-up ferroviaire a indiqué, jeudi 29 février, avoir signé d’un accord-cadre avec SNCF Réseau pour faire rouler vingt trains à petits prix entre Paris, Lille, Lyon et Strasbourg à partir de 2028.

Kevin Speed, une entreprise française fondée en 2021 dirigée par Laurent Fourtune, promet 16 passages quotidiens, à chaque heure, de 6 heures à 22 heures dans les deux sens de trois lignes. Cela concerne la ligne Nord aux gares de Lille Flandres, TGV Haute-Picardie et Paris Gare du Nord ; la ligne Est aux gares de Strasbourg-Lorraine TGV, Meuse TGV1, Champagne-Ardenne TGV et Paris Gare de l’Est ainsi que la ligne centre aux gares de Lyon Part-Dieu, Macon-Loché TGV, Le Creusot-Montceau-Montchanin TGV et Paris Gare de Lyon.

“Je ne vois pas du tout comment ils vont faire”

Le ministre des Transports, Patrice Vergriete, s’est réjoui de cette annonce. “Kevin Speed et SNCF Réseau signent pour révolutionner les liaisons depuis Lille, Strasbourg et Lyon vers Paris, garantissant une desserte des villes moyennes et améliorant ainsi l’accessibilité pour tous les citoyens”, s’est-il félicité sur X. D’autres sont en revanche plus sceptiques. “Pour l’instant, ils sont quatre dans l’entreprise. Ils n’ont aucun train, aucune commande en cours, aucun personnel, aucun atelier. Je ne vois pas du tout comment ils vont faire”, a ainsi mis en garde sur X BB27000, un conducteur de train anonyme très suivi sur ce réseau social.

Pour 2028…

Pour l’instant ils sont 4 dans l’entreprise.
Ils ont aucun train, aucune commande en cours.
Aucun personnel, aucun atelier.

Je ne vois pas du tout comment ils vont faire.#KevinSpeed https://t.co/MkjbXkMzYh

— BB27000 (@BB27000) March 1, 2024

“Nous sommes peu nombreux pour être économes. Nous formerons nos conductrices et conducteurs dans des centres habilités dans les deux ans avant de rouler. A court terme, grâce à l’accord, nous travaillons sur le bouclage financier pour acheter les trains”, a répondu sur X Laurent Fourtune, ancien directeur des opérations à Eurotunnel et ex-directeur du développement à la RATP.

Un milliard d’euros à trouver

La start-up ferroviaire chiffre les investissements nécessaires à un milliard d’euros pour les 20 rames, les futurs ateliers et la formation des conducteurs de trains, toujours selon Laurent Fourtune. L’associé fondateur de la start-up espère boucler la levée de fonds d’ici cet été. Mais trouver un milliard ne sera pas une tâche facile. En juillet 2023, Kevin Speed annonçait sur le plateau de BFMTV Good Morning Business une première levée de fonds de 4 millions d’euros. La jeune entreprise compte en tout cas sur le soutien de BPI France, entre autres.

“L’accord-cadre, c’est un début. Il faut désormais que la société boucle le tour de table financier”, indique auprès de L’Express Patricia Perennes, économiste au sein du cabinet Trans-Missions. “Les plans d’affaires doivent avoir un côté séduisant auprès des financeurs potentiels. C’est quand même une affaire à risque pour eux dans la mesure où il y aura des difficultés que l’on ne peut pas anticiper”, souligne auprès de L’Express Alain Bonnafous, professeur honoraire de l’université de Lyon et chercheur au laboratoire Aménagement Economie Transports.

“La première difficulté que rencontrent toutes ces entreprises ferroviaires, c’est d’acheter des trains”, souligne Patricia Perennes. “Un TER neuf, c’est minimum 8 ou 9 millions d’euros. Pour acquérir un TGV, il faut plutôt débourser 30 millions d’euros et il faut en acheter plusieurs. Une bonne base, c’est 10 ou 12 rames afin d’en avoir une ou deux en réserve”, indique cette spécialiste du transport ferroviaire. En outre, comme le rappelle Alain Bonnafous, des entreprises comme Kevin Speed ont notamment besoin d’acquérir un centre de maintenance et plusieurs “équipements qui ne sont pas gratuits”. “Le vrai problème, c’est le coût d’entrée dans la branche”, résume-t-il.

Un calendrier trop ambitieux ?

Le calendrier est l’une des autres contraintes pesant sur Kevin Speed. Le petit poucet du rail “s’engage à acheter vingt nouvelles rames de trains à grande vitesse” au constructeur Alstom, selon un communiqué de l’entreprise. D’après BFMTV, il s’agirait de la gamme Avelia d’Alstom. Un porte-parole d’Alstom a confirmé à l’AFP que les deux entreprises étaient en “discussions exclusives” pour l’achat des rames. Mais aucun contrat n’est encore signé. Les trains doivent en théorie être livrés pour 2028, date de début de commercialisation de leurs offres, et les essais doivent commencer en 2026. Le calendrier semble difficile à tenir. “C’est hyper ambitieux, même si ce n’est pas totalement impossible à tenir”, estime Patricia Perennes.

Les délais de fabrication sont en effet aujourd’hui longs : il faut désormais presque quatre ans pour fabriquer des rames. A titre d’exemple, la SNCF a commandé 115 TGV en 2018 à Alstom, les très modernes TGV-M qui disposent de plus de places. Mais les premières rames, qui devaient initialement rouler en 2023, ne seront pas livrées avant 2025 au plus tôt. Alstom accuse donc du retard et un carnet de commandes déjà très rempli.

Comme le précisait Les Echos en janvier, Laurent Fourtune demandait à SNCF Réseau des garanties d’accès aux lignes sur trente ans afin de donner de la visibilité à ses investisseurs. Sans cela, le projet risquait de rester à quai. L’accord-cadre signé jeudi avec SNCF Réseau porte sur une durée renouvelable de dix ans. S’il n’a pas obtenu ce qu’il souhaitait, néanmoins, “c’est une bonne nouvelle” pour lui, estime Patricia Perennes, dans la mesure où cela va “rassurer les banques”.

Autre point encore suspens, mais moindre : Kevin Speed doit encore obtenir l’aval de l’Autorité de régulation des transports. L’ART, qui sera saisie ces prochains jours, doit s’assurer que ces trois lignes “sont bien complémentaires de celles conventionnées par les régions Hauts-de-France, Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes”, indique le communiqué de Kevin Speed. Cela ne devrait toutefois pas poser de difficultés, selon Patricia Perennes. “Ce sera une formalité. L’ART est plutôt favorable à la concurrence”, précise-t-elle.

Des prix très attractifs

Côté prix, le président de la start-up promet une offre avec une réduction de prix au fur et à mesure que le client achèterait des billets. “Plus on voyage, moins on paye”, a indiqué Laurent Fourtune. “Avec les prix d’attaque qu’on a prévus, nos trains seront pleins”, a-t-il ajouté. L’offre ferroviaire innovante proposée par Kevin Speed, appelée “Illisto”, commence à trois euros aux 100 km en heure creuse pour les trains à destination de Strasbourg et Lille, et à partir de cinq euros aux 100 km en heure creuse pour ceux partant pour Lyon.

Le modèle revendiqué est celui du low cost, plus abordable. Kevin Speed, qui veut baisser les tarifs d’environ 30 %, s’inspire “des solutions rentables dans le low cost aérien”, explique Laurent Fourtune auprès des Echos. A savoir “une très haute densité à bord, une rotation rapide des actifs et des coûts d’exploitation réduits depuis des bases secondaires”. En clair, le terminus des trains sera chaque soir dans une gare intermédiaire, d’où ils repartiront le matin. Les trains Kevin Speed, qui circuleront à 300 km/h, seront différents, avec un seul étage, davantage de portes et “une densité de personnes de type RER”, précisait Laurent Fourtune sur BFMTV en juillet dernier. Ce sera “un train où l’on ne perd pas de temps”, résumait le responsable.

Patricia Perennes considère que le modèle proposé par Kevin Speed est “plus crédible” que celui de Railcoop, une coopérative ferroviaire placée en redressement judiciaire en octobre 2023, disposant d’un délai de six mois pour trouver des capitaux afin de garantir la poursuite de son activité. “Les entreprises comme Kevin Speed et Le Train (NDLR : un nouvel opérateur qui souhaite lancer une liaison régionale à grande vitesse dans le Grand Ouest et dont le projet est avancé) ont un premier mérite par rapport à Railcoop : leurs plans d’affaires sont fondés sur des perspectives de demandes des clients et non pas sur des perspectives de subvention des territoires desservis”, note Alain Bonnafous. Cette coopérative s’était fixée comme objectif de lancer une liaison ferroviaire transversale entre Bordeaux et Lyon en passant par Périgueux, Limoges, Montluçon et Roanne fin 2024.

Pour autant, la tâche s’annonce encore ardue pour Kevin Speed. “Ce n’est pas encore gagné”, estime Patricia Perennes. “Il y a eu beaucoup d’échecs dans ce secteur”, rappelle-t-elle. En effet, “il n’est pas facile d’entrer sur le marché ferroviaire : il faut un vrai modèle économique, beaucoup d’argent, techniquement c’est très complexe, avec notamment la nécessité d’obtenir des droits de passage…”, liste l’économiste. “Il ne suffit pas de vouloir réduire uniquement les coûts”, ajoute Patricia Perennes. De nombreux défis que va devoir relever la jeune entreprise ferroviaire française.

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