Européennes : derrière les débats télévisés, les choix tactiques de la Macronie

Européennes : derrière les débats télévisés, les choix tactiques de la Macronie

Une répétition générale. Le 14 mars 2024, les têtes de listes aux élections européennes s’affrontent lors d’un débat sur Public Sénat. Enfin, presque toutes. Jordan Bardella s’est fait porter pâle. Le président du Rassemblement national (RN), en tête des sondages, a mieux à faire que subir les assauts de ses adversaires. En marge de cette joute, François-Xavier Bellamy propose un autre débat à Valérie Hayer. A deux, cette fois. L’eurodéputé LR, qui dépeint sa rivale en femme de gauche, compte séduire les électeurs macronistes de droite. La cheffe de file Renaissance acquiesce… Mais ne donne pas suite. Une récente proposition de la chaîne LCI est aussi restée lettre morte. La Macronie toise l’eurodéputé, encalminé à 7 % d’intentions de vote. Pourquoi donner de l’écho à un rival ? Se laisser mordre les mollets par un élu menacé d’anonymat ? “On ne va pas le mettre sur un piédestal, sourit un cadre de la campagne.” Valérie Hayer préfère batailler contre Jordan Bardella, le 2 mai sur BFMTV.

Dis-moi avec qui tu débats, je te dirai qui tu es. Une série de confrontations sont organisées par les chaînes télévisées d’ici au 9 juin. Les têtes de listes se retrouveront ce mardi sur LCI, le 27 mai sur BFMTV, le 30 mai sur CNews et le 4 juin sur France 2. Ces joutes oratoires racontent la campagne du camp présidentiel. Elles dessinent sa stratégie, en dévoilent les points forts comme les failles. A trois semaines du vote, l’électorat macroniste demeure sous-mobilisé. Seuls 53 % des électeurs d’Emmanuel Macron en 2022 comptent se rendre aux urnes, d’après une enquête Ipsos. Il est urgent de réveiller les troupes, et de créer de l’intérêt autour du vote. Ainsi le Premier ministre Gabriel Attal défiera Jordan Bardella sur France 2 le jeudi 23 mai pendant plus d’une heure. L’état-major Renaissance loue un “événement” susceptible de “braquer les projecteurs sur l’élection”. “Tout ce qui permet de réveiller l’intérêt pour la campagne est à prendre”, note un ministre.

“Cela serait stupide d’installer le match à trois”

Faire parler de soi, mais pas n’importe comment. Le Premier ministre et Valérie Hayer défient Jordan Bardella. Emmanuel Macron a songé à affronter Marine Le Pen, qui a décliné l’offre. Comme en 2019, la Macronie privilégie la confrontation idéologique avec l’extrême droite. Le camp présidentiel tente de réduire l’élection à un choix entre deux offres politiques aux antipodes. Il agite le spectre d’un “Frexit caché” pour bousculer ses troupes et invisibilise les candidats de “l’arc républicain”, concept utilisé par le président de la République.

Outre François-Xavier Bellamy, Renaissance n’a jamais donné suite aux sollicitations pour un débat avec Raphaël Glucksmann. Valérie Hayer a revendiqué dimanche sur France 3 son refus de “participer à la primaire de la gauche” et invité son concurrent à ferrailler avec Manon Aubry. Un eurodéputé admet un choix tactique : “Cela serait stupide d’installer le match à trois. Un tel face-à-face n’est pas dans notre intérêt.” Marion Maréchal a eu droit à plus d’égards. La tête de liste Reconquête a débattu sur CNews avec Valérie Hayer, dans une joute aux airs d’entraînement avant le duel face à Jordan Bardella.

La candidate cherche la bonne distance avec ces deux rivaux. Elle ignore leurs propositions de débats, mais ne les ménage pas dans les confrontations collectives. Elle cible l’hostilité de Raphaël Glucksmann au pacte asile immigration ou le conservatisme de François-Xavier Bellamy. “Il y a une gradation entre répondre aux arguments des pro-Glucksmann et aller débattre avec lui”, défend un ancien ministre.

“A la ramasse sur le national”

Valérie Hayer donne des coups… et en reçoit. L’eurodéputée souhaiterait européaniser la campagne, mais est rattrapée par l’actualité nationale, terrain de prédilection de l’extrême droite. Les trente premières minutes de son duel face à Jordan Bardella y ont été consacrées, comme le début de son duel face Marion Maréchal. “Il ne faut pas fuir la politique nationale”, lui a conseillé Nathalie Loiseau avant son match face au patron du RN. Violence des jeunes, blocage de Sciences Po… La cheffe de la délégation Renew est souvent mise en difficulté quand ces sujets sont mis sur la table. Elle peine à donner une couleur politique à son propos, quand ses adversaires instruisent le procès du gouvernement. Elle a ainsi été soufflée par l’aplomb de Marion Maréchal, et ses vérités assénées sur le ton de l’évidence. “Valérie est compétente, mais à la ramasse sur le national”, déplore un ministre. A l’image de l’exécutif, elle subit dans ces joutes l’avalanche de crises hexagonales, autant de freins au développement d’un discours européen.

Une candidate en quête de duel face à l’extrême droite. A l’aise sur les dossiers européens, mais en difficulté quand la politique reprend ses droits. Les prestations télévisées de Valérie Hayer sont un concentré de campagne de la majorité. De l’avis général, ces interventions pèseront de manière marginale sur le vote des Français. Dans les débats, elle doit surtout veiller à ne pas commettre d’impair. Une joute sans fausse note est réussie. “Politiquement, si tu loupes quelque chose, cela te colle six fois plus à la peau que si tu réussis un truc, qui ne restera pas longtemps”, note-t-on dans l’équipe de campagne. Et puis, la liste Renaissance se confond avec la personnalité d’Emmanuel Macron. Le chef de l’Etat est à la fois cible des oppositions – elles érigent le scrutin en vote sanction – et levier de mobilisation des siens. Il partage l’affiche avec Valérie Hayer sur l’affiche de son programme. “On est soumis aux aléas d’une météo qui est décidée à Matignon et Elysée”, note un député Renaissance. Et qu’importent les débats à venir.