Face aux Etats-Unis, l’Europe doit se défaire de sa passion pour la régulation

Face aux Etats-Unis, l’Europe doit se défaire de sa passion pour la régulation

La thèse du déclin de l’Occident est devenue le refrain préféré de ceux qui, au lieu de regarder les faits, reprennent sans sourciller les éléments de langage russes : haine de soi, antiaméricanisme viscéral, antimacronisme qui, par effet de contagion, devient un antioccidentalisme… L’erreur est manifeste. Car il n’est point de déclin occidental, tout au plus la fin d’un monopole de la puissance absolue. Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’il existe, au sein de l’Occident, un déclin relatif européen. Voilà le sujet qui devrait nous obséder alors que débute la campagne des élections européennes 2024, pour l’instant largement reléguée à un concours de beauté politique intérieur à la France. Pourtant, l’enjeu est crucial : voulons-nous une Europe autonome vis-à-vis des Etats-Unis ou acceptons-nous de nous laisser ballotter par les décisions de nos amis américains ? Voulons-nous assurer par nous-mêmes notre puissance scientifique et économique, condition de notre sécurité, ou nous résignons-nous à être terrorisés quand pointe la possible élection d’un hurluberlu imprévisible comme Donald Trump ? Voilà le sujet.

La première chose à faire consiste à regarder la réalité en face. Depuis vingt ans, l’économie américaine est plus dynamique que celle de l’Union européenne. Les écarts se sont creusés récemment avec la politique, certes coûteuse en termes de finances publiques, de réindustrialisation et de rénovation des infrastructures, menée par l’administration Biden et, de l’autre, les déboires de l’Allemagne, première économie de l’Union. Le résultat, c’est que le PIB par habitant des Etats-Unis (en parité de pouvoir d’achat, c’est-à-dire corrigé des prix à la consommation) frise les 70 000 dollars, contre 45 000 dollars dans l’Union européenne. Cet écart colossal signifie concrètement que les Américains disposent d’une marge de manœuvre financière par habitant qui leur permet d’augmenter les salaires ou d’investir dans leur défense qui est sans rapport avec la nôtre.

Constituer un Nasdaq européen

Ceci étant dit, il faut se poser la question des raisons de cette différence de revenus, qui est un attribut (certes pas le seul) de l’influence et de la puissance. Si l’on va au fond du sujet, les Américains ont compris que les pays dominants sont ceux qui attirent sur leur sol l’intelligence humaine et qui maîtrisent la production de l’intelligence artificielle, les deux étant parfaitement liés. De fait, en dépit des outrances antisémites et racistes du wokisme sur les campus américains, c’est encore vers New York, Boston et San Francisco que l’on trouve les meilleures universités, celles où veulent affluer les étudiants du monde entier.

Ce précipité qui réunit la recherche scientifique, les entreprises de la tech et le venture capital est unique au monde, en tout cas dans ces proportions. Car l’Union européenne dispose bien de quelques universités valables, de belles start-up et de sociétés de capital-risque (la différence sémantique entre le français “risque” et l’anglais “aventure” est significative). Mais sans être jamais en mesure de “passer à l’échelle”. Par exemple, un programme politique conséquent en vue des prochaines élections pourrait évoquer la constitution d’un Nasdaq européen afin de faire en sorte que nos grandes start-up, qui ont réussi à passer le cap de la recherche et développement et perçoivent du chiffre d’affaires, puissent s’alimenter en capitaux sur un marché financier dédié à l’innovation, profond et liquide.

Le français Mistral capable d’intégrer le club des plus puissants

Quelles sont les entreprises les plus puissantes de la planète ? Sans doute celles qu’on appelle à Wall Street les “magnificent seven” : Apple, Microsoft, Alphabet, Amazon, Tesla, Meta et Nvidia. Force est de constater qu’aucune entreprise européenne ne peut rivaliser avec l’une d’entre elles. Pourtant, certaines auraient, sur le papier, la capacité d’entrer dans ce club. C’est le cas de la française Mistral dans le domaine de l’IA générative, aujourd’hui dominée par Open IA (encore une américaine).

Mais pour cela, nos entreprises de la tech ont besoin d’un marché unique, fluide, qui se construit par la liberté et non par la réglementation. Or, le drame de l’actuel Parlement européen et de la Commission, c’est leur passion obsessionnelle pour tout ce qui relève de la régulation, notamment face aux innovations issues de l’IA, passion qui ne trouve plus aucune entrave depuis le départ des Britanniques. Le problème, c’est qu’elle n’est pas compatible avec l’esprit de puissance. Voilà le choix du mois de juin.

Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Astères

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