Guerre en Ukraine : la crainte d’une avancée majeure de l’armée russe

Guerre en Ukraine : la crainte d’une avancée majeure de l’armée russe

Un mois après avoir pris de haute lutte la ville d’Avdiivka, dans l’est de l’Ukraine, les forces russes poursuivent inlassablement leur travail de grignotage. Quelque cinq kilomètres plus à l’ouest, elles ont revendiqué le 19 mars la conquête du village d’Orlivka – moins de 1 000 âmes – où les Ukrainiens avaient retranché une partie de leurs moyens durant leur retraite.

Confrontées à une pénurie de munitions depuis des mois, les forces de Kiev apparaissent de plus en plus en difficulté sur le front. En cause : le blocage à Washington d’une nouvelle aide de 60 milliards de dollars, sur fond de bataille rangée entre républicains et démocrates. “Il est d’une importance critique pour nous que le Congrès achève rapidement toutes les procédures nécessaires et prenne une décision finale”, a martelé récemment Volodymyr Zelensky.

Sur le terrain, la coupure du robinet américain se fait douloureusement ressentir. Le rapport de feu – qui met en regard le volume de tirs d’artillerie effectués par chacune des deux parties – serait aujourd’hui de 1 pour 10 en faveur des Russes, selon les experts militaires. “Même si les Ukrainiens disposent de canons de meilleure qualité, il est handicapant de ne pouvoir tirer qu’un obus lorsque votre adversaire en envoie 10, insiste Camille Grand, ancien secrétaire général adjoint de l’Otan, aujourd’hui chercheur au groupe de réflexion Conseil européen pour les relations internationales. Ce déséquilibre peut déboucher sur des situations difficilement tenables localement.”

Les forces armées ukrainiennes le reconnaissent. Après avoir constaté des affrontements “progressivement plus difficiles”, le commandant en chef, Oleksandr Syrsky, a lui-même alerté, mi-mars, sur la “menace de voir des unités ennemies s’enfoncer profondément dans (ses) formations de combat”.

Fragilisation du front

De quoi alimenter la crainte grandissante d’une percée russe. “Les pénuries ukrainiennes de munitions et d’autres matériels de guerre résultant des retards dans la fourniture de l’assistance militaire américaine pourraient rendre la ligne de front ukrainienne actuelle plus fragile”, note dans un récent rapport l’Institute for the Study of War. In fine, cela pourrait créer “des vulnérabilités que les forces russes pourraient exploiter pour réaliser des avancées soudaines et inattendues si les approvisionnements ukrainiens continuent de diminuer”, poursuit ce groupe de réflexion basé à Washington.

Bien conscient des risques encourus, le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kouleba, s’est dit “choqué”, le 19 mars, de l’absence d’avancées au Congrès américain malgré des mois de tractations. D’autant qu’en parallèle, les retards s’accumulent aussi sur le Vieux Continent. Sur le million d’obus promis par les Européens d’ici la fin mars, les livraisons ne devraient atteindre que 500 000 unités, a indiqué le même jour Bruxelles. En face, la Corée du Nord aurait fourni à Moscou plus de 6 700 conteneurs de munitions contenant “plusieurs millions d’obus”, a affirmé, fin février, la Corée du Sud.

Entre les atermoiements américains et le temps nécessaire à la montée en puissance de l’industrie de défense européenne, le creux de la vague se fait sentir pour l’armée ukrainienne. “Le temps que les aides occidentales repartent à la hausse, les forces russes disposent d’une fenêtre d’opportunité, abonde le général Nicolas Richoux, ancien commandant de la 7e brigade blindée. Elles chercheront probablement à en profiter au cours du printemps ou de l’été pour tenter d’obtenir des gains supplémentaires.”

Fortification de la ligne de défense

Dans les chancelleries occidentales, l’inquiétude est montée d’un cran. “Les choses changent, changent vite, et pas dans le bon sens”, a résumé Emmanuel Macron dans son interview du jeudi 14 mars, quelques jours après avoir évoqué l’hypothèse d’un envoi de troupes au sol, à la stupéfaction générale.

En déplacement en Allemagne cinq jours plus tard, le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a promis pour sa part que les Etats-Unis ne laisseraient pas l’Ukraine “échouer”, se disant “optimiste” quant à l’hypothèse d’un feu vert rapide du Congrès américain. En attendant, l’Ukraine fortifie sa ligne de défense. Le 11 mars, le président ukrainien a ainsi annoncé “2 000 kilomètres de travaux pour renforcer les fortifications existantes et en créer de nouvelles”. La veille, une note du renseignement britannique avait notamment évoqué la mise en place de “dents de dragon” (des cônes de béton censés ralentir la progression des blindés), de “fossés antichars”, de “tranchées” et de “champs de mines”.

Cela suffira-t-il à contenir la progression russe en cas d’offensive majeure ? “Si le problème des munitions n’est pas réglé, on ne peut pas exclure des gains russes, voire des ruptures localisées du front ukrainien, jauge Camille Grand. Toutefois, il serait surprenant d’assister à un effondrement de l’armée ukrainienne et à des gains russes d’ampleur stratégique : l’armée russe a été très largement décimée et n’a, jusqu’à présent, pas fait preuve de capacités offensives exceptionnelles…” Début mars, le ministère britannique de la Défense a évalué les pertes russes à 355 000 tués et blessés depuis le début du conflit.

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