Guerre Israël – Hamas : pourquoi Tsahal est dépendant de l’aide militaire américaine

Guerre Israël – Hamas : pourquoi Tsahal est dépendant de l’aide militaire américaine

C’est la première fois, depuis le début de l’offensive israélienne à Gaza, que les Etats-Unis mettent en doute leurs livraisons d’armes à Tsahal. Mercredi 8 mai, le président américain Joe Biden a affirmé qu’il refuserait de livrer certaines munitions d’artillerie à Israël en cas d’invasion de grande ampleur dans les centres de population de la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, où s’entassent plus d’un million de Palestiniens, en majorité déplacés.

Récemment, le gouvernement américain a également mis en pause l’envoi de 3 500 bombes vers Israël. “Nous ne livrerons pas les armes et les obus d’artillerie qui ont été utilisés” jusque-là dans les villes, a poursuivi Joe Biden, assumant que des civils ont pu être tués à Gaza “à cause de ces bombes”.

Selon Peter Baker du New York Times, il s’agit “d’un point d’inflexion important” en 76 ans de relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Israël, sans que l’on puisse pour autant parler “d’un point de rupture”. En effet, “l’administration Biden autorise toujours l’envoi de la plupart des autres armes à Israël et les responsables ont souligné qu’aucune décision finale n’avait été prise concernant l’envoi de ces bombes”.

Mais ces doutes sont le reflet de la pression croissante subie par le gouvernement de Joe Biden au sujet de l’envoi d’armes américaines et de leur utilisation par Israël : “La guerre est un frein à sa campagne électorale, à l’unité du parti démocrate et à la position des Etats-Unis dans le monde”, commente Cliff Kupchan, du cabinet d’analyse de risque Eurasia Group, auprès du journal new-yorkais.

Un soutien militaire crucial

Le Pentagone est en effet un allié majeur pour Tsahal. Depuis la Seconde Guerre mondiale, Israël est “le bénéficiaire le plus important” de l’aide américaine à l’étranger, selon un récent rapport du Congrès. Depuis la fondation du pays en 1948, Washington a donné environ 159 milliards de dollars à Israël selon les chiffres officiels, dont 130 milliards ont été employés dans la défense et l’armement. En 2016, Barack Obama avait notamment signé un accord pour l’envoi de 3,8 milliards de dollars d’aide militaire par an.

“Les Etats-Unis fournissent à Israël l’accès à certains des équipements militaires les plus avancés dans le monde, dont (l’avion de combat) F-35”, d’après le département d’Etat américain. Ce sont aussi les Américains qui financent et fournissent en partie l’équipement du “Dôme de fer”, l’efficace et très coûteux bouclier d’Israël contre les roquettes tirées de Gaza ou du Liban, énumère l’Agence France Presse.

Si la quantité d’armes fournie par les Etats-Unis à Israël depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza en octobre 2023 n’est pas communiquée, elle se chiffre en milliards de dollars selon Pete Nguyen, un porte-parole du Pentagone interrogé par le New York Times. Les récentes livraisons incluaient notamment “des munitions à guidage de précision, des munitions d’artillerie, des fournitures médicales et d’autres catégories d’équipements essentiels”. La plupart concernaient des commandes déjà effectuées et validées par le Congrès et le Département d’Etat, et qui ont été accélérées.

Ventes secrètes

Mais le détail de la grande majorité des ventes n’est en réalité pas public. Comme le remarque le Washington Post, plus de 100 opérations ont été approuvées par le gouvernement du président Joe Biden depuis l’attaque du 7 octobre, dont nombre de munitions d’artillerie. Mais en dessous d’un certain montant, ces transactions n’ont pas à être communiquées par les Etats-Unis. Seules quelques ventes d’urgence ont été médiatisées, comme celles, en décembre, de 13 981 obus de 120 mm pour un montant de 106 millions de dollars, ainsi que de 57 000 obus de 155 mm et équipements annexes, pour un total de 147,5 millions de dollars. L’aide américaine est conditionnée pour l’essentiel à l’achat des équipements de constructeurs américains.

“Il s’agit d’un nombre extraordinaire de ventes sur une période assez courte, ce qui suggère fortement que la campagne israélienne ne serait pas viable sans ce niveau de soutien américain”, a déclaré Jeremy Konyndyk, ancien haut fonctionnaire de l’administration Biden, au Washington Post. De plus, les Etats-Unis ont récemment approuvé, le 20 avril, une nouvelle aide de 13 milliards de dollars d’assistance militaire destinés à Tsahal.

Craintes sur l’utilisation de ces armes

Mais alors que certains pays s’inquiètent du bilan humain très lourd de l’offensive israélienne à Gaza, la loi américaine interdit à l’Etat fédéral de fournir des armes aux pays auteurs de “violations flagrantes des droits humains”. Parmi les munitions dont l’envoi a été mis en pause ces derniers jours se trouvent ainsi 1 800 bombes de 2 000 livres (907 kilos) et 1 700 bombes de 500 livres (227 kilos), particulièrement dévastatrices.

Une bombe de 2 000 livres peut par exemple creuser un cratère de 15 mètres de diamètre et 5 mètres de profondeur. D’après The Guardian, se basant sur des experts de l’ONU, c’est une bombe du même calibre qui avait frappé le camp de réfugiés de Jabalia, le 31 octobre, faisant plus d’une centaine de morts, selon le Hamas.

De nombreuses ONG ainsi que des responsables de la sécurité américaine ont ainsi alerté le gouvernement américain à plusieurs reprises sur les violations des droits humanitaires internationaux commises par l’armée israélienne avec probablement des armes américaines. Dans les prochains jours, le Département d’Etat doit ainsi livrer un rapport au Congrès afin de juger si l’utilisation des armes américaines par Israël ne viole pas le droit américain ou international, après la publication par Joe Biden en février d’un mémorandum sur la sécurité nationale (connu sous le nom de NSM-20), sous la pression des élus démocrates.

Un mémorandum non contraignant

Dans un rapport interne préalable, consulté par Reuters, plusieurs hauts responsables américains ont déjà déclaré au secrétaire d’Etat Antony Blinken qu’ils ne trouvaient pas “crédibles ou fiables” les garanties d’Israël sur ces utilisations. Les responsables pointaient notamment “des frappes répétées sur des sites protégés et des infrastructures civiles ; des niveaux inadmissibles de dommages civils […] et en tuant des travailleurs humanitaires et des journalistes à un rythme sans précédent”.

Dans une note transmise à l’exécutif américain le 29 avril, Amnesty International a dénoncé également l’utilisation de plusieurs munitions de fabrication américaine (notamment par Boeing) utilisées dans des frappes contre des habitations civiles, ainsi que le refus systématique et arbitraire d’Israël d’acheminer de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza. “Les preuves sont claires et accablantes […] les Etats-Unis doivent immédiatement suspendre tout transfert d’armes au gouvernement israélien”, a dénoncé Amanda Klasing, l’une des porte-parole de l’ONG aux Etats-Unis.

Le mémorandum n’impose cependant pas de nouvelles exigences juridiques, si ce n’est des assurances écrites de la part des pays acheteurs d’armes qu’ils ne violent pas le droit international. Dans le cas où Israël serait mis en cause dans le rapport, Joe Biden pourrait suspendre ou imposer des conditions aux transferts d’armes américaines, alors que la classe politique américaine se déchire sur la question.

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