Hangar géant et services à la communauté : en Angleterre, Suez mise sur l’impact social

Hangar géant et services à la communauté : en Angleterre, Suez mise sur l’impact social

En ce matin de printemps, les intempéries mettent le trafic ferroviaire anglais à rude épreuve. Mais, en dépit des annulations de trains en cascade, Sabrina Soussan, la PDG de Suez, affiche un flegme très britannique. Il faut dire que les dernières nouvelles sont bonnes : l’agglomération de Manchester vient de prolonger de huit ans les contrats qui la lient jusqu’en 2026 avec le groupe français. Celui-ci gérera les déchets de la ville et de ses environs jusqu’en 2034. Une manne financière estimée à plus d’un milliard de livres. De quoi éloigner un peu plus le mauvais souvenir de l’OPA lancée par Veolia en 2021, qui s’était traduite par un rétrécissement important du groupe ?

Sur le site de la communauté d’agglomération de Manchester (GMCA), un rapport d’évaluation daté du 15 décembre 2023 souligne les progrès constants accomplis par le “nouveau Suez” au cours de la période récente. “Depuis la signature des contrats en 2019, nous avons vu les taux de recyclage progresser, ce qui fait de notre région urbaine l’une des plus performantes du pays. Nous sommes en bonne voie pour que moins de 1 % des déchets que nous traitons soient mis en décharge”, précise un porte-parole.

Si Manchester se montre aussi enthousiaste vis-à-vis du géant français, ce n’est pas seulement pour sa capacité à absorber efficacement 1,1 million de tonnes de détritus par an. C’est aussi en raison de son impact social. “De plus en plus, nos clients choisissent leur prestataire sur la base de nouveaux critères dont le but est de créer de la valeur sociale”, confirme Sabrina Soussan. Dans le cas de Manchester, ces demandes comptaient pour 15 % dans l’évaluation finale des sociétés répondant à l’appel d’offres. Pour remporter le contrat, Suez s’est donc creusé les méninges. Comment le groupe a-t-il fait la différence par rapport à ses concurrents ? En créant un centre, unique en Europe, permettant de récupérer et de redonner vie à des centaines de milliers d’objets mis au rebut.

Une guitare Stratocaster à 75 livres

Vaste comme un terrain de football, ce hangar de 5 000 mètres carrés situé dans un quartier industriel de la ville a ouvert en 2021. Daniel Carolan, directeur du contrat GMCA, fait visiter les lieux. Derrière lui, quinze jours de déchets issus d’une vingtaine de centres de collecte attendent sagement d’être traités par les employés du site : vélos, aliments pour chat, clubs de golf, meubles, téléviseurs… “Tous ces articles vont être réparés, nettoyés, rénovés et revendus sur Internet ou dans l’un des trois magasins de la région. C’est inouï de voir la quantité d’objets en bon état destinés à finir leur vie à la déchèterie. Lorsque nous avons commencé, nous craignions de ne pas en recevoir suffisamment, mais aujourd’hui nous en collectons plus que nous ne pouvons en traiter”, poursuit Daniel Carolan.

Sur la partie droite de l’entrepôt, les objets rafistolés s’empilent sur des étagères. Ils n’y resteront pas longtemps vu leur prix : aspirateur Dyson à 35 livres, guitare Stratocaster à 75 livres. “En général, les produits sont proposés à la moitié du tarif neuf. Cela permet aux personnes disposant de peu de ressources d’en profiter. Mais les rabais peuvent être encore plus avantageux”, confie un employé. Quant aux recettes des ventes – plus d’un million de livres à date -, elles financent en grande partie des associations caritatives.

“Certaines s’occupent des sans-abri. Mais nous avons bien d’autres façons de rendre service à la communauté. Par exemple, notre centre forme des apprentis et des bénévoles aux techniques de réparation. Nous nous déplaçons dans les écoles pour sensibiliser les plus jeunes à la bonne gestion des déchets. Nous avons même passé un partenariat avec certaines prisons. Grâce à l’un d’entre eux, nous remettons en état du matériel médical utilisé dans les hôpitaux avec des résultats aussi inattendus que spectaculaires : les prisonniers participant à ce programme voient leur taux de rechute dans la délinquance diminuer fortement”, détaille John Scanlon, directeur général de Suez recycling & recovery pour le Royaume-Uni.

XXIe siècle oblige, toutes ces initiatives sont suivies et mesurées grâce à un algorithme sophistiqué. “La moindre heure de formation, les tonnes de déchets traités, la consommation de matériaux évitée grâce à la réparation…, tout est pris en compte de manière rigoureuse dans le programme. Ainsi, en 2022 nous savons que nous avons créé très exactement 366 721 673 livres de valeur sociale, avec un retour sur investissement de 3,55. En d’autres termes, pour une livre investie dans nos actions, nous en avons généré plus du triple pour la communauté, sous forme de gain économique, environnemental ou sociétal”, explique Karen Thompson, responsable des partenariats et de l’engagement chez Suez pour le contrat GMCA. Convaincu de l’efficacité de ces initiatives, le groupe français vise désormais les 3 milliards de valeur sociale pour 2030 dans le pays. Un objectif en ligne avec le dynamisme du marché britannique.

Des pratiques de plus en plus répandues

“Ce n’est pas un hasard si ces pratiques sont aussi avancées au Royaume-Uni. Ici, les citoyens ont la charity dans les gènes. Ils sont tout le temps en train de lever des fonds pour une organisation caritative”, constate Sabrina Soussan. Pour autant, la France n’est pas en reste. Laurent-Guillaume Guerra, directeur des ressources humaines de Suez, confirme : “Nos clients français veulent aussi créer de l’impact. Il ne s’agit plus seulement de financer des associations, comme il y a vingt ans.” Ainsi, à la demande de la mairie de Bordeaux, Suez intègre depuis les années 2000 des personnes éloignées de l’emploi dans de petites activités de ramassage de cartons ou de mégots, qui sont ensuite traités en usine.

A Montauban, où la mairie souhaite baisser fortement les quantités de déchets dans les années qui viennent, le groupe a investi dans une recyclerie, un centre de réparation et une start-up spécialisée dans l’économie circulaire. De quoi soutenir 45 emplois. “Le centre que nous avons bâti à Manchester reste unique en raison de sa taille et de ses ramifications sociales. Mais nous développons, à plus petite échelle, ce genre d’initiatives dans une quinzaine de villes françaises. On peut ainsi gérer le dernier kilomètre de la collecte, tout en développant les pratiques de réinsertion. Tout le monde est gagnant”, explique Laurent-Guillaume Guerra. “Ces initiatives se prêtent bien aux métiers du déchet. Mais on commence à les voir arriver aussi dans la filière eau, l’autre branche d’activité de Suez”, complète Sabrina Soussan. Un savoir-faire unique, qui devrait encore faire mouche lors des prochains appels d’offres.

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