Hermès, l’héritier milliardaire et le jardinier : nos révélations sur l’affaire qui affole la Suisse

Hermès, l’héritier milliardaire et le jardinier : nos révélations sur l’affaire qui affole la Suisse

La dernière photo que ses amis ont vue de lui date de l’été. Etait-ce le dernier ? Celui d’avant ? Ils l’ignorent, ils peinent à le joindre, son téléphone dort et leurs courriers demeurent sans réponse. Jean et chemise bleu ciel repassée, baskets turquoise et jaune citron, Nicolas Puech, main posée sur une jarre de terre cuite dont jaillissent des lauriers, sourit. L’image, se rassurent ses proches, le montre heureux, portant beau, tout juste dans le visage pourrait-on distinguer un voile crispé – le reflet du piquant soleil andalou ? L’image a été prise, racontent ceux qui reconnaissent la patine moussue de la propriété espagnole, aux “Quatre vents”, domaine chéri du milliardaire octogénaire, détenteur de 5,8 % des actions Hermès, fortune estimée à plus de 10 milliards d’euros. Une bâtisse isolée, en altitude, échappant aux regards, aux importuns, aux questions.

C’est là, entre lauriers et cactus, qu’il passe le plus de temps possible, entouré de son jardinier Jadil Butrak, silhouette de marathonien, mise élégante, et la compagne de celui-ci, Maria Paz Pineiro, brunette pimpante, prompte à monter la voix. Jadil, cavalier hors pair qui apprit à monter à beaucoup des amis de Nicolas, à l’époque où celui-ci les voyait encore, prend soin des chevaux de son bienfaiteur, tandis que Maria Paz dirige la maisonnée et soigne le vieil homme, non sans quelque brusquerie – c’est qu’elle a beaucoup à faire. L’hiver, le trio prend ses quartiers en Suisse, dans le Valais, où le vieil homme s’est installé en 1999 à la faveur d’un forfait fiscal négocié avec les autorités cantonales. Le village d’Orsières s’est habitué depuis bientôt trente ans à cette famille bigarrée, le vieux monsieur élégant, roulant en Bentley brune, et le couple de domestiques dévoués, toujours présents à ses côtés, délaissant même la maison de Montreux qu’il leur a offerte, parmi tellement d’autres et plus somptueuses encore. Peu à peu, ces quinquagénaires ont su gagner le cœur solitaire, et blessé, du fils de famille, que ses parents, les trois branches Hermès, considèrent avec méfiance. N’est-ce pas lui, le débonnaire et affranchi oncle Nicolas, qui, en 2011, prêta ses comptes permettant à Bernard Arnault et à LVMH d’entrer discrètement dans le capital du célèbre maroquinier jusqu’à en posséder plus de 20 % ? Un assaut boursier qui terrifia les actionnaires de l’auguste maison, soudain sommés de verrouiller tous leurs titres au sein d’une entité, H51. Tous le firent, soulagés d’avoir échappé au raid de leur concurrent, tous sauf Nicolas Puech. Farouchement attaché à son indépendance, soucieux de garder la main sur ses titres, il savoure ainsi d’agacer son clan, de l’inquiéter, à croire parfois qu’il se venge d’eux qui, depuis si longtemps, lui reprochent son insouciance, son goût du soleil et des plaisirs.

Un isolement préoccupant

Plus de dix ans ont passé depuis la guerre LVMH-Hermès. Et Nicolas Puech, voyageant entre le Maroc, le Mexique, l’Espagne et son cher Valais se fait désormais discret. Trop ? Des invitations qu’il n’honore plus, des appels qu’il ne retourne pas, parfois quelques textos brefs, aimables toujours. Depuis le Covid, ses amis s’inquiètent. On le dit fatigué, passant ses journées devant sa télévision, parfois des mots croisés, les courses livrées à domicile, est-ce l’âge qui aurait à ce point assagi le joyeux drille ? L’avant-veille de Noël, la presse genevoise révèle qu’un signalement a été déposé auprès de l’APEA d’Entremont, l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte. 20 pages rédigées par l’avocat Yannis Sakkas, conseil d’Eric Freymond, l’ancien conseiller patrimonial de Nicolas Puech, congédié par celui-ci en septembre 2022, auxquelles s’ajoutent une cinquantaine de pages d’annexes, tentant de démontrer que l’héritier vieillissant serait maintenu à “l’isolement affectif” par le couple, qui aurait obtenu de lui ces dernières années des dons immobiliers, estimés dans ce document à une soixantaine de millions de francs suisses.

La lecture de ce signalement effare. Le généreux fortuné offre avec une libéralité confinant à du grand art. Ou serait-ce de la faiblesse ? 53 titres de propriété sont ainsi donnés au jardinier et à sa compagne : des demeures en Suisse, en Espagne, au Portugal, des centaines d’hectares, des milliers de mètres carrés de pierres. Des cadeaux gigantesques, faits parfois sur un coup de tête. Comme ce courrier rédigé à la main par l’actionnaire Hermès sur un papier à en tête de l’hôtel La Mamounia, à Marrakech, le 7 octobre 2015, et adressé à son banquier : “Par débit de compte sous rubrique, veuillez virer la somme de 1 575 000 euros en faveur de Monsieur Jadil Butrak pour l’achat d’une villa à Marrakech, il s’agit d’une donation”. “Ce sont des dons consentis entre amis, cela représente moins de 1 % de la fortune de mon client”, balaie son nouvel avocat, Jörn-Albert Bostelmann, qui estime ce signalement “stupide”.

Stupide ? Le nouveau conseil est aujourd’hui un homme puissant, en capacité d’agir souverainement, l’héritier Hermès lui ayant en effet, via une procuration étrangement non datée, donné “procuration avec pouvoir de substitution aux fins de le représenter en l’affaire : gestion financière, procédure administrative, adoption, questions successorales et familiales au service le plus large”. La procuration est signée par l’octogénaire et le couple Jadil Pineiro.

Après l’adoption, le Pacs

Un blanc-seing qui n’a pas affolé les autorités valaisanes, d’une légèreté étonnante. Celles-ci ne semblent pas se formaliser que le milliardaire et ses serviteurs soient représentés par le même avocat, de surcroît en capacité de tout décider en leur place. Des pouvoirs quasi illimités. Moins de deux mois après son dépôt, le signalement est en effet sur le point d’être classé sans suite. Une fin dont Eric Freymond et son avocat pourraient même ne pas être informés, selon la procédure valaisanne, ce qui rendrait impossible de faire appel de ce classement. Or l’enquête des services sociaux fut pour le moins rapide, voire superficielle. Les amis de Nicolas Puech regrettent ainsi de ne jamais avoir été approchés par ces travailleurs sociaux, auxquels ils auraient confié leur désarroi, leurs doutes. Ses anciens conseils n’ont pas été approchés, ni même son notaire historique, mis à l’écart récemment, ni encore ses nombreux avocats, ni ses banquiers, en revanche, un médecin valaisan a examiné Nicolas Puech et conclu ainsi que celui-ci agissait en pleine possession de ses moyens. Ni emprise, ni isolement, une autonomie souveraine, éclairée. Et des millions de francs suisses offerts en quelques années ne semblent mériter aucune étude scrupuleuse.

L’information réjouira certainement le milliardaire, ses deux amis et leur avocat, surtout si un appel ne peut venir interférer. Nicolas Puech pourra ainsi continuer de remodeler radicalement ses dispositions testimoniales, prises devant notaire en 2011 en faveur de la fondation d’intérêt public Isocrate, à laquelle il se lia cette même année par un pacte successoral lui léguant l’intégralité de ses actions Hermès. Ainsi, tous ces remaniements aboutiraient au dépouillement de la fondation philanthropique, qui fut si longtemps sa grande oeuvre. D’autant que certains évoquent aujourd’hui la possibilité d’organiser pour lui et son ami, non marié avec sa compagne, un Pacs. Un contrat civil surprenant de modernité pour l’arrière-petit-fils Hermès, monsieur aux manières surannées, liant l’octogénaire à celui qu’il présenta toujours comme “son fils”, n’est-ce pas furieusement transgressif ? Une idée dont l’avocat Bostelmann nie catégoriquement l’existence : “La signature d’un Pacs est totalement erronée.” L’homme de loi admet en revanche préparer une adoption du dévoué serviteur. Fils adopté ou ami pacsé, l’employé de maison pourrait demain hériter de près de 10 milliards d’euros de son bienfaiteur. Hermès comptera peut-être un jour dans son cénacle d’actionnaires, Jadil Butrak, le compagnon d’un vieil oncle, solitaire. Trop ?

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