“Il est facile de croire à des choses fausses” : Willy Lafran, infatigable défenseur de la rationalité

“Il est facile de croire à des choses fausses” : Willy Lafran, infatigable défenseur de la rationalité

“Lors de la première édition en 2021, organisée en trois mois, j’ai ouvert le Centre de Congrès la fleur au fusil. J’étais loin d’avoir anticipé les besoins en termes de personnel d’accueil, de sécurité et de logistique : je n’avais jamais travaillé dans l’événementiel et je ne savais pas du tout à quoi m’attendre !”, se souvient Willy Lafran, encore amusé de son inexpérience d’alors. Il s’agissait de sa première expérience dans l’événementiel. Heureusement, des visiteurs le voyant courir partout avaient proposé leur aide et une équipe de bénévoles s’était constituée en temps réel pour remédier aux difficultés.

Les premières Rencontres de l’esprit critique (REC), festival réunissant une communauté de quelques centaines de passionnés fervents défenseurs de l’esprit critique, de la rationalité et de la lutte contre les dérives sectaires, furent sauvées, et même couronnées de succès. Depuis, les REC ont pris de l’ampleur. Jusqu’à devenir un incontournable dans ce milieu qui regroupe scientifiques, chercheurs, médecins, vulgarisateurs et citoyens passionnés.

Combattre l’obscurantisme, l’extrémisme et le populisme

A quelques jours de l’édition 2024 (dont L’Express est partenaire), qui se déroulera les 27 et 28 avril près de Toulouse, Willy Lafran court encore. L’entrepreneur toulousain, père de deux enfants et cofondateur d’une entreprise de jeux vidéo, s’occupe lui-même d’une grande partie de l’organisation : recherche de financements, programmation des tables rondes et spectacles – quelque 150 intervenants chaque année -, captations vidéo qui seront diffusées sur YouTube, restauration, etc. Malgré une énergie qui semble inépuisable, il a tout de même retenu la leçon et a su s’entourer de précieux soutiens.

D’abord politiques, avec la Communauté d’agglomération du Sicoval et le département de Haute-Garonne, le ministère de la Culture et la région Occitanie. “Les élus doivent être des acteurs du développement de l’esprit critique : si nous réussissons à relever ce défi sur nos territoires, nous réussirons plus largement à l’émancipation de nos concitoyens, assure Emmanuel Auger, président du Sicoval, qui se dit “pleinement conscient du défi majeur que représente le combat incessant face à l’obscurantisme, l’extrémisme et le populisme”. Ensuite scientifiques, avec de nombreux noms de la communauté des défenseurs de la rationalité et de l’intégrité scientifique (Elisabeth Bik, Hervé Maisonneuve, Dominique Costagliola, Ghislaine Filliatreau…), qui ont accepté de se rendre à l’événement. Sans oublier tous les volontaires qui sont animés, comme lui, par la volonté de faire perdurer un événement entièrement gratuit, grand public et familial.

“Comment es-tu sûr que celui-là dit des bêtises et pas l’autre, alors tu n’es pas médecin ?”

C’est l’un de ses fils, alors âgé de 10 ans – créateur de la chaîne YouTube Zetup, dédiée à l’esprit critique – qui lui a en partie inspiré l’idée. “Un jour, alors que je donnais mon avis sur les compétences d’un expert médical invité à la télé, il m’a demandé : ‘Comment es-tu sûr que celui-là dit des bêtises et pas l’autre, alors tu n’es pas médecin ?’. J’ai compris que je ne devais pas être le seul à ne pas savoir précisément répondre à cette question”, confie-t-il.

L’idée des REC remonte, aussi, à ses études et cours en psychologie. A l’époque, il lit “tout Freud” en pensant s’armer intellectuellement. Surprise, son professeur est un farouche critique de la discipline. Willy Lafran cherche alors des arguments auprès de psychanalystes sur Internet, puis leur retourne les contre arguments de son professeur… Jusqu’à se créer de sérieuses inimitiés. “Je me souviendrais toujours de cet e-mail d’un psychanalyste furieux m’accusant d’antisémitisme parce que j’avais critiqué Bruno Bettelheim [NDLR : un psychanalyste de confession juive], qui m’écrivait après que je m’en sois défendu : “Intolérant contre la bête immonde, fut-elle dans l’inconscient de celui qu’elle anime”.

Depuis, celui qui se décrit comme “un ancien je-m’en-foutiste qui croyait sans vérifier qu’on attrape froid, que les moustiques sont attirés par la lumière ou que l’alcool réchauffe”, entretient une passion pour les faits et l’information scientifique et médicale. “Il est indispensable que chacun ait conscience qu’il est très facile de croire à des choses fausses et très difficile d’en démordre, soutient-il. Avec les REC, j’invite le public à venir s’interroger sur ses propres certitudes autour de sujets variés (science, citoyenneté, santé, histoire, sociologie, philosophie, art ou paranormal) et je tente de montrer que les dérives peuvent être lourdes de conséquences : de l’éloignement progressif du circuit médical au refus de soin, des théories fumeuses aux idéologies mortifères”.

Un festival ouvert à tous

Vaccin, naturopathie, homéopathie, pesticides, nucléaire : les sujets sont passionnants et polémiques. Mais pas question de faire des REC un festival sectaire. “J’apprécie sa position consistant à dire que tous ceux qui respectent le cadre d’un débat argumenté peuvent venir s’exprimer. D’ailleurs, je ne suis pas d’accord avec certaines tables rondes, et c’est tant mieux”, témoigne Jean-Paul Krivine, rédacteur en chef de la revue Science et pseudosciences, un partenaire historique. “Il m’a demandé des conseils lors des premières REC et j’avais apprécié qu’il soit à l’écoute, qu’il accepte de tenter des paris peu évidents, comme la création d’une table ronde ‘féminisme et rationalisme’ ou d’une autre sur la transidentité”, souligne de son côté Richard Monvoisin, docteur en didactique des sciences à l’université Grenoble Alpes.

Si elles ont été rares, quelques polémiques ont néanmoins touché l’événement, dont une l’année dernière. En cause, des sketchs improvisés de deux intervenants aux profils critiqués. “Ce festival est une super initiative – d’ailleurs le monde universitaire a eu maintes fois la même idée, sans jamais la réaliser, par inertie notamment -, la qualité est très bonne la plupart du temps, mais s’il veut continuer de grandir, il faudra avoir une grande vigilance sur les contenus”, analyse Richard Monvoisin. Conscient de ces difficultés, Willy Lafran a prévu de mettre en place un conseil scientifique des REC, de toute façon indispensable s’il veut mener à bien un futur partenariat avec des instituts de recherche ou des facultés (comme l’Inserm, le CNRS ou l’Université de Toulouse).

En attendant, il veut dupliquer le festival grâce à des “REC Itinérants” dans d’autres régions, voire d’autres pays d’Europe. Il développe aussi des “REC Pro”, formats destinés aux politiques et agents des collectivités. “Sensibiliser et informer les élus est une priorité, ce sont eux qui votent les politiques éducatives, financent les associations”, insiste-t-il. Une tâche d’ampleur, comme les ratés de la crise Covid-19 l’ont illustré.

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