IVG dans la Constitution : la droite bouge, jusqu’où ?

IVG dans la Constitution : la droite bouge, jusqu’où ?

L’œuvre du législateur est empreinte de technique. Il écrit le droit, soupèse le poids de chaque virgule. Mais la charge symbolique d’un texte peut écraser ces considérations. La politique supplée alors le juridique, jusqu’à l’effacer. Il en va ainsi de l’inscription de l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution. La droite n’a jamais été emballée par cette réforme. Les élus Les Républicains (LR) la jugent souvent inutile, parfois dangereuse. Inutile, car la jurisprudence du Conseil constitutionnel protège déjà ce droit. Dangereuse, car elle créerait un précédent : si l’IVG entre dans notre loi fondamentale, pourquoi ne pas y inscrire tous les droits sociétaux chéris par l’opinion publique ?

Et pourtant, une frange croissante d’élus LR se résigne à ce changement. Les députés du parti de droite n’ont pas fait obstacle en janvier à l’adoption du projet de loi constitutionnelle, attendu ce mercredi 28 février au Sénat. “La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse”, dispose le texte voté au Palais Bourbon. Il doit être adopté dans les mêmes termes qu’à l’Assemblée nationale pour ouvrir la voie à la réunion du Congrès, où une majorité des 3/5 devra être atteinte.

“Pression sociale” sur les sénateurs

La droite est majoritaire au Sénat. En février 2023, seuls 16 sénateurs LR avaient approuvé une proposition de loi constitutionnelle (PPLC) sur l’IVG, adoptée à la faveur d’une alliance entre gauche et centristes. Le temps a fait son œuvre. De nombreux sénateurs LR ont changé leur fusil d’épaule et se résignent à modifier la Constitution. Tous ont noté combien l’opposition à cette réforme est assimilée à une hostilité envers l’IVG. Les réserves juridiques sont soupçonnées d’être le cache-sexe d’un conservatisme honteux. Le droit, un prétexte pour masquer ses intentions.

Aucun élu n’a oublié le tollé suscité par le président du Sénat, Gérard Larcher, coupable d’avoir assuré sur France Info le 23 janvier que la Constitution n’était pas un “catalogue de droits sociaux et sociétaux”. Et tant pis s’il venait de réaffirmer son attachement à ce droit et de s’inquiéter de la fermeture de 130 centres dédiés à l’IVG. “Les gens ont retenu que Larcher était contre l’IVG. Cela a fait réfléchir des sénateurs, note un cadre LR. Politiquement, on ne peut pas s’opposer à une révision.” Le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, hostile à la réforme, décèle dans cette inflexion une “pression sociale”. “Il n’y aurait qu’une opinion respectable. Mais l’honneur d’un responsable politique est d’avoir des convictions et de s’y tenir, insiste le Vendéen. Je ne vote pas avec les sondages.” 86 % des Français sont favorables à l’entrée de l’IVG dans la Constitution, d’après un sondage Ifop réalisé en novembre 2022.

Entre résignation et manœuvres

S’opposer à la volonté populaire a un coût. Au Sénat, la cause est entendue : il n’existe pas de majorité pour balayer le texte de l’exécutif. “La bataille n’est plus sur la constitutionnalisation de l’IVG. Mais sur : en quels termes ?”, résume le sénateur des Hauts-de-Seine Roger Karoutchi. C’est là que cela se complique. Le fatalisme n’empêche pas les manœuvres. Deux amendements au texte gouvernemental seront examinés ce mercredi. Leur adoption relancerait une incertaine navette parlementaire. Le premier propose d’adjoindre le respect de la clause de conscience des médecins au texte. Le second, œuvre du sénateur Philippe Bas, préfère la consécration d’une simple “liberté” à celle d’une “liberté garantie”. L’élu de la Manche redoute que cet adjectif ne crée un droit opposable à l’avortement (pouvant ouvrir la voie à des contentieux) et brise l’équilibre de la loi Veil, compromis entre les droits de la femme et ceux de l’enfant à naître.

Le 1er février 2023, cet amendement avait été adopté à la surprise générale au Sénat lors de l’examen de la PPLC. Bruno Retailleau tempêtait alors contre ce texte “superfétatoire”, qui avait sauvé la mise de l’exécutif. Un an plus tard, le patron des sénateurs LR cosigne l’amendement Bas, promet de le voter… mais de s’opposer à la constitutionnalisation de l’IVG lors du vote final. “C’est le choix du moindre mal, défend-il auprès de L’Express. Il est préférable, si le texte doit passer, qu’il ne contienne pas le terme ’garantie’.” Voilà la droite à front renversé. L’amendement Bas était une divine surprise pour l’exécutif en 2023, il menace désormais sa réforme. Bruno Retailleau est prêt à voter un amendement qu’il désapprouve… pour limiter la casse. Le rapport de force a changé.

Envie de passer à autre chose

Bienheureux qui peut prédire le vote de mercredi. Mais la petite musique d’un vote “conforme” monte dans les rangs du Sénat. De nombreux élus LR veulent en finir avec ce feuilleton, la lassitude gagne du terrain. “Il ne faut pas tomber dans le juridisme pour reculer l’échéance, s’agace une sénatrice. Il faut faire du débat un non-sujet et voter conforme. Sinon cela va s’éterniser lors des européennes.” IVG et Européennes : la droite connaît trop bien la chanson. En 2019, la tête de liste LR François-Xavier Bellamy avait troublé son camp en assumant son opposition à l’IVG, “une conviction personnelle”, tout en assurant ne pas vouloir remettre en cause la loi Veil.

Cette sortie lui avait coûté des points. L’eurodéputé veille depuis à ne pas se laisser enfermer sur ces sujets sociétaux, préférant disserter sur son bilan à Strasbourg. L’homme n’a guère intérêt à ce que l’IVG vampirise sa campagne. “Certains LR veulent embêter la majorité, mais ils risquent de se mettre dans la nasse, note une ministre. C’est absurde. Ils feraient mieux de purger le sujet.” Et éviter de marquer contre leur camp, en pensant viser la cage adverse.

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